"Ce n'est plus l'époque du Dr Quinn" plaisantent certain médecins travaillant et vivant en zones rurales, pourtant de nombreuses communes françaises peinent à remplacer leurs médecins partant en retraite.
A Sainte-Feyre dans la Creuse, un petit cabinet de médecin flambant neuf et tout équipé a été mis à disposition par la commune au médecin généraliste qui voudra bien s'y installer. Mais depuis décembre 2011, date à laquelle le docteur Bachelard, l'un des deux médecins généralistes du bourg a pris sa retraite,aucun nouveau médecin n'a voulu s'y installer.
"Nous avions un contact avec un couple de médecins roumains, mais il n'a pas choisi la commune, parce que l'offre qui leur a été faite en Vendée était plus intéressante" se désole le maire de la commune, Michel Villard.
Le maire a multiplié les démarches depuis 2011 pour faire connaître la place vacante en faisant appel à un cabinet de recrutement, en communicant dans des revues spécialisées, auprès des facultés, des institutions locales. Pendant plusieurs mois, une banderole en façade de la mairie, mentionnait la recherche. Il a aussi été question de trouver une solution avec le Centre médical National de Sainte-Feyre, situé à trois kilomètres, mais le montage d'une organisation avec un médecin à temps partiel sur le secteur public et le secteur privé s'est avéré trop compliqué à mettre en oeuvre.
Le Docteur Bachelard lui-même avait fait des démarches longtemps avant de prendre sa retraite. Il s'est entre autre adressé directement aux facultés de médecine aux alentours parmi lesquelles celle de Limoges. " Sur les vingt-quatre sortants diplômés, douze partaient exercer au sein d'administrations, six souhaitaient intégrer une structure hospitalière et les six autres comptaient exercer en libéral à Limoges " Il a aussi fait jouer son réseau et ses connaissances mais sans succès.
" Depuis que je me suis installé en 1974 à Sainte-Feyre, je devinais déjà qu'il y aurait un vrai problème au départ en retraite des médecins de ma génération" révèle-t-il. Si en effet dans les années 70, de nombreux étudiants ont pu entrer en médecine, favorisant leur installation un peu partout en France et en campagne, le numérus closus a fortement baissé entre 1980 et 1993, passant de 8000 places en France à 3500 dans les années 80. Les conséquences s'en ressentent aujourd'hui. Ainsi si le nombre d'entrées en faculté de médecine a été réaugmenté par la suite, à partir des années 2000, il faudra attendre 2020 pour voir remonter la courbe du nombre de médecins généralistes en France. Ce qui ne règle pas par contre le problème vraiment contemporain de la répartition de ses médecins sur le territoire.
Le docteur Bachelard n'est néanmoins pas le seul à exercer sur la commune de Sainte-Feyre, mais son "collègue" est lui aussi proche de la retraite, n'exerce plus à temps complet et ne consulte plus que sur rendez-vous. Et surtout, il n'a pu prendre en charge l'intégralité de la clientèle du docteur Bachelard.
Sa patientelle à donc cherché aux alentours obligée parfois de trouver un médecin traitant dans des communes à plus de dix kilomètres, car à Guéret, la préfecture de la Creuse située à cinq kilomètres, les quatorze médecins généralistes peinent eux aussi à prendre en charge les patients qui affluent suite, entre autre, à la fermeture de deux cabinets de généralistes dans l'année. La plupart désormais n'acceptent que très occasionnellement d'être médecin traitant de nouveaux patients et ne consultent très souvent que sur rendez-vous.
Au travail avec 38,5° de fièvre
Les personnes âgées en particulier, sont difficile à recaser, car souvent peu mobiles et trop habituées au "médecin de famille" depuis des dizaines d'années. "J'ai conseillé un autre médecin quand j'ai pu et estimé bon de le faire mais il faut des atomes crochus avec un médecin, il y a l'empathie, la connaissance du patient qui joue énormément surtout avec les personnes âgées " estime le Dr Bachelard. Mais dans ce contexte, choisir un médecin traitant n'est même pas un luxe, c'est tout simplement impossible.
A sainte-Feyre, les habitants ont de ce fait rencontré quelques difficultés pour consulter. Agnès, infirmière et habitante de Sainte-Feyre témoigne: "j'ai certe mon médecin traitant à Guéret mais, en février dernier, alors qu'il était en vacances sans remplaçant, j'ai dû travailler avec 38,5 de fièvre, car aucun médecin n'était disponible à Sainte-Feyre ni à Guéret pour me faire un arrêt de travail dans la journée!" explique-t-elle. Elle a aussi dû faire appel aux urgences, pour la montée de fièvre de sa fille alors que l'intervention d'un médecin généraliste aurait suffit.
Ce témoignage n'est pas isolé. D'alleurs les urgences du centre hospitalier de Guéret s'en ressentent légèrement.
Le docteur Dumas, médecin coordinateur des urgences de l'hôpital témoigne: "On a vu dernièrement des gens qui n'ont plus de médecin traitant s'adresser à nous, surtout depuis que deux gros cabinets de médecins sans remplaçants ont fermé"
Il estime malgré tout que la situation n'est pas catastrophique pour l'instant mais s'inquiète pour l'avenir proche qui annonce d'autres départs en retraite non remplacés. " De surcroit, la situation au sein des hôpitaux n'est pas meilleure, nous avons besoin de praticiens très polyvalents dans leur compétence, et ces profils sont très rares er difficiles à attirer dans nos régions." explique-t-il.
La situation de Sainte-Feyre est courante dans tout le département de la Creuse. A Lavaveix-les-Mines, à une vingtaine de kilomètres, le docteur Dubreuil, 65 ans, prépare sa retraite, il ne prend plus de patient, a arrêté les nuits de garde et ferme son cabinet le vendredi. Son collègue sur la commune n'est pas loin nom plus de l'âge de la retraite. " Il faudra aller à Chénéraille ou Ahun pour trouver un généraliste bientôt" estime son épouse, cependant souvent quand un médecin part en retraite, les médecins alentours ne peuvent pas reprendre tout la clientèle" poursuit-t-elle.
Espoir roumain?
A Chénéraille, à 10 kilomètres environ, il n'y a plus qu'un médecin généraliste. une jeune femme de 33 ans originaire de Iasi en Roumanie. Installée depuis 2010 cette dernière a rejoint son amie d'université venue un an auparavant ouvrir un cabinet à Marsac, dans le nord de la Creuse.
" J'ai fait six ans d'études de médecine, et trois ans d'examen d'internat pour obtenir une spécialité en médecine familiale, l'équivalent de la médecine généraliste mais par la suite, nous n'avons pas été incités à rester en Roumanie" affirme-t-elle.
"Les jeunes médecins qui essaient de s'installer essuient de nombreux refus de la part de l'Etat, même dans des villes moyennes en province, les autorisations sont données pour des lieux très reculés en Roumanie ou il est vraiment difficile d'avoir une clientèle correcte" poursuit-elle. Si de nombreux médecins roumains, viennent, attirés par le salaire, bien plus élévé en France, le Dr Gheorgies pour sa part, estime que le gain n'est pas aussi intéressant que cela. " Avec les impôts et les taxes, je n'ai pas un chiffre d'affaire si incroyable malgré une patientelle importante, explique-t-elle. De plus mon mari, qui est prothésiste dentaire, n'a pas encore trouver de travail car il ne parle pas assez bien français."
Le docteur Gheorgies a investit son poste à bras le corps reprenant, l'organisation et le rythme de son prédecesseur qui, depuis vingt ans, attendait son repreneur afin de pouvoir s'adonner à une autre spécialité de médecine. "Mais il ne faut pas rester sur la vieille image du médecin de campagne, la médecine a évolué, les méthodes de travail aussi, travailler dans la Creuse et en zone rurale en général ce n'est pas travailler comme le Dr Quinn!" dit-elle en plaisantant.
D'ailleurs elle a incité, une autre amie médecin, rencontrée à la faculté de Iasi, à venir en France, dans la Creuse, pour exercer son métier de médecin généraliste.
Paradoxalement,la Creuse ne fait pas parti des départements estimés les plus dépourvus en médecins généralistes dans les statistiques, la Corrèze tout à côté est par exemple encore plus touchée par le problème, ainsi que la Manche et l'Eur et Loir.
" Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas dans la Creuse de déserts médicaux et de zones déficitaires" estime-t-il. En effet la qualification de désert médical concerne non pas des départements mais des territoires. " En Corrèze par exemple, il y a une grande différence entre Brive et le nord-est du département qui est très rural" donne-t-il pour exemple.
Le 15 août dernier, un dispositif a été voté par le gouvernement visant à attirer les médecins dans les déserts médicaux. Il s'agit du versement d'une allocation de 3640 euros brut par mois versée durant deux ans à un jeune médecin s'installant dans une zone déficitaire. Si son chiffre d'affaire mensuel est en-dessous de cette somme, la différence lui est reversée par l'agence régionale de santé. Cette mesure constitue l'un des douze points du programme Territoire santé, lançé par la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisole Touraine.
Dans ce contexte, la Creuse, seuls deux médecins s'installant sur des zones définies par l'ARS, pourraient bénéficier d' allocations de ce type d'ici la fin de l'année. Deux au plus sur cinq allouées à la région Limousin pour 200 sur toute la France.
" Cette mesure ne sera pas suffisante pour attirer les jeunes médecins en zone rurale, elle reste importante parce qu'on a l'impression qu'enfin ce problème est pris en compte" estime Michel Villard, le maire de Sainte-Feyre. D'autant que la commune ne semble pas faire parti des favoris pour la mise en pace du dispositif...
" Et de toutes façons un jeune qui s'installe, à Sainte-Feyre en tout cas, aura un chiffre d'affaire bien plus élevé au bout de deux mois, l'argent n'est pas le problème principal! Il faut surtout proposer de bonnes conditions de travail, développer des maisons médicales dans lesquelles le médecin peut échanger avec des infirmiers et d'autres médecins, afin de ne pas se sentir désemparer en prenant certaines décisions, il faut aussi permettre au médecin de se former le mieux possible sur place afin d'être un formé à toutes les matières et devenir un bon généraliste" estime pour sa part le Docteur Bachelard.
Les observateurs de la professions remarquent qu'aujourd'hui les jeunes diplômés veulent du temps pour leur famille, pour les loisirs. "Le médecin de campagne travaillant dix heures par jour parce que sa femme s'occupait du secrétariat et de la maison, c'est bel et bien terminé" commente Jacky Haerbuel-Lepage, directeur de l'offre de soin à l'Agence régionale du Limousin. "nous avons conscience que c'est un vrai pari aujourd'hui d'attirer de jeunes couples actifs"
En contre-partie, les habitants et médecins interrogés dans la Creuse ne tarrissent pas d'éloge quant à la qualité de vie dans la Creuse. "Quand j'ai passé des heures en cabinet, j'étais bien content de prendre ma voiture et d'aller m'aérer sur les petites routes de campagnes" esplique le docteur Bachelard.
Le docteur Gheorgies à Chénéraille se félicite du nouveau système de zonage de la Creuse pour les nuits de garde. Elle assure depuis la réforme une seule à deux nuits de gardes par mois en temps normal, pour l'heure enceinte elle en est dispensée, tout comme les médecins de plus de 60 ans.
Cependant qu'en sera-t-il dans un an quand les médecins de plus de soixante de la zone seront partis...D'une manière générale, sur le territoire français, jusqu'en 2015, les statistiques révèlent qu'il y aura largement plus de cessations d'activité que de nouveaux dîplomés.
Et la télémédecine alors?
En attendant, beaucoup d'espoirs sont mis sur les nouvelles formes d'organisation du paysage médical en zones rurales, en particulier les maisons médicales regroupant plusieurs spécialités.
Dans la Creuse, plusieurs maisons de ce genre sont en projet. " A Dun-le-palestel le maire a construit une maison de santé où se sont installés un infirmier, un kiné et un dentiste cependant nous n'avons toujours pas trouvé de médecin généraliste." explique Jacky Haerbuel-Lepage.
Parallèlement d'autres mesures sont mis en place au niveau national et régional pour attirer les jeunes médecins généralistes en campagne. 1200 bourses sont allouées chaque année par l'Etat dans le cadre du contrat d'engagement de service public en France a des étudiants en médecine afin de poursuivre leurs études avec la contrepartie de s'engager plusieurs années en désert médical. Ceux qui en bénéficient s'engagent à pratiquer autant d'années financées dans une zone de désert médical.Le département de la Corrèze alloue une prime d'installation contre un engagment de cinq ans sur une zone déficitaire. dans l'Indre, des bourses d'études sont attribuées par la région aux étudiants s'engageant à pratiquant autant d'années dans und ésert médical du département ou dela région, que le nombre d'années financées par l'institution.
Enfin plusieurs expérimentations sont faites en télémédecine, procédé envisagé comme une solution d'avenir pour les déserts médicaux. Dans la Creuse, médecins et patients ne sont pas très convaincus pour le moment. " C'est gérer la misère, pas soigner! Estime le docteur Bachelard, il y aura forcément des pépins avec ce genre de méthode!" Une Saint-feyroise interrogée par téléphone sur la possibilité de la télémédecine a tout simplement pour sa part raccroché vivement après avoir lançé avec franchise "Non merci, j'ai ce qu'il faut à la maison, je ne suis pas intéressée!"
E.M