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Billet de blog 17 février 2011

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Medialogie : Nicolas Beau et les cabots...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Non, franchement, ce titre vaguement incitatif, je n'aurais pas dû. Mais je n'ai pu m'en empêcher. Un titre plus informatif aurait été du genre : « Le beau cas de Nicolas Beau ». Et pourquoi donc ? Si vous lancez, via la rubrique « Actualités » de Google, une requête "Nicolas Beau"+"Ben Ali" (où il s'agit d'expression exactes et où le AND est superflu), vous trouvez, actuellement, dans l'heure, environ une centaine de remontées. Environ une centaine de titres de presse ou de blogues d'information ont « sourcé » l'information de Nicolas Beau à propos de l'état de santé de Ben Ali.

Deux petites remarques. Voici d'abord un quasi copié-collé de la formulation du Nouvel Observateur à ce sujet :
« Le journaliste français Nicolas Beau, auteur de plusieurs ouvrages sur Zine El Abidine Ben Ali (Notre ami Ben Ali) et son épouse Leïla (La régente de Carthage), affirme que l'ex-homme fort de Tunis aurait été "victime d'une attaque cérébrale" et se trouverait dans le coma dans un hôpital de Djedda. ».
Je n'ai remanié que la forme orthotypographique, le fond reste à l'identique.

Qui, dans la presse française, sachant que Nicolas Beau se trouve actuellement à Tunis et qu'il a ses entrées auprès de certains membres du gouvernement ou de proches du pouvoir, a pris la peine de s'enquérir officiellement auprès des autorités tunisiennes. Le Nouvel Observateur l'a fait ? Non, pas vraiment, il ne fait que relayer une dépêche Associated Press qui a joint le porte-parole du gouvernement tunisien qui ne confirme ni ne réfute l'exclusivité de Nicolas Beau.

Qui, dans la presse française, s'est vraiment intéressé aux contenus de l'ensemble du blogue-notes de Nicolas Beau, Le Blog tunisien de Nicolas Beau ? Pas grand monde, du moins en apparence. La réalité est sans doute tout autre. Nicolas Beau est une source, sinon totalement fiable, du moins autorisée puisqu'il est aussi un universitaire spécialiste de la Tunisie (et du Maroc, voire de l'Algérie dans des mesures que je ne peux estimer). Mais Nicolas Beau, ancien directeur de la rédaction de Bakchich (en fait redchef-adjoint ou co-redchef avec l'un des fondateurs du titre) n'est guère sollicité pour courir les plateaux de télévision et les studios des radios dominantes.
Serait-ce parce qu'il tient en peu d'estime Bernard Henri-Lévy ? Parce qu'il serait allé « une île trop loin » avec le Capri d'Éric Besson ? Ou parce que, comme « le volatile », dont il est issu, on ne reprend ses infos que lorsqu'on ne peut décemment pas faire autrement ? Et encore.. parcimonieusement.

Ses informations les plus intéressantes ne tiennent pas à la santé de Ben Ali, mais, par exemple, à la localisation incertaine de son épouse, Leila Trabelsi qu'il a surnommé, avec sa coauteure, la régente de Carthage. Tripoli ? Dubaï ? Ou au rôle qu'il estime trouble, de Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, ministre de fait des Affaires étrangères, même sous Kouchner : Jean-David Levitte plaide-t-il, contre François Fillon, la « politique du pire » ? Pour la Tunisie seulement ? Au profit de quels intérêts au juste ?

Ce qui pourrait me faire diverger des appréciations de Nicolas Beau, qui est effectivement un beau cas d'analyse de la confraternité et du grégarisme contrariés de la presse, c'est, par exemple, cette remarque : « là, on touche à des politiques qu'Edwy Plenel et ses journalistes d'investigation, par antisarkozisme primaire, ont toujours voulu protéger. ». Il est question de sources proches de l'entourage de Jacques Chirac du temps de ses mandats. Est-ce bien pour protéger des sources que Mediapart en priviligie certaines ? Ou tout simplement pour ne pas se les aliéner alors que les autres sources, en face, sont devenues inaccessibles ?

Tout journaliste « protège-t-il » ses sources, tant bien même s'agirait-il de malfrats, d'escrocs ? Il m'est arrivé de ménager une source qui n'était pas blanche-bleue, ni même bleue-blanche : j'en espérais d'autres révélations sur le Front national et divers canaux de financements politiques. En presse, comme en labeur (dans l'imprimerie), on travaille « en conscience ». Cela peut conduire à des dérives. Comme de sembler prendre parti pour les Laroche ou les Vuillemin lors de l'affaire Grégory. Mais d'un autre côté, après avoir quasiment éreinté une source potentielle, comment ne pas se tourner vers d'autres en priorité ?

Et puis comment traiter un personnage tel que BHL ? Nicolas Beau écrit : « on n'entend guère le même BHL sur le Maroc, où la situation des libertés est ces dernirs mois menacée mais où le philosophe possède deux magnifiques palais à Marrrakech et à Tanger.». J'ai récemment commis une petite tribune sur l'entretien que Jacques Séguéla accorda à L'Écho des savanes pour son numéro anniversaire (le 300). Dans ce même numéro, Philippe Cohen s'en prend au même Benard-Henri Lévy, et à diverses reprises : « BHL n'aurait-il pas dû (...) demander à Salman Rushdie de ravaler ses propos (...) “insultants“ pour la communauté musulmane ? ». Tenez, un aparté : Rushdie et moi-même ayant un ami commun, Tom Corraghessan Boyle (à moins qu'ils ne se soient brouillés entre temps), je n'irais pas écrire sur lui sans au moins consulter T. C., quitte à donner la parole aussi à de farouches contempteurs de Rushdie. Car, poursuit Cohen, « tout écrivain doit faire ami-ami avec BHL pour bénéficier des honneurs des médias. ». Et j'ajouterai aussi : tout journaliste. Parce que, bien évidemment, BHL n'est pas plus une source fiable sur le Maroc que sur le Pakistan, mais il possède un copieux carnet d'adresses, un vrai « maroquin » d'adresses marocaines, de gens hauts-placés. De ce point de vue, BHL est une source qu'il convient d'au moins ménager, sauf à brûler ses batteries. Ce que Nicolas Beau, en ayant vu d'autres, et privilégiant peut-être d'autres sources, mais surtout tricard au Maroc comme il l'est resté longtemps en Tunisie, peut se permettre. C'est courageux, certes.

Allons plus loin. L'expression « presse collabo » connote et dénote de multiples interprétations. Comme on dit aussi, la presse de droite est faite par des journalistes de gauche. C'est sans doute de moins en moins vrai, une certaine épuration s'étant renforcée. Parfois il est possible de se répartir le travail et le journaliste politique collant aux basques d'une personnalité de droite l'interrogera-t-elle pour fournir des éléments à son confrère attachés aux pas d'une personnalité de gauche. Vice-versa de même. Parfois, c'est inaccessible. Si même entre titres concurrents on peut se refiler des tuyaux, il existe des seuils. Je ne vois pas trop un journaliste de Politis prendre langue avec une « consœur » de Rivarol pour alimenter un papier sur Carl Lang, par exemple.

Revenons à Nicolas Beau. Pour Le Nouvel Observateur, c'est un journaliste français. Point. Pour Rue89, c'est un journaliste français qui tient un blogue-notes et en trouvera donc mention à propos de la santé de Ben Ali et, mieux encore, un lien sera créé vers ses contenus. D'autres sites de presse s'en sont abstenus. « Sourcer » N. Beau, oui, populariser son blogue-notes, non. Par omission involontaire ou non. Revelons que Le Monde a aussi créé un lien. Le site libanais Al-Manar, proche d'un parti musulman, préfère d'abord indiquer une autre source, Europe 1. « Selon les informations d'Europe 1, Zine el-Abidine Ben Ali est actuellement hospitalisé à la clinique du roi-Fahd, à Riyad, la captile de l'Arabie Saoudite. Il aurait été admis sous une fausse identité, pour des raisons de sécurité. "Son état est jugé très inquiétant", selon Nicolas Beau, qui précise aussi que "son épouse, Leila Trabelsi, n’est plus à ses côtés." ». Rien de plus logique. La réputation de Nicolas Beau est peut-être connue d'Al-Manar, pas forcément de l'auteur du billet. Il faut donc faire la part des choses et des situations.
Moncef Marzouki, opposant au régime de Ben Ali, a considéré que ce dernier aurait pu alimenter une rumeur, que Nicolas Beau aurait pris pour argent comptant, afin que la justice tunisienne ne se précipite pas à réclamer son extradition (bien improbable). En fait, Moncef Marzouki en sait peut-être encore moins que Nicolas Beau, mais RTL et Le Figaro ont préféré lui donner la parole. Sans doute pas pour décridibiliser Nicolas Beau, mais selon l'adage voulant qu'une information suivie d'un démenti fait deux infos.

France 2 suit peut-être la logique d'Al-Manar en qualifiant Nicolas Beau d'ancien journaliste du Monde et de Libération (oubliant Bakchich et Le Canard enchaîné, ce dernier étant cependant bien connu des auditeurs). Bref, divers cas de figure illustrent ce phénomène de qualification des sources. Des sites ont même mentionné deux autres journalistes, des Tunisiens, confirmant la « rumeur », ou « la nouvelle », selon les cas, sans pouvoir indiquer si ces confrères se fondaient sur l'information de Nicolas Beau ou s'ils disposaient d'autres sources. Ce n'est pas anodin.

En tout cas, ce n'est pas à propos de ce petit cas d'école que s'interrogera la presse française. Mais peut-être, à la suite de Nicolas Beau, sur les tensions éventuelles pouvant exister entre Jean-David Levitte (le seul Levitte ? L'Élysée) et, par exemple, François Fillon. Nous n'avons pas déjà les réponses. Mais on peut poser autrement que Nicolas Beau (voir son blogue mentionnné supra) les mêmes questions.

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