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L'insoutenable violence de l'être.
Je viens vers vous pour vous manifester une détresse. Pas de celles qui surviennent à l'impromptu. Non, au contraire, une détresse lancinante et peu ou prou absente des médias. Je parle de handicap, surtout de paupérisation des personnes en situation de handicap. Je parle de malveillance. Je parle d'une absence totale d'empathie. Je parle de l’introduction de la notion rentabilité.
La prise en charge des personnes en situation de handicap dans leur quotidien est aménagée et légiférée par des lois et décrets datant de 2001, 2002 et 2005. Toutes les lois et décrets de ces époques étaient une avancée. Ces progrès, à l'initiative de la Commission Européenne et d'une réflexion de l'OMS, apportaient une humanité tant dans la prise en charge des personnes en situation de handicap que dans leur inclusion sociétale.
Toutefois au bout de dix ans lorsque tous les aménagements ( PCH en priorité ) ont dû être renouvelés, le convenable devenait aux yeux de l'État trop onéreux.
La Prestation de Compensation du Handicap (PCH) est l'essentiel de la personne dépendante, son vital. Elle consiste à lui apporter le nombre d'heures en aide humaine dans son quotidien afin que celui-ci soit le plus favorable. Cette aide humaine est évaluée par une équipe de professionnels de la Maison Départemental des Personnes Handicapées ( MDPH ) tout les six à dix ans.
Les MDPH sont sous la tutelle du département, et donc directement de sa politique et de son budget. Le méprisant et l'odieux ont d'abord servi de levier pour faire baisser le nombre d'heures allouées aux nouvelles PCH en 2015. Les MDPH de très nombreux départements se sont mises à utiliser un guide du CNSA ( Caisse Nationale de Solidarité pour L'Autonomie ).
Ce guide minutait la durée de chaque acte, comptabilisait minutieusement avec horreur le quotidien des bénéficiaires. Son but n'était que la rationalisation et l'économie, rendant avilissante la vie des personnes handicapées.
Après quelques années, le CNSA a reconnu avoir été maladroit. Il y a toujours plus profond que le fond. Afin de définitivement sanctionner une politique d'austérité, les décrets concernant les PCH de 2005 ont été modifiés avec donc une logique d'économie. L'accompagnement à la vie sociale, la préparation des repas, le ménage ... toutes ces aides sont devenues extra-légales, donc plus subventionnées.
Effet ricochet, le métier d'auxiliaire de vie s'est lui aussi paupérisé. Les personnes en situation de handicap ayant moins d'aides, moins de demandes, de facto. Le métier s'est compliqué avec des amplitudes horaires de 12 heures dont seulement 6 travaillées et rémunérées.
Toutes les auxiliaires de vie dites " sédentaires " au sein des associations ont depuis longtemps déserté, laissant les usagers avec un personnel peu ou pas formé, souvent mal encadré, et enclin à quitter très rapidement, un emploi usant, rémunéré souvent en deçà du SMIC faute d'heures travaillées.
Restent l'emploi, l'inclusion, l'école, le logement. Dans un l'article de l'Est Républicain je faisais une remarque laconique sur la loi Elan, réglementant l’accessibilité des logements neufs au rez-de-chaussée, la trouvant trop restrictive ; seulement trois ans plus tard elle est à nouveau amputée. Faut-il rappeler que la loi de 2005 prévoyait 100 % de logements accessibles au rez-de-chaussée.
Le chômage est endémique. Il est sans conteste à l'origine d'une laide et triviale maturation de l'inclusion des personnes en situation de handicap.
Dans tout leur quotidien, dans tous leurs horizons.
Abordons aussi l'indécent, cette capacité et ce quelques soient les gouvernements à pouvoir envisager une personne vulnérable comme une chose. Comme un chiffre dans les grands tableurs- excel de l'ARS. Tableur dont l'algorithme doit être la rentabilité. Le tableur existe déjà. Il est en marche.
Malgré la clairvoyance de l'ARS sur l'échec de la tarification à l'acte à l'hôpital, voici qu'elle arrive dans le sanitaire et social. C'est là. Ça a commencé par les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens ( CPOM ). Auparavant, les besoins définissaient les moyens, dorénavant c'est les moyens qui définissent les besoins. Un préjudice financier pour les usagers comme pour le personnel des institutions. Le projet Seraphin-PH, dont personne ne parle, que seulement les professionnels connaissent et qui crispe d'avance la manière d'envisager leur travail auprès des plus vulnérables.
L’objectif de ce projet est de proposer un nouveau dispositif d’allocation de ressources aux établissements et services pour l’accompagnement des personnes handicapées. Il est calqué sur les réformes hospitalières successives et s’inscrit dans la continuité des politiques libérales mises en œuvre dans le secteur médico-social. Dans le secteur hospitalier, la tarification à l’acte a fait basculer le financement des établissements d’une logique de moyens à une logique de résultats, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît aujourd’hui tant pour les malades que pour le personnel.
Avec ce projet, la tarification à l’acte arrive dans le secteur médico-social. On passe du concept de prise en charge globale à celui de rémunération à la prestation. Elle va impliquer un découpage par prestations (nomenclatures) de la prise en charge des personnes accueillies qui ne peut conduire qu’à une segmentation des prestations totalement contraire à la considération de la personne dans sa globalité.
Objectifs du projet SERAFIN-PH :
– Mettre en concurrence les établissements entre eux.
– La personne humaine va ainsi disparaître derrière le financement de l’acte codifié, sans aucune vision globale de l’individu dans son rapport et à sa place dans la société.
– Réduire les coûts des prises en charges des Établissements Sociaux et Médico-sociaux (ESMS) pour que le coût de la prise en charge soit le plus faible possible, avec des conséquences sur les emplois, les conditions de travail et/ou la qualité de l’accompagnement des enfants.
Sous prétexte de mieux définir les moyens, le but est bien de réduire de façon importante les budgets des établissements. Le gouvernement définit des indicateurs de prestations. Tous ces indicateurs alimenteront les réformes tarifaires actuelles et leurs évolutions futures. Elles doteront les Agences Régionale de Santé (ARS), les Conseils Départementaux et les Établissements Sociaux et Médicaux Sociaux (ESMS) d’indicateurs conçus en adéquation avec les logiques et outils qui composeront le futur référentiel tarifaire.
Conséquences du projet SERAFIN-PH :
– Ne plus donner les moyens nécessaires pour répondre aux besoins des usagers. Le passage d’un budget basé sur des prix de journée vers un financement à l’activité va empêcher les projets institutionnels à moyen et long terme. De ce fait, ce projet n’est qu’un instrument au service des politiques d’austérité.
– Ne plus mettre la personne handicapée au centre du dispositif d’accompagnement. Ce projet induira des prises en charge adaptées aux budgets des établissements et non aux besoins des usagers. Ainsi, la personne ne sera vue qu'à travers le prisme de son handicap. Ce ne sera plus la personne qui sera prise en charge, mais son handicap.
Le projet SERAFIN-PH n’est qu’un nouvel outil financier au service du démantèlement du secteur médico-social et de l’action sociale. Et si aujourd’hui c’est le secteur médico-social qui est directement visé, c’est en effet plus globalement toute l’action sociale qui, par les réformes successives et les politiques d’austérité, est attaquée jusqu’à remettre en cause le sens même du travail social. Tous ces acronymes et leurs horizons vous semblent sûrement nébuleux, peut être byzantins. Ils sont à l'image de cette gestion technocratique qui existe aujourd'hui partout. L'humain et l'indulgent sont sacrifiés sur l'autel de la rentabilité.
Les mass média, enquêtent, relatent au jour le jour ces scandales dans les maisons de retraites. Tous ces mauvais traitements sur des personnes âgées vulnérables. Toutes ces dérives qui trouvent leurs origines dans le profit et la rentabilité. Et ils ont raison de le faire. C'est un devoir et aussi un pouvoir des médias que de faire vivre l’effroi.
J'aurai pu crûment commencer ce message, cette bouteille à la mer en vous disant que je connais beaucoup trop de personnes handicapées qui ne mangent plus à leur faim, qui n'ont plus de loisirs, qui vivent de plus en plus souvent de manière insalubre. Ces personnes, qui faute d'une politique décente, sont susceptibles de dormir dans le caca ou dans le pipi. C'est une réalité chronique en 2022 en France.
Je ne suis pas incassable*. Je suis faillible. Je suis un humain, pas une machine et encore moins un chiffre.
* cf : France info TV - JO 2021 handisport