Travail et emploi, pas le même combat
Tout d'abord, il est nécessaire de faire la distinction entre travail et emploi, c'est d'une importance capital. Car en effet, si emploi est égal à travail, l'inverse est tout à fait faux. L'emploi est le fait de travailler contre un salaire. On peut travailler sans avoir un salaire (c'est en somme l'explication que donne Usul dans sa vidéo sur le salaire à vie avec un individu qui tond son jardin).
L'emploi dans la société: facteur principal d'intégration sociale
Ensuite, il est nécessaire de comprendre la place de l'emploi (et non du travail, attention !) dans la société. L'emploi est le centre de l'individu, plus largement, le secteur d'activité dans lequel on est employé (et donc, par raccourci, où l'on travaille) est notre identité. Lorsque vous vous présentez à quelqu'un, vous vous présentez sous votre prénom suivi de votre activité. Si j'avais à me présenter je dirai "Bonjour, je suis Jérémy, étudiant en première année de Science Politique", l'un de vous pourrai me dire "Je m'appelle machin et je suis développeur pour tel entreprise".
En somme, l'emploi est bien plus qu'une manière de dégager un salaire qui nous permet de vivre: c'est un facteur important d'intégration sociale. Qui n'a pas d'emploi n'est pas intégré socialement. Qu'arrive-t-il à une grande partie des gens qui partent en retraite ? Soit ils deviennent dépressif car sortent de l'espace socialisant qu'est le travail (surtout visible en milieu rural) soit travaille (sans forcément détenir un emploi) en s'investissant dans des associations, etc. Les chômeurs sont représentés comme des mous qui ne cherchent pas de boulot et n'y mettent aucune volonté.
Alors, qu'arrive-t-il quand il y a bien plus de chômeurs que de travailleurs (au sens de personnes qui ont un emploi, n'oublions pas la distinction) ? Il se passe ce qu'il y a exactement en Grèce ou en Espagne. La place centrale qu'occupe l'emploi se déconstruit, pour le coup de manière assez brutale pour ces deux pays. Et donc on cherche des alternatives sur le plan politique (Syriza, Podemos).
Peut-on encore croire à l'emploi ?
Alors la question qui se pose (c'est là qu'on va parler du RdB ou du Salaire à vie), c'est: L'emploi a-t-il encore un avenir ? Devons nous déconstruire la place de l'emploi ?
L'idée du RdB et du Salaire à Vie est précisément de déconstruire l'emploi ! De ne plus être dépendant de l'emploi qui nous amène un salaire, mais d'être dépendant de son travail (là, la distinction est très importante !) qui nous donne une existence sociale.
Tentons de répondre à ces deux questions.
Pour savoir si l'emploi à encore un avenir, il est nécessaire de se poser la question de l'origine de l'emploi. Pourquoi j'ai un emploi ?
J'ai emploi car il y a une demande pour ce que je propose (biens ou services), car il y a demande, je fais une offre, dans mon intérêt et l'intérêt de l'autre. C'est la loi de l'offre et la demande.
Maintenant, parlons d'excédent.
L'excédent naît avec les premières productions agricoles. C'est parce que l'Homme ne peut plus vivre de manière nomade avec la nature (en cueillant et chassant ce dont il a besoin) qu'il crée l'exploitation agricole. Cet exploitation crée un excédent. Cet excédent permet l'invention de l'écriture mais aussi de la monnaie et donc in fine de l'Etat moderne (je vous invite à lire Varoufakis, "Un autre monde est possible" qui explique très bien ça).
Et c'est parce qu'il y a excédent de productions agricoles que nombre d'Hommes sont "libérés" du travail des champs (typiquement, les nobles, les notables, le clergé...). L'offre a tellement dépassé la demande que l'offre elle même peut se réduire pour passer à autre chose.
C'est bien mon histoire de champ me direz vous, mais ça ne résout pas notre soucis de salaire à vie.
Mon histoire de champ, c'est le premier secteur d'activité. Deuxième secteur d'activité: l'industrie. Et devinez quoi ? Le schéma est exactement le même. L'offre a explosé la demande. Pourquoi ? Car avec l'industrie comme avec l'agriculture, on sait toujours mieux produire, en plus grande quantité, avec moins d'employés (avancé de la technique) alors que d'un autre côté les effectifs possibles augmentent.
En somme: on produit de plus en plus, avec de moins en moins de monde, alors que le nombre d'employés potentiels augmentent ! Là dessus je vous invite à lire Séris et son bouquin "Technique". L'emploi semble donc condamné.
Que peut-on faire ? L'ancien modèle contre le nouveau.
Deux solutions s'ouvrent à nous. Soit on cherche à conserver le modèle de l'emploi-vie, soit on cherche à avancer et à déconstruire ce modèle.
Si on cherche à le conserver: ce n'est pas compliqué: il faut anéantir l'excédent. Rien de bien difficile, l'excédent se détruit par la guerre. De quoi mieux comprendre la politique de notre gouvernement à l'égard des terroristes.
Au contraire, si on cherche à passer au prochain secteur d'activité (celui des services) afin de sortir de la logique de production: on se retrouve confronté à de gros problèmes inhérentes à la société contemporaine.
Les offres de service ont la particularité de répondre à des besoins limités dans le temps: défendre un client pour un avocat, faire de la comptabilité pour une entreprise, mettre en oeuvre un plan de BTP etc. Et qui plus est, cette notion de service est très strict.
Le Salaire à vie est donc pensé pour sortir du modèle de l'emploi-salaire-vie en rendant l'individu, premier agent économique, indépendant de l'emploi. Indépendant de celui-ci, il peut réaliser les services qu'il veut quand il veut, si il le peut.
Cela permet aussi d'étendre le troisième secteur d'activité des services. En gros, le Salaire à Vie serait un salaire car, en tant que citoyen, nous rendons service à notre société humaine rien que par le fait d'exister dans la société. Nous rendons service à notre société en étant, en tant qu'individu, un élément permettant l'intégration sociale d'autres individus au travers d'activités sociales qui n'auraient pas été rémunérées sous le modèle de "l'emploi-salaire-vie". C'est pourquoi c'est bien un "Salaire" à vie et non un revenu de base: parce que tous citoyens a son rôle à jouer dans la société de par son existence même dans celle-ci.
Les conséquences conservatrices
Quelles seraient les conséquences d'une conservation à tout prix du modèle de l'emploi comme centre de la société ?
On a parlé plus haut de besoin de détruire l'excédent pour conserver ce modèle. Cette destruction, dans sa forme la plus visible est la destruction par la guerre, qui permet aux gouvernements d'utiliser non pas la richesse pour la redistribuer mais pour éliminer un ennemi.
L'excédent disparu, l'emploi retrouve toute sa nécessité. Ce n'est pas un hasard si les trente glorieuses ont lieu après la seconde guerre mondiale.
A plus court terme, la volonté des politiques et gouvernements successifs sera (à court terme donc) de prôner un plein emploi, de réduire le chômage. En partant avec cet objectif là en tête, on en vient à produire tout et n'importe quoi. Ceci est entièrement aberrant, car, comme l'offre que l'on produit ne répond à aucune demande, c'est la porte ouverte, sur le long terme à des crises économiques graves. Mais, en cherchant à produire absolument, on pollue naturellement, on consomme de l'énergie qui aurait bien pu être utilisée ailleurs.
Il y a donc double aberration à conserver ce système: aberration économique et aberration écologique.
Le financement du salaire à vie
Le financement du salaire à vie est un faux problème. Nous avons parlé en haut de la notion d'excédent. C'est parce qu’il y a un fort excédent que l'emploi devient obsolète. C'est donc parce qu’il y a un excédent qu'il faut le redistribuer d'une manière ou d'une autre.
Ce n'est donc pas l'argent qui est condition de l'existence du salaire à vie, mais bien l'inverse. C'est le salaire à vie qui permet l'existence de l'argent. Argent comme monnaie universelle qui permet d'acheter biens et service, l'argent comme un outil de partage universel.
Les conséquences du salaire à vie
Les conséquences d'une sortie de ce modèle sont à accompagner de tout un tas de réformes, car en effet, l'emploi étant depuis longtemps le centre de la société, un changement de centre dénature tout un tas d'autres choses.
L'éducation par exemple, a aujourd'hui pour finalité d'intégré les enfants dans des formations débouchant sur une situation professionnelle. Si la situation professionnelle n'est plus la finalité, le système éducatif entier perd tout son sens !
En revanche, il peut reprendre son sens premier: produire des citoyens responsables, tolérants, qui sauront réfléchir la démocratie, la liberté etc. Au contraire de produire des citoyens ignorants intellectuellement, mais qui savent produire.
Autres conséquences: toutes les protections sociales conquises jusque là seraient totalement inutiles. Pourquoi avoir un code du travail si l'on est pas obligé de posséder un emploi pour vivre ? Plus de SMIC, plus de limitation de la durée de travail par semaine, démission et licenciement facilité. Un patron ne plaît pas ? Pourquoi rester si il se comporte comme un tyran.
En conclusion, le Salaire à Vie semble être une solution pour sortir de la société actuelle, une solution indispensable, qui, si elle n'est pas mise en oeuvre, conduira indéniablement à des violences sociales (chômage de masse, misère), violence physique (guerre), violence écologique (climat de moins en moins propice à l'homme).