Co-lapsus (1/4) . . photo (cc) / flickr
( jef safi : E≥M.C2 )
<< [...] Les algorithmes qui permettent de hiérarchiser les informations enferment des principes de classement et des visions du monde. Ils structurent très profondément la manière dont les internautes "voient" les informations et se représentent le monde numérique dans lequel ils se promènent, sans toujours soupçonner le travail souterrain qu'exercent les algorithmes sur leur itinéraire. [...] Ainsi, si l'on ne prête attention qu'au sommet de la hiérarchie des informations, l'agenda de l'Internet ne présente que des différences mineures avec celui des médias traditionnels. L'Internet participatif ne fait alors que reproduire les critères de légitimité des gate-keepers. [...] Face à ces effets de massification, le web social propose une autre forme d'organisation de l'information qui part du réseau social de l'utilisateur pour constituer son propre écosystème informationnel. [...] La richesse du web est d'avoir su faire exister, sous les contenus dominants, un espace intermédiaire où il est permis de partager et de discuter des sujets qui circulaient très mal dans l'espace public. Jürgen Habermas a montré comment l'espace public de la raison né au XVIIIe siècle s'est "reféodalisé" dans la seconde moitié du XIXe siècle sous l'effet des intérêts commerciaux et de la massification de la "presse à un penny". L'espace public de l'Internet est aujourd'hui soumis à un même risque de "reféodalisation". [...] Le reproche qui doit être fait aux algorithmes numériques n'est pas qu'ils se multiplient selon des logiques et des intérêts de plus en plus contradictoires. La diversité a toujours été au coeur du web. [...] En revanche, sous les pressions des intérêts commerciaux, les logiques propres de chaque mode de classement se mélangent et se dissimulent dans des boîtes noires de plus en plus difficiles à interpréter. [...] une sourde lutte se déroule aujourd'hui pour le contrôle des outils permettant de hiérarchiser a posteriri les informations sur le web. La méfiance à l'égard d'une parole sans contrôle ni censure cache une méfiance plus grande encore à l'endroit d'une société auto-organisée. Or c'est précisément autour de cette question que se joue l'avenir d'Internet. [...] C'est la transparence complète de l'Internet à lui-même, abolissant les espaces en clair-obscur afin de les porter à la lumière des moteurs de recherche, qui constituerait une réelle menace pour ces prises de parole qui prolifèrent dans tous les sens, humbles ou capitales, graves ou ironiques - mais toujours profondément libres. >>
Source :
"La démocratie Internet" par Dominique Cardon
(Seuil, La république des idées)
À voir ou à revoir :
- "En direct de MEDIAPART", la démocratie à l'heure d'Internet.
- Les sociabilités numériques.
- Entretien aux rencontres d'Arles (2o12).
À voir, à revoir et à jubiler :
Thierry Breton : les données numériques sont de l'or ...par Europe1fr
Un exemple édifiant de contorsion sophistique, où l'on entend le néo-libéral Thiérry Breton jouer le coming-out euro-protectionniste devant un gateKeeper du Saint-Marché qui boit ses paroles avec son avidité obséquieuse habituelle, alors que sont proférés devant lui des propos outrageusement hérétiques dans la bouche d'un apôtre du libre-échange, de la concurrence libre et non faussée, de la rhétorique du coût du travail et du poids des charges sociales anti-entrepreneuriales, etc. On sait pourtant ce qu'ils pensent tous, ici, du timoré discours euro-protectionniste Montebourgeois des primaires socialistes, des prédictions d'Emmanuel Todd, du collectif Roosevelt 2o12, de la démondialisation selon Jacques Sapir, des analyses des économistes attérés, ou du plan-programme du Front de Gauche, etc.
Non, Thierry Breton n'est pas un euro-protectionniste, ça se saurait, mais un bel et bon opportuniste économique, auto-promoteur politique de surcroît de son ex-ministère. Comment donner de la valeur substantielle à une denrée parfaitement immatérielle et non rivale ? Et bien, . . en la matérialisant, en lui donnant corps sous forme d'enregistrements sécurisés, en la capturant pour générer de la rareté, en la computant pour générer de nouveaux besoins, en un mot en . . l'économicisant comme le font déjà les méchants concurrents, . . euh, les autres compétiteurs tels que PRISM, Echelon, INDECT, ainsi que les profileurs des réseaux sociaux et des portails commerciaux.
Thierry Breton motive le processus par une tentative claire et assumée de capture et de contrôle des affects communs (comme l'enseigne Frédéric Lordon avec les mots de Spinoza) que sont aujourd'hui les peurs sécuritaires, les rivalités géopolitiques, les nouvelles anxiétés quant aux viols d'informations privées, etc. Et ce n'est pas seulement le grand public qu'il vise évidemment, mais aussi ses représentants politiques . . ça s'appelle une manipulation . . pardon ! . . du lobbying, c'est tellement plus noble et vertueux.