Ayant enseigné les méthodes et techniques d'élaboration syntaxique avancées, l'accès au « Ouaibe invisible » dans une école de journalisme parisienne, je ne crois pas trop que les officines de déférencement ou déréférencement parviennent aisément à éliminer toute référence gênante pour leurs clients. Mais faire reculer son ranking, son classement hiérarchique dans la parfois immense, proche de l'insondable, liste des résultats obtenus via une requête et un moteur de recherches en ligne, oui, c'est fort possible, mais extrêmement coûteux. Qui payera au final ? L'acheteur final, le contribuable ? De plus, ce phénomène émergent risque fort d'handicaper les rédactions et les journalistes indépendants ainsi que les chercheurs en sciences sociales et politiques.
Comme je l'expose sur Come4News (.com), site d'information dite citoyenne, j'ai reçu ce jour un singulier courriel provenant du site deferencement.com. Qui en est au juste l'émetteur (l'auteur), que promet deferencement.com et d'autres officines ?
Deferencement, sa maison-mère et ses autres filiales ne promettent surtout pas d'obtenir la suppression des informations gênant des groupes industriels, des sociétés financières, des élus ou candidats politiques, des artistes (par exemple la chanteuse Carla Bruni pour n'en citer qu'une). Car, quoi qu'on fasse, des internautes futés parviendront toujours à accéder, directement ou indirectement, aux contenus de, pour ne citer qu'une source, Wikileaks.
En revanche, quel temps consacrer à une information, à un dossier, quand on est journaliste à Mediapart, avec ou sans feu vert de la rédaction en chef, quels efforts, si on est journaliste indépendant ou chercheur universitaire, faut-il consentir pour accéder aux informations en ligne ayant fait l'objet des soins d'un prestataire de déréférencement ? Si faut plonger très profondément dans les entrailles des réseaux, beaucoup de sujets risquent de passer à la trappe ou d'être superficiellement traités. C'est là le vrai risque pour l'information citoyenne et de très nombreux médias.
J'ai salué comme il se doit, en l'écrivant ou lors d'entretiens avec des journalistes impétrants ou diverses interventions, le dispositif graphique et rédactionnel de Mediapart qui permet de consulter, en PDF, les documents ayant servi à fonder divers articles. Imaginez que ces documents viendraient à disparaître des archives judiciaires ou autres (cela s'est vu, se voit encore pour certains documents et pièces, peut-être à l'Autorité des marchés financiers, des greffes, des archives départementales ou municipales…), et que leurs fac-similés, faute d'être détruits, deviendraient de plus en plus ardus à localiser ? Quelles seraient les conséquences à court, moyen et long terme (et les répercussions sur l'historiographie) ?
Le sujet n'est peut-être pas déjà brûlant, il n'est pas si nouveau, mais il s'agit d'un phénomène qui prend de l'ampleur.
L'autre conséquence, c'est le coût de la création de contenus reléguant les plus gênants ou préjudiciables au fin fond du Ouaibe.
On l'a vu, sur Mediapart et ailleurs, les budgets de communication de l'Élysée ont connu, en moins de quatre ans de mandature, un essor qui, s'il n'est pas exponentiel, n'en grêve pas moins chaque année davantage et fort lourdement les finances publiques. Pour les entreprises, ces coûts sont au final répercutés sur les tarifs et honoraires et autres. À défaut de déjà s'alarmer, il convient de s'inquiéter, de faire preuve de vigilance.
C'est à la forme interrogative que j'ai titré sur Come4News « Déréférencement, une autre forme de censure ? ». Pesons les mots. Ce n'est, pour le moment, qu'une crainte qu'il ne faut pas s'exagérer. Mais les moyens consacrés à créer des virus ou des pare-feux laissent présager davantage le pire que le meilleur ou le statut-quo. À suivre… d'assez près.