Je les entends, les bris de verre, ces bouts de moi qui s’effondrent, lâchent prise et atterrissent lourdement sur le sol.
J’entends aussi le craquèlement des morceaux restés là, immobiles dans la pénombre et qu’on écrase avec plaisir, pour écouter le crépitement, pour se sentir puissant, pour abimer un peu plus ce qui n’est déjà plus que des miettes.
J’entends le fendillement de la carapace, celle qui me fait tenir debout depuis tant d’années et qui, je le sens, ne peut plus faire le travail de protection, je lui en ai déjà trop demandé. Mon armure s’écroule et m’emporte avec elle. Je suis brisée à l’intérieur, depuis longtemps déjà, mais je suis aussi brisée dans ma chair, dans ma foi en la vie, mes remparts ne tiennent plus, les fissures se multiplient. Le temps est compté avant que je ne prenne l’eau et disparaisse pour de bon.
Et, je ne suis même pas triste non, je la sens cette mort me consumer lentement depuis toujours, je les ai soutenu ces appels à l’aide enfouis au fond de moi pour m’en sortir, j’ai colmaté, j’ai reconstruit, mais à quoi bon quand les bases sont des marécages qui sentent la vase et la mort. Je ne vais pas mourir demain, rassurez-vous (étant entendu que ça puisse intéresser quelqu’un) mais je suis en train de mourir de chagrin, de fatigue, d’épuisement et de douleur.
Mais à quoi bon? J’ai appris très tôt à encaisser les coups, les chocs, les mots, à ravaler mes larmes, à faire grandir la rage à l’intérieur, à faire le dos rond, à faire semblant. Et il faut dire qu’à force, on se persuade même qu’on y arrive, que la vie c’est comme ça et que ça vaut le coup, mais je vais vous donner un scoop : c’est FAUX. Et aujourd’hui sonne le jour où je ne peux plus faire semblant, je ne peux plus encaisser aucun coup, chaque petit événement, aussi anodin soit-il, me fait déverser des torrents de larmes intérieurs, quelques larmes visibles sur mes joues pour qui m’observerait un peu, et je meurs à petit feu…
Et je n’ai plus envie d’entrer en résistance, je dis envie comme si j’avais un pouvoir là-dessus, quelle blague ! Je ne peux plus, je suis épuisée de tous mes combats, je rends les armes, j’abandonne la bataille, mon corps et ma tête ne suivent plus, j’ai vécu mille vies en une seule, il est temps que tout cela s’arrête.
Ce matin, comme souvent, j’ai descendu sur mon vélo la rue de Ménilmontant les cheveux au vent et les larmes ruisselant sur mes joues rougies par le froid. Est-ce une vie de démarrer ses journées en pleurant? Est ce pour ça qu’on est ici, pour souffrir, essayer de guérir des blessures, tenter d’apaiser les angoisses, les doutes et les trous béants dans le coeur? Je ne peux pas croire que ce soit ça, ça n’a aucun sens et moi j’ai besoin de sens pour vivre.
L’abandon n’est pas toujours lâche, je vous assure. Je me sens même courageuse d’accepter d’arrêter, d’abandonner et de me laisser aller à la mort, je sens que ça peut même être doux. Les rivières de chagrin, les fleuves de désespoir qui s’écoulent en moi ont fait sauté tous les barrages, l’eau monte inexorablement, finalement, ça remplit un peu le vide sidéral que je ressens depuis si longtemps. Alors parfois, les vagues de détresse s’écrasant sur les parois de ce qu’il me reste de corps, m’éclaboussent, les larmes coulent sans pouvoir rien y faire. Je n’aime pas pleurer, ça ne me fait pas de bien, ça ne m’aide pas. Je préfèrerais hurler, mais je n’ai plus la force alors dîtes vous que si je pleure, c’est d’abandon pour la vie.
Pleurer, c’est mourir un peu.