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Billet de blog 23 juin 2015

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Lycées privés: "phisique et phylosophie" pour la modique somme de 4000 euros par an

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Nous sommes à Vaucresson, petite ville paisible et aisée des hauts-de-Seine. Il fait bon y vivre, les maisons cossues cernées de grands et beaux jardins s'y succèdent sur les hauteurs de la colline qui constitue la richesse naturelle de cette ville. Au beau milieu de ces maisons s'est ouvert voilà 80 ans un petit lycée à taille humaine, un petit lycée privé "sous contrat d'association avec l'Etat". Niché à flanc de colline, au coeur d'un petit parc arboré, l' établissement donne le sentiment d'être le lycée dont on a toujours rêvé, celui d'"Hélène et les garçons" ou de toute bonne série télévisée dans laquelle il fait bon vivre ses querelles amoureuses. Un bâtiment de façade,  plutôt moderne, avec des salles de cours directement ouvertes en baies vitrées sur la cour, un jardin en terrasse bordé de chalets, muni de petits terrains de jeux, une grande villa d'époque, cachée dans les hauts de jardin rappelant les colonies de vacances des années 60. Il semble y faire bon vivre et lorsqu'on visite cet endroit pour la première fois, l'on pense que l'on ne culpabilisera pas d'y abandonner sa fille en pension. 

Une tradition, un projet

La brochure ne démentit pas la première impression. C'est un lycée où tout enfant pourra se développer tranquillement et étudier avec sérénité." Riches d'une longue tradition nous formons les jeunes à toutes les dimensions de la vie afin qu'ils deviennent les acteurs de leur réussite" mentionne la brochure de l'établissement. On y découvre ainsi la grande diversité de propositions en terme d'études mais aussi d'activités parascolaires. Les trois axes: réussites scolaires, développement personnel, ouverture internationale. Ainsi l'apprentissage des langues y est particulièrement favorisé, ainsi que l'attention à l'individu. Pas moins de dix voyages par an sont organisés toutes sections confondues et les sorties scolaires et culturelles sont pléthores.  enfin la cantine privilégie la nourriture de qualité et d'origine bio.

De 4000 à 8800 euros par an

Evidemment ce cadre idéal, à quelques stations de la gare Saint-lazare à un coût. Mais l'on se dit que le sacrifice à un sens. Ainsi l'on ne rechignera pas pour son bout de chou à investir précisément 4390 euros pour une année de première ou de terminale en demi-pension voire même 8800 euros en incluant la pension complète pour l'année. Et pour ceux qui souhaiteraient que leur progéniture y réalise leur scolarité entière, quelques 15000 euros environ leur seront demandé.

Alors, il va de soi que monsieur tout le monde ne pourra pas scolariser ses enfants dans le joli établissement. Ce sont ainsi les fils et filles de grands noms de la presse, de la vie politique, du milieu industriel, du cinéma, de la justice qui viennent user les chaises de la petite école. Il suffit d'observer une petit quart d'heure, les élèves à la récréation pour réaliser que la plupart n'est pas vétue pour moins de 500 euros. Cependant ce n'est pas toujours le cas. Le lycée attire aussi l'appétit de familles moins aisées, soucieuses de l'ascension sociale de leurs enfants. Ainsi de nombreux enfants d'immigrés moins aisés ou issus de la classe moyenne font parti des élèves de ce lycée. Dans ce cas, il n'est pas difficile d'imaginer ce que cette scolarité au tarif mensuel d'un loyer parisien, implique comme privations ou heures supplémentaires dans la vie de parents. Ainsi l'on s'attend à ce que le service soit irréprochable. Cependant le joli lycée, dans la réalité, ne semble pas être à la hauteur de ces belles espérances. 

Une belle coquille toute crottée

Une fois franchies les portes de l'établissement, éprouvée la vie quotidienne du lycée, toutes les belles illusions semblent tomber comme des mouches les unes après les autres. Un professeur ayant exercé dans ce lycée pendant deux ans témoigne.

" Ce qui m'a d'abord frappé dans ce lycée, c'est la vétusté de certains locaux ainsi que la saleté. Le proviseur se  targuait en réunion de rentrée d'un important budget de fonctionnement pour le lycée et je ne comprenais alors pas pourquoi celui-ci était aussi peu entretenu." 

Au fil du temps cette impression ne fit que se confirmer: locaux trop petits et pas assez nombreux, nettoyées deux fois par semaine au maximum, toilettes des professeurs insalubres et très vétustes pour les élèves, fenêtres, portes et matériel endommagés non remplaçés. Les conditions privilégiées et agréables semblaient donc ne pas avoir été à la hauteur de ce qui avait été annoncé.  

"J'ai même dû assurer des cours dans de toutes petites salles en sous-sol d'une bâtisse ancienne, sous prétexte que j'avais peu d'élève, explique-t-il, il y régnait une odeur de moisi et les élèves se plaignaient d'étouffer et de ne pas être respectés." 

Ce n'était d'ailleurs pas, semble-t-il, la seule chose dont les élèves se plaignaient bien que selon ce même professeur, ils aient été peu nombreux à oser dire que "s'ils payaient aussi cher ce n'était pas pour avoir cours dans des sales aussi vétustes et mal équipées."

Phisique et phylosophie au programme

Bien sûr la les locaux ne font pas toute la qualité d'un lycée. Ou devrions-nous dire d'un "licée"? Il y a aussi le niveau du personnel qui doit les guider sur les voies de l'excellence, de la réussite, ceux qui doivent empêcher que tous ces jeunes "tiennent les murs". C'est ainsi qu'on leur concocte un programme d'enseignement et d'évaluation intensif digne de sportifs de haut niveau: un devoir surveillé par semaine, et quatre bacs blancs dans l'année. Passons sur le fait que le premier bac blanc se déroule au beau milieu du premier trimestre et que les notes en sont en majorité catastrophiques étant donné la grande précocité de l'épreuve.  Ainsi, les élèves, jugés, dans leurs admissions postbac sur leurs résultats du premier et du second trimestre, en sont souvent pénalisés pour la suite de leur études. Un autre professeur ayant enseigné dans ce lycée évoque aussi le fait que certains encadrants ne maîtrisent pas les bases même du français.

Celui-ci n'évoque pas le cas d'enseignants d'origine étrangère, non, il évoque simplement le niveau de langue de certains personnels administratifs et enseignants. "Un jour l'administration du lycée m'a remis un dossier contenant les sujets de bac blanc en philosophie, le dossier mentionnait en gros la matière "phylosophie", et j'ai compté pas moins de dix fautes d'orthographes dans les consignes de déroulement de l'épreuve. Le professeur de philosophe en a tellement été outré qu'il s'est porté pâle deux jours. Il avait cru à une mauvaise blague". Plusieurs mois plus tard, un même dossier mentionnait en couverture l'épreuve de "phisique", et tout cela bien visible depuis les tables des élèves. Le personnel aministratif, quoiqu'il n'enseigne pas n'a-t-il pas tout de même à maîtriser les rudiments de la langue française? Il semble que certains professeurs aussi s'affranchissent de la nécessité de savoir parler et écrire français. "C'est ainsi que des professeurs de sciences, tout préoccupés par leurs belles matières en oublient de savoir conjuger correctement leurs verbes dans les appréciations des bulletins trimestriels!" 

De l'usage du contractuel jetable

D'autre part, les lycées privés comme celui-ci font beaucoup appel aux enseignants contractuels. En effet, les lycées privés ont beaucoup de mal à combler leurs postes en embauchant des enseignants titulaires dans le secteur privé. Mais ce choix du contractuel semble motivé aussi par d'autre raisons. "J'ai vu défiler parfois trois professeurs sur un même poste en un an". Si parfois, ce turn over est dû à la fuite d'un professeur appeuré par la structure, souvent il  s'agit d'une fin de non retour de la part de la direction." explique l'enseignant. "Un professeur de physique a été embauché en début d'année, on lui a vendu le poste pour dix mois avec une période d'essai de  quatre mois, il a donc déménagé de province pour venir enseigner dans ce lycée. Mais en réalité l'objectif était de remplacer un professeur en congé maternité. Aussi au bout des quatre mois, il a été licencié alors qu'il venait seulement de toucher son premier salaire!" Les professeurs contractuels ont de surcroît une situation souvent précaire dans les lycées et sont donc plus maléables par peur de perdre leur emploi et disposés à donner plus de leur temps pour la vie du lycée ainsi qu'à accepter des postes difficiles précaires et imcomplets. 

Il est à souligner que les contractuels de la fonction publique reçoivent parfois leurs salaires presque trois mois après leur embauche. Les délais de paiement de la fonction publique sont extrêmement longs et mettent de nombreux enseignants dans des situations parfois très précaires. "Le premier mois, je venais enseigner sans acheter mon abonnement de transports, car on ne m'avait versé encore aucun salaire et je n'avais pas les moyens de le payer, or j'ai été contrôlé et manque de chance c'était dans le même wagon qu'un de mes élèves!" explique un enseignant contractuel ayant exercé aussi dans ce lycée de Vaucresson.

On repassera pour les cours de morale

Evidemment, le sentiment de peur pour sa situation au sein d'un lycée ne va pas de pair bizarrement avec la solidarité et le soutien. Aussi plusieurs professeurs évoquent la mauvaise atmosphère régnant entre les professeurs de ce lycée. "On s'y observe, on y guette les erreurs et faux pas de l'autre, on colporte de fausses rumeurs et de fausses informations. Hypocrisie, mesquinerie, clientélisme, flâtterie excessive, dénonciation. "Voilà les valeurs qu'on y transmet!" s'indigne finalement ce professeur. 

Finalement, cet établissement de Vaucresson a le mérite de ne pas mentir sur ses objectifs: le machiavélisme n'est-il pas la meilleure des politiques pour réussir dans la vie aujourd'hui?

J.R

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