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Billet de blog 19 septembre 2020

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Les antimasques : une tendance complotiste ?

Depuis presque un mois, les français se sont accoutumés au port du masque dans leur vie quotidienne. Mais dans le pays des irréductibles gaulois, un mouvement, encore marginal, estime plus que nécessaire de remettre cette obligation en cause. Explications.

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  • Un rapide retour sur les faits

Février 2020. La COVID19 entame sa diffusion à travers le monde. En France, une nouvelle ruée vers « l’or sanitaire » commence. Les pharmacies voient les flacons de gel hydroalcoolique et les masques chirurgicaux s’écouler à grande vitesse.

4 mars 2020. Olivier Véran, Ministre des Solidarités et la Santé, déclare lors d’une annonce de presse : « Les masques sont inutiles. J’en appelle à la responsabilité de chacun »

16 mars 2020, 20h. Emmanuel Macron prend la parole en direct et annonce une mesure inédite : « Dès demain midi et pour 15 jours au moins, nos déplacements seront très fortement réduits. Cela signifie que les regroupements extérieurs, les réunions familiales ou amicales ne seront plus permises ». S’en suivent deux mois de confinement avec toutes les mesures et restrictions que nous connaissons.

Le lendemain, 17 mars, Olivier Véran annonce que 110 millions de masques seulement sont disponibles dans les stocks de l’État. Le gouvernement réserve les masques pour les professionnels du milieu hospitalier. Dès lors, les débats autour du masque s’enchaînent. « Ce n’est pas le consensus scientifique qui manque, ce sont les masques ! Arrêtez de mentir aux Français ! Qu’attendez-vous pour planifier la production et la distribution ? », interroge le député Bastien Lachaud de la France Insoumise. La mauvaise gestion du stock de masques sème l’incompréhension et la méfiance. « Nous savons que la pénurie n’est pas de votre seul ressort, mais s’il vous plaît, cessez de nous prendre pour des abrutis. Est-ce si difficile de s’abstenir de mentir ? » (Raphaël Glucksmann, député européen)

Il faut attendre début mai pour que l’État laisse la grande distribution se charger de l’importation des masques en masse, et les rende enfin disponible au « grand public ». Le port du masque est rendu obligatoire dans les transports en commun, puis dans les magasins. Enfin, il devient finalement obligatoire le 20 juillet dernier dans tout l’espace public sous peine d’une amende de 135€.

Le mouvement antimasque face au « Nouvel Ordre Mondial »  

29 août 2020. Place de la Nation, à Paris, entre 200 et 300 personnes se retrouvent afin de manifester contre l’obligation du port du masque. Loin des milliers de personnes qui se sont rassemblées, pour la même cause, à Berlin ou en Floride, ils brandissent cependant tout aussi fièrement leurs étendards. « Stop aux mensonges, à la corruption, à la dictature. Un monde de paix, de liberté, d’amour pour nos enfants ».

Alors qui sont-ils ? Assimilés aux gilets jaunes, ce n’est pourtant pas des mesures sociales qu’ils réclament. Les « antimasques » s’opposent tout d’abord au Nouvel Ordre Mondial. Ce dernier serait une alliance de tous les hommes puissants de ce monde (dont le fameux multimilliardaire Bill Gates serait à la tête), souhaitant réduire une partie de la population mondiale et rendre les autres "esclaves". La récente crise s’assimile donc à une stratégie du Nouvel Ordre Mondial pour atteindre leur objectif. Dans un premier temps, les laboratoires Bill Gates auraient créé puis diffusé le virus. Puis, vient l’épreuve du confinement, isolement psychologique destiné à impacter notre capacité de réflexion en faveur d’une peur paralysante. Une fois ce contrôle installé, la mise en place de mesures nous coupant subtilement de nos libertés. Cela s’associe au fur et à mesure à l’imposition d’une norme générale. Le masque, puis bientôt les vaccins incarnent cette conformité imposée. Car ces vaccins seraient le moyen de réduire la population mondiale tel que le déclarerait Bill Gates lors d’une conférence TedXTalk en 2010. « Le monde compte aujourd’hui 6,8 milliards de personnes. On devrait atteindre 9 milliards. Avec de très bons résultats sur les nouveaux vaccins, les soins de santé, le contrôle des naissances, on pourrait le réduire de peut-être, 10 ou 15 %, mais on gardera un facteur d’augmentation d’environ 1,3. ». Et afin d’imposer son vaccin, la COVD19 sortirait des mêmes laboratoires que ceux qui produiront le remède miraculeux, détenus là encore par la fondation Bill et Melinda Gates. Il aurait même expliqué ce plan de diffusion d’un virus, lors d’une conférence en 2015. « Il peut y avoir un virus où les gens infectés se sentent en assez bonne santé pour prendre l’avion ou aller au supermarché ».  « Nous ne sommes pas prêt pour la prochaine épidémies » (Bill Gates, TedXTalk 2015). De plus, Bill Gates n’aurait pas d’opposants dans le monde de la santé puisqu’il serait le « propriétaire » de l’OMS.  

Cette théorie sur le créateur de Microsoft, qui porte à confusion, tire sa source de paroles et de faits ressortis de leur contexte. Dans la première conférence de 2010, Bill Gates ne parle pas de réduire la population mondiale, mais de réduire le facteur d’augmentation de 10 ou 15%, qui descendrait donc à environ 1,3 (soit tout de même une évolution de la population de 130%). Puis lors de sa deuxième conférence en 2015, le multi milliardaire portait sur son discours sur les conséquences liées à la crise d’Ébola apparue un an auparavant. La diffusion rapide du virus Ébola avait montré l’incapacité de contenir un virus. Selon Bill Gates, si ce virus avait été contrôlé, c’est uniquement dû au fait que l’Afrique de l’Ouest reste une partie du monde enclavé. Il n’était donc pas difficile de prévoir une diffusion plus rapide d’un virus dans la partie Nord du monde, bien plus connecté. Quant à l’OMS, dire qu’il en est le « propriétaire » relève de l’hyperbole. Sa fondation et le deuxième contributeur au budget de l’Organisation Mondiale de la Santé, derrière les États-Unis. Cependant, cette influence sur une telle organisation peut poser question. C’est ce qu’alerte l’écrivain Lionel Astruc, auteur de l’enquête L’art de la fausse générosité. La Fondation Bill & Melinda Gates (Actes Sud, 2019).

La défense des libertés et le refus d’une pensée unique 

Dans les têtes d’affiche du mouvement « antimasque » se trouve Maître Carlo Alberto Brusa, avocat et président du cabinet parisien CAB Associés. Le 29 août, il se tient au milieu des manifestants, sur la place de la Nation, armé de son éloquence. « Il n’existe pas une pensée unique [applaudissements] ». « Le premier droit le plus important c’est la liberté ». Ce qui relie fondamentalement les antimasques, outre le combat contre un Nouvel ordre Mondial, c’est l’attachement à la liberté de pensée.

Parmi eux, il est difficile d’établir un profil de droite ou de gauche. Ils se définissent comme des « libre-penseurs », défendant la liberté au prix de la censure. Le masque est la représentation physique de cette censure. Il complique la communication verbale, et bâillonne la non-verbale.

Le 12 septembre dernier, bravant les interdits pour rejoindre le cortège des gilets jaunes, Emma, coiffée d’un carton sur lequel est écrit à plusieurs reprises le mot « liberté » et auquel sont suspendus des masques déchirés, et Alexandre, descendent les Champs-Élysées pour se rendre à Nation. Sur la mythique avenue, quadrillée par les forces de l’Ordre à l’occasion de la manifestation Gilet Jaune, elles attirent la curiosité des policiers. « Qu’est-ce qu’on a fait de mal ? On estime que respirer et parler sont des droits fondamentaux ». Chaque contrôle se passe sans altercation et dans le respect. Les forces de l’ordre n’ont pas l’air de contredire ces revendications. « Moi non plus je ne préférais pas le porter, mais c’est comme ça ». Pour les deux femmes, ils sont eux aussi bâillonnés par un État qui tente d’imposer une norme. Un slogan pour résumer cette pensée ? « Éteignez vos télés et allumez vos cerveaux ». Une uniformisation n’a pas sa place dans une société fondée sur les droits de l’Homme.

            Flashback. La loi du 9 juillet 2020 est une atteinte grave au droit français, clame le maître Carlo Alberto Brusa. Elle donne à l’exécutif, le pouvoir de priver les français de leur liberté, par décret, sans passer par le législatif. Pouvoir abusif ?

Cette loi respecte pourtant parfaitement le protocole, puisque le Parlement l’a examinée et adoptée le 2 juillet avant sa promulgation (vie-publique.fr).

Une fiabilité remise en doute

Le mouvement antimasque, derrière des théories quelque peu infondées, est aussi le résultat de changements constants de directions politiques, ainsi que de batailles de théories « d’experts ». La tendance qui s’observe dans ce mouvement n’est pas que complotiste, elle relève aussi d’un manque de confiance dans les autorités. La « mésinformation » n’a peut-être pas pour but de voir l’apparition d’un monde comme celui imaginé par Orwell dans 1984, mais elle donne cependant lieu à de nombreux débats et de maintes interrogations chez les français.

En date du 20 mars, selon un sondage de l’Ifop pour le Journal du Dimanche, seulement 39% des français faisaient confiance au gouvernement pour gérer la crise. Science Po a mené sa propre enquête du 2 au 7 avril. Sur un échantillon de 1766 français, âgés de plus de 18 ans, 32% de la population se dit confiante vis-à-vis du gouvernement (à titre comparatif, selon la même enquête, et à la même question, environ 60% des allemands et de anglais estiment leur gouvernement fiable). Quant aux médias, là encore, 31% des sondés en France répondent en leur faveur. La même étude révèle aussi que 87% des français font confiance au personnel médical. On observe donc une tendance de remise en cause de la fiabilité des acteurs politiques depuis la crise inédite que nous venons de traverser. Les français préfèrent s’en remettre aux vrais experts, cachés dans l’ombre, plutôt qu’à ceux qui monopolisent les plateaux télé.

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