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Billet de blog 9 juin 2020

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Jeudi 19 mars

PPP : Peurs, Psychoses et Paranoïas

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au petit matin, vive douleur à l’oreille. Ce n’est pas une douleur inconnue : elle me vient de temps en temps. Parfois annonciatrice d’un rhume, le plus souvent de rien du tout. Mais, dans les circonstances, le petit vélo se met en route dans la boite crânienne et on commence à imaginer toutes sortes de choses. Évidemment, après petit déjeuner, habillement et douche, aucune douleur, tout va bien.

Même chose avec le nez qui coule des enfants… alors que, bon, on ne les appelle pas « morveux » pour rien, non ? Habituellement, le nez d’un enfant coule sans interruption pendant au moins six mois de l’année, pourquoi en irait-il différemment en ce moment ? Et si le nez de la petite coule aussi généreusement ce matin, c’est sans doute qu’une poussée dentaire l’agace — il y a d’autres signes : son réveil en pleurs cette nuit, son irritabilité, son désir d’être toujours dans nos bras.

Pour les grands garçons, la situation est beaucoup plus paradoxale : n’étant plus en contact avec leur collectivité habituelle, leurs nez sont justement… Tout secs ! Sauf lorsqu’ils se disputent un peu violemment, ce qui est déjà arrivé une fois depuis le début du confinement, mais ce qui coulait n’était alors que du sang : ouf, serait-on presque tentés de souffler !

Le seul souci de santé qui pourrait vraiment nous pourrir la vie aujourd’hui, c’est le dos : ne plus pouvoir porter les enfants. Et un mauvais geste ce matin en tentant d’habiller le cadet a résulté en un point douloureux, au milieu du dos, vers le haut. À surveiller.

Mais les psychoses vont bon train. Comme les paranoïas. Expérience surréaliste hier après-midi, dans une queue devant une pharmacie : l’une des clientes, un peu pompeuse et paternaliste, certes, commençait à donner des cours d’hygiène et de fabrication de masque à une autre, qui s’offusquait : sa réaction était presque violente, disproportionnée. Elle prenait ce cours a priori bienveillant (même si profondément agaçant, j’en conviens) comme une attaque à sa dignité.

Ma plus grande peur, même si j’essaie à tout prix de la refouler, vient de ma compagne et de son travail exposé à l’hôpital. D’autant plus que, dans l’unité cognitivo-comportementale où elle a été réaffectée après la fermeture de son service, les mesures de confinement sont impossibles à imposer, eu égard à l’état de santé et de conscience des patients. Sans parler des « gestes-barrières » : la vieillesse est une deuxième enfance, et en l’occurrence, cette seconde enfance est pire que la première en termes d’apprentissage de l’hygiène — le terme « apprentissage » était ici choisi à dessein. Pas de confinement, pas ou peu de protection disponible. Deux tests seulement du virus possible : on attend donc que les suspicions de cas deviennent plus que de simples suspicions avant de griller ces dernières cartouches.

Donc, peur pour ma compagne, ça c’est certain.

Mais peur aussi des psychoses et paranoïas qui s’installent dans notre société. Les images de toutes ces épidémies hollywoodiennes reviennent en mémoire avec leurs lots de violences, de pillages, de mépris, de boucs émissaires… Cette épidémie, et les moyens a priori hyper renseignés scientifiquement pour l’affronter, sont paradoxalement en train de replonger dans une forme de moyen âge.

Billet publié sur www.inacheve.net

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