C’est un coup de tonnerre aux conséquences plus dévastatrices encore que le 21 avril 2002. Evènement majeur de notre vie politique, même s’il n’est pas encore vu comme tel, le scrutin du 22 avril 2012 marque la rupture des digues existant encore entre l’UMP et le FN, malgré les nombreuses fissures constatées depuis plusieurs années déjà. Désormais la rupture entre la droite républicaine et l’extrême-droite n’existe plus qu’en théorie, pour le pire à venir.
Marine Le Pen a échoué au premier tour, car elle n’a pas accédé au second, comme elle l’annonçait pourtant depuis près d’un an. Et pourtant elle apparait aux yeux de tous comme la grande gagnante, dont l’ombre pèse funestement sur la campagne de l’entre-deux tours. Comme deux ignorants les finalistes se sont précipités vers les électeurs du Front National, faisant mine d’ignorer que 82% des français qui se sont déplacés ce dimanche-là avaient choisi une autre voix politique. Peu leur importe, ils parlent beaucoup moins fort.
Certes, l’opération séduction des électeurs FN lancée par François Hollande est beaucoup plus subtile que celle de son rival, et peut même se comprendre, même si elle aurait été davantage pertinente si elle avait été entamée au début de sa campagne présidentielle. Mais elle est malavisée car elle tend à affirmer aux yeux de tous que les 18% de Marine Le Pen sont bien plus importants que les 82% restants. Elle tend à avaliser le poids médiatique de Marine Le Pen pour le concrétiser en un poids politique dont on ne peut que s’inquiéter quand on est attachés aux valeurs de la République.
Quant à Nicolas Sarkozy, il nous avait habitués au pire durant son quinquennat, mais en fait il n’avait pas encore atteint ses limites. En seulement cinq jours il a réussi à brouiller totalement les lignes entre l’UMP et le FN, au point où la même question revient dans la bouche de tous les journalistes : « ferez-vous une alliance avec le FN ? ». Question qu’il devrait ressentir avec humiliation, et qui démontre la bassesse de son comportement. François Fillon a beau dire que « leurs valeurs sont incompatibles », on ne le croit plus et on compare même désormais les programmes de l’extrême-droite et de la droite républicaine.
Rupture totale et destruction des fondements même de l’UMP, construite il y a dix ans, et qui s’éteindra probablement au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy, quand des parlementaires de la droite la plus dure et la droite populaire choisiront de s’allier avec le FN au niveau local, ce qui suscitera des crises internes d’envergure qui aboutiront très vraisemblablement à la dissolution en plusieurs blocs. La fin du rassemblement de la droite.
Nicolas Sarkozy restera dans l’histoire de la Cinquième République comme le président infâmant qui a brisé la droite républicaine et a ouvert les vannes à une extrême-droite revigorée par un nouveau leader qui a su transformer un parti d’extrême-droite dans son acceptation la plus traditionnelle en un parti islamophobe, à la veine populiste sur le modèle de ce qui se produit dans toute l’Europe. Il restera une tâche indélébile sur notre vie politique, que la gauche au pouvoir aura beaucoup de mal à effacer. Il lui faudra un nouveau corpus idéologique, une résistance ferme aux idées les plus nauséabondes de Marine Le Pen et une force sans failles pour faire en sorte que l’extrême-droite ne progresse pas encore davantage en France. Autant dire que l’avenir qui s’ouvre dans l’après-6 mai s’annonce sombrement, pas seulement d’un point de vue économique et social, mais aussi et surtout, d’un point de vue moral.