Comment rater un papier ? D'abord, peut-être, commencer par la phrase qui suit. Il se trouve que je m'intéresse à tout ce qui se rapporte à la communication et à l'Internet. Très faible « attaque », d'autant plus que le « il se trouve que » est superflu. Il faut attaquer sec, dégraissé, incisif. Il convient aussi d'éviter les titres interrogatifs, les amorces de châpo interrogatives. Comparer « L'Internet incite à tabasser et violer les femmes » avec une formule plus édulcorée (trouvez-la) à la forme interrogative.
Voici, pratiquement tel que je l'ai reçu, le début du courriel accompagnant le communiqué de l'Afa (Association française des fournisseurs d'accès Internet).
« À mi-année, les experts de pointdecontact.net, le site de l'AFA qui permet aux internautes de signaler tout contenu potentiellement illégal entrant dans son champ de compétence dressent un bilan alarmant de la violence envers les femmes. Ils constatent une augmentation de 183 % en un an des signalements de sites violents… ». La suite va « angler » plus particulièrement sur les violences faites aux femmes.
Le communiqué lui même est d'une sobriété quasi drastique. Le titre la joue sobre : « Le Point de Contact de l'AFA adapte son champ de compétence ». Le châpo : « Avec une augmentation de 183 % des signalements de sites violents en un an, le service d'assistance en ligne pointdecontact.net précise les types de violences que les internautes peuvent signaler… ». Glissons sur la suite (le communiqué se consulte en ligne), et retenons le point essentiel. « Les seuls contenus dont le nombre a augmenté, tant avant qu’après qualification juridique par les analystes de contenus, sont les contenus racistes ou incitant à la haine raciale (+102 % avant qualification, +34,25 % après) et les contenus incitant à la violence ou au suicide (+183 % avant qualification, +50 % après). »
Certains journalistes apprécient qu'on leur « mâche » le travail, donc qu'on leur fournisse un titre adapté à leur support, et un châpo, voire toute une brêve ou un article à passer tel dans le flux de leur système d'édition (un yaka-coter : il suffit d'indiquer la force de corps du titre et des divers éléments). D'autres détestent cela. C'est d'ailleurs pour cela que des journalistes passé·e·s à l'autre bord pratiquent modérément ce que Pierre Gandonnière nomme l'anti-journalisme. Faut savoir doser.
Selon les supports, la première chose que fait un chef de service (quand ce n'est pas la ou le redchef lui-même qui, dans des petites structures, traite un peu tout lui-même), c'est de décider s'il va se débarrasser direct d'un communiqué en le confiant à un·e secrétaire de rédaction ou un·e journaliste. Cela dépend de multiples facteurs. Ce qui est certain, c'est qu'à compter d'un certain « encombrement » ou nombre de lignes, l'illustration s'impose. Elle est même incontournable. Ce qui conduit hélas trop souvent à aller puiser des images d'archives passe-partout, de valeur informative nulle (genre : dangers de la drogue avec un gros plan de bras et de seringue), redondantes, qui impliqueront souvent une légende tout aussi redondante par rapport au texte.
J'ai tenté ailleurs, rapidement (trop), sur Come4News, d'illustrer un papier traitant de cette croissance des sites incitant à la violence envers les femmes. Mon choix, assumé, fut anti-journalistique. Placer en tête une image bien « trash » (j'en ai trouvé une, placée en pied), c'est le b-a, ba, même sur des sites « sérieux », pour capter l'attention.
Petite digression à portée pédagogique. Si j'avais été mieux formé à l'enseignement, j'aurais peut-être proposé cette planche dans mon cours de recherche documentaire via l'Internet et les réseaux en ligne : comment trouver des visuels illustrant les violences faites aux femmes. Il n'est d'ailleurs pas sûr que je l'aurais fait, vu le temps imparti pour traiter l'ensemble du domaine en première année de journalisme. Mais vous pouvez imaginer les dégâts que vont provoquer ces formateurs non-formés à la formation, si ce n'est sur le tas, que sont les nouveaux titulaires des Capès…
Quels visuels, et comment les choisir ? Quels choix techniques et déontologiques ? Ne convient-il pas d'opter pour l'« anti-journalisme » (qui, sous l'uniforme du journalisme, reste du journalisme) ? Pour traiter le communiqué de l'Afa, mon choix personnel, critiquable, aurait sans doute été l'infographie, assortie peut-être d'un visuel (dessin ou photo assez « neutre » en transparence). L'option étique est un choix éthique. Une même image peut-être interprétée différemment par ses divers destinataires. Ne dénonçons pas la violence en incitant, même involontairement, à la violence. Par ailleurs, le choix de recourir à des images « choc » peut contrecarrer le poids des mots. Je ne suis pas radiologue, et je ne sais quelle est la portée de l'image de foetus qui accompagne la mention « fumer pendant sa grossesse peut… » (en diverses langues au dos de paquets de cigarettes en Europe). J'espère qu'aucune Folcoche ne va inhaler des bouffées doubles. Le même problème de « décence » s'est posé à l'Association Prévention routière (APR) et à d'autres. On peut en tout cas comprendre que l'Afa, qui traite aussi de sites incitant au suicide, ne fasse pas la promotion indirecte et involontaire de tels sites en fournissant des visuels « commodes » pour les rédactions.