Lettre à mon frère obscurantiste :
Mon frère, mon ami... aujourd'hui je n'ai tué personne, je ne tuerai personne demain. Toi tu as tué, et tu tueras. C'est ce que tu voulais ? Des abîmes de ta souffrance, grand blessé silencieux dans un monde atteint de surdité, n'a jailli que cela ? Ce désir... qu'est-ce ? Ce besoin ? Cette nécessité ? C'est quoi? Je ne sais pas... et puis : je ne veux pas savoir ce que recèle une âme qui égorge de sang froid et prend les enfants pour des bombes. Je veux savoir ce que recèle une âme apaisée, qui sème la joie, qui aime ; surtout. Tu aimes mon frère ? Qu'aimes-tu ? Oh, Dieu. Le commandant Massoud aimait Dieu, les gens qui vous combattent sur le terrain aussi ; donc ça ne peut pas être celui qui guide ta main, ou si c'est le cas je me demande si tu peux vraiment lui faire confiance, encore moins l'aimer... des fois qu'il te fasse une blague et te jette directement en enfer sans passer par le Jugement dernier. Pour tout dire tu ne sembles aimer que la haine, tour de force extraordinaire, déjà vu mais même la millième fois ça surprend toujours. Un bol de haine au réveil puis tu en respires, hein : tu as des cours de haine. Tu veux détruire, tu prétends vouloir détruire la civilisation adverse et tu massacres les tiens. Tu veux tuer, à portée de main comme à Paris. Plus les jours passent plus tes méthodes sont lâches pourtant tu n'as à la bouche que le lexique de la gloire et de la grandeur. Comme si plus rien n'entrait en connexion : les mots et les choses, le réel et le sentiment, l'innocent et le coupable... tu ne sais plus juger, comparer, apprécier. Peut-être que d'ici je me trompe et que pour toi tout est clair, de la clarté du sang.
Tu sais moi tantôt je suis Charlie tantôt je ne suis pas Charlie, hésitant j'en conclus que ce dont je suis sûr c'est d'être libre. Liberté. Ça te parle, oui ça te parle : tu ne vas pas jusqu'à égorger les oiseaux ? Éventuellement quand toi et tes amis de meurtre serez seuls maculés de sang vous y songerez , rien que pour le monopole du ciel. Le vaste ciel, l'univers infini, toi et ton flingue. Pose-le, prends le Livre. Lis-le, c'est un beau livre aux histoires formidables, dans lesquelles la vie est sacrée. Ne laisse personne le lire à ta place et te l'interpréter, c'est ce que tu reproches aux médias concernant le monde. Et lis ceux qui sont rebelles à l'idée de Dieu, si tu crois vraiment il ne t’arrivera rien de mal, car ils sont ses créatures, comme toi.
Comme toi j’errais, je me sentais lambeau d'une humanité frappée de folie qui s'arrachait la chair. Je ne voyais plus de lueur, rien, sinon l'agonie du monde. Ni plus, ni moins. Je manquais d'absolu, tu manquais d'absolu. J'ai rencontré la poésie, tu as rencontré le djihad. Celui pour les nuls, celui qui ne veut atteindre ni la sagesse ni la bonté divine mais seulement la cible à éliminer. Sur une planète résumée à de la marchandise, où au mot rêve succède « américain », où les humains ne sont que des robots qui chient qu'on remplace par des robots qui ne mangent pas, où l'information cherche à dépasser le présent, transformant le récit des faits en délire journalistique ; sur une planète malade qui change sans se rétablir n'importe quel grand mythe fait l'affaire. On plonge sans prendre sa respiration. « Il se trouve qu'un djihad peut changer les choses, que rien n'est efficace, que l'appareil de suicide assisté est en place et que cribler ce bordel de balles ça fait plus réagir qu'être des millions dans la rue ». Je ne veux rien savoir sur les nuances qui parcourent la noirceur de ton âme mais avoue que tu te dis un truc dans ce genre ? Je me trompe encore ? Et bien accorde moi la certitude que ta lutte ne mène qu'au néant, aux larmes et à l’extinction de la précieuse (si précieuse car don de Dieu, non?), si précieuse humanité. Mon frère tu ne sauveras rien, ni toi ni personne. Tu vas tout anéantir et te perdre dans le vide.

JesuisGaza, Jesuisl'Irak, JesuisleCongo, soudain jesuisCharlie... je peux être tout ça en même temps car je suis humain. L'es-tu encore, homo sapiens sapiens ? Penses-tu encore ? Es-tu encore ? Incapable de supporter l'autre, qui le tue car il est l'autre... j'ai vu des singes mieux éduqués, dans la catégorie anthropomorphe. Même les vermisseaux ne pratiquent pas le génocide, c'est factuel, quant à savoir s'ils aiment... prouve-moi le contraire ! T'en fais quoi de l'amour ? Tu le lapides ou tu l'envoies se faire péter sur la place du marché ? « Ciel, amour, liberté ! », du Rimbaud, un vers. Vous écrivez des vers vous ? Pour faire de la poésie faut de l'amour suis-je bête... comment pourriez-vous la chanter vous ne faîtes que souiller la vie. Ici nous rions, je ris beaucoup mon frère, j'ai un rire qui ressemble aux hurlements d'un morse, t'écouterais ça t'aurais envie de me tuer. Représenter Mahomet c'est blasphème, représenter le Christ pour faire de la pub c'est blasphème. Ici ça se fait. Désacraliser ce n'est pas rejeter le sacré ; je ris avec des musulmans, avec des catholiques, avec des protestants, pas trop avec des mormons. Ils savent que je suis athée, c'est pas dramatique, une troisième fois si je me trompe j'irais brûler en enfer, pas la peine de m'y envoyer avant les rhumatismes en cas de temps pluvieux ; si le supplice dure une éternité t'es pas à 80 ans près, non ?
L'éternité... il paraît qu'il nous reste un peu plus d'une centaine d'années, à nous et à ta descendance comme à la mienne. Mon frère, mon ami, ton but c'est que pour quelques cent ans ce en quoi tu crois règne sur la terre ? Ton but c'est de ne rester qu'entre fous assoiffés de sang à subir l'apocalypse ? Je t'ai dit tu ne sauveras rien. Viens avec moi, reviens si tu es parti, si tu as dévié du chemin où enfants nous riions ensemble des dessins de Charlie sans même les comprendre, parce que ce sont de petits bonhommes, pour rejoindre cette fin du monde sans le dernier éclat de rire. Viens avec moi je veux sauver des gens, ta descendance comme la mienne. Viens ce n'est pas l'Occident, ce n'est pas l'Afrique, ce n'est pas l'Orient qui te le dit, c'est la liberté. Un soleil de midi qui illumine un couple qui s'embrasse, le tigre qui ne rentre pas dans le moteur d'Alexandre Vialatte, des poèmes persans qui nous parlent d'amour dans le secret des nuits, un bar sans peur, des femmes sans peur, un juif qui se moque d'un musulman, un musulman qui se moque d'un juif, des clichés, des briseurs de clichés, des gens qui sont Charlie, des gens qui ne le sont pas , un commerce de bouffe asiatique, du capitalisme à outrance, Olivier Besancenot, le rap, l'humour... trop ! Trop ! Tu ne sais rien ou tu ne veux plus rien savoir de nous et tu veux nous buter ? Mais branle-toi toujours mon frère, sur ton AK, comme un con. Ou viens, tu ne tues pas les oiseaux qui vont où bon leur semble, ne tue pas tes frères, tes sœurs. Viens, ici on s'aime, on se blesse, on se pardonne. On dit que la plume est plus forte que l'épée... tu connais William ? Viens on te présentera William, et Léopold, viens. Nous sommes forts, désarmés et libres. Un fusil d'assaut c'est lourd, c'est un boulet de plus. Allège-toi. Chante, ris, baise, sois meurtri mais debout. Le monde de demain c'est toi et moi, pas toi contre moi, le cas échéant je gagnerais, la liberté c'est dans l'ADN dorénavant. Sur ce mon ami massacre bien injustement, moi je vais dormir avec les oiseaux.
Léo Chabrier du monde libre.