« Le cyclone ce n'est pas moi »
Mayotte ce n'est pas la France sous-entend le premier ministre François Bayroux lors de ses questions au premier ministre. Les Mahorais ne sont pas français, sous-entend le président de la République en s'exclamant : « vous êtes contents d'être en France ». Il poursuit : « car si ce n’était pas la France, vous seriez 10 000 fois plus dans la merde ». À l'heure où le chiffre de 60 000 victimes (pour une population de 320 000 habitants) circule, il est difficile d'imaginer bien pire que la situation actuelle. Mais le père de la Nation ne se démonte pas et justifie ses propos le lendemain : « j'avais des gens du RN face à moi qui insultaient la France ». Mais comment donc ces Mahorais qui ont tout perdu et peinent à survivre ont-ils pu insulter la France selon lui ? Et bien ils ont « dit qu'on [l'État] faisait rien etc. » Autrement dit, la critique de l'action de l'État, optimale selon Macron, équivaut à une insulte à la France. Et ce d'autant plus que, comme il le dit si bien avec le talent oratoire qu'on lui connaît : « le cyclone ce n'est pas [lui] ! ». Il n'est pour rien dans la façon dont se sont déroulés les événements : « [le cyclone] a été préparé. Il y a eu des alertes les services étaient là ». Un court examen des faits démontre pourtant le contraire, non seulement le cyclone n'a pas été préparé, mais les actions de l'État dans certains domaines, tout comme son inaction dans d'autres depuis des années ont directement contribué au lourd bilan qui sera probablement impossible à déterminer de manière exacte.
Un territoire délaissé
L'abandon de Mayotte par la France est la première raison du lourd bilan du cyclone. L'archipel a toujours été le territoire le plus délaissé de l'Empire. Cette situation a perduré après le détachement de Mayotte des Comores en 1975. Concernant le logement, le constat est sans appel. 100 000 personnes vivent dans des bidonvilles. En 2017, l'habitat précaire représentait 40% du logement. Ces logements ont été complètement soufflés par le cyclone, et l'omniprésence de la tôle fait craindre un bilan catastrophique. Même les bâtiments stratégiques (aéroport, hôpital, abris) n'ont pas été épargnés, n'ayant pas été construits aux normes anticycloniques. Ainsi, l'hôpital sous-dimensionné dès avant le cyclone et manquant de personnel, fonctionne en sous-régime. La tour de contrôle de l'aéroport ayant été endommagée, les secours ont tardé à venir, dans les premiers jours seule une rotation par jour avec la Réunion a été mise en place. Aucun dispositif ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) en cas de cyclone n'avait été mis en place. En d'autres termes, que ce soit en termes de prévention, ou de réponse à la catastrophe cyclonique, rien n'était prévu. Les plus hautes autorités de l'État étaient bien sûr au courant, plusieurs rapports avaient été transmis, le dernier en date datant de février 2024. Ce dernier pointait du doigt l'état d’impréparation de l'archipel aux catastrophes climatiques et prévoyait un bilan humain très lourd en cas de cyclone.
La responsabilité des migrants ?
Dès le lendemain du passage du cyclone, le gouvernement (démissionnaire), les éditorialistes et certains notables locaux n'ont pas hésité avant de désigner l'immigration comme source du problème au lieu de dénoncer les manquements de l'État. Leur première priorité est même d'expulser les sans-papiers. En réalité, la problématique de l'immigration est un pare feu pour les autorités qui s'en servent pour détourner le regard et la colère des véritables problèmes de Mayotte. L'État y applique le vieil adage du diviser pour mieux régner. En effet, la grande majorité des immigrés viennent de l'archipel des Comores, auquel Mayotte appartient géographiquement. Ils parlent la même langue, ont la même religion, la même culture, une histoire commune et partagent de nombreux liens du sang avec les Mahorais. La circulation entre les îles a toujours été une réalité et c'est la mise en place du visa Balladur en 1995 qui a drastiquement limité les voies d'entrée régulières à Mayotte pour les Comoriens et fait gonfler les chiffres de l'immigration irrégulière. Si Mayotte reste de loin de le département le plus pauvre de France, elle n'en reste pas moins plus attractive pour les voisins Comoriens encore plus démunis. Anjouan étant située à 70 km de Mayotte, rien ne les empêche de chercher une vie meilleure, pas même les traitements inhumains qu'ils subissent du fait de la politique répressive française. Cette répression aboutit à un bilan humain dramatique. Le Sénat estimait en 2012 que 7 à 10 000 personnes sont mortes en 17 ans en tentant de rejoindre Mayotte à l'aide de barques de pêche (les fameuses Kwassas-kwassas, qui « pêchent peu mais ramènent du Comorien » selon les bons mots de notre président de la République).
Dans la déstabilisation de la région, par ailleurs, la France a très largement joué un rôle, en diligentant des coups d'État, notamment en appuyant le mercenaire Bob Dénard. Depuis peu, des migrants arrivent également de l'Afrique des Grands Lacs. La route libyenne vers l'Europe étant particulièrement dangereuse, (l'Union Européenne paie des chefs de guerre libyens, souvent partis liés avec les passeurs, pour empêcher les migrants de prendre la mer vers l'Europe, et accessoirement les violenter), certains migrants tentent leur chance en traversant la canal du Mozambique.
La chasse aux immigrés a mené au désastre
Dans un territoire délaissé, les autorités n'ont rien trouvé de mieux que de mettre en place la chasse aux immigrés. Des moyens humains et techniques énormes sont destinés à la surveillance des frontières, les sans-papiers sont régulièrement raflés (sur la route de l'école, de l'hôpital, de la préfecture ou encore lors des distributions d'eau) et expulsés sans que leurs droits fondamentaux ne soient respectés, leurs cases sont détruites les forçant à trouver des solutions encore plus précaires. Tout cela est inefficace. Chaque année, 20 000 personnes sont expulsées (40 % du total des reconduites à la frontière en France) et reviennent quelques temps plus tard s'ils ne finissent pas noyés.
Le seul résultat de la politique répressive, c'est d'avoir empêché les sans-papiers de s'abriter du cyclone. L'État avait mis à disposition 10 000 place dans des abris, déjà insuffisantes par rapport aux 100 000 habitants des bidonvilles, seules 3 000 personnes s'y sont rendues. En effet, seules des alertes téléphoniques ont été envoyées en français, que beaucoup ne lisent pas. Quant à ceux qui étaient au courant, ils ont cru qu'il s'agissait d'un prétexte pour les rafler. Encore aujourd'hui, beaucoup ne se rendent pas à l'hôpital ou aux distributions d'eau et de nourriture pour les mêmes raisons. Encore faut-il que ces distributions aient lieu. Six jours après le cyclone, le préfet de Mayotte admettait que personne ne s'était rendu dans les bidonvilles, zones les plus atteintes par le cyclone, prétextant d'urgences davantage vitales...
Le cyclone n'est pas imputable à Macron. Ses conséquences, y compris le bilan humain, résultant de l'impréparation de l'État, de son désintérêt volontaire pour Mayotte, des politiques migratoires inhumaines sont à mettre à son compte ainsi qu'à ceux de ses prédécesseurs. Au lieu de reconnaître ses responsabilités et de tout mettre en œuvre pour secourir les Mahorais, Macron est venu donner des leçons empreintes de paternalisme et de colonialisme. Une semaine après le désastre, alors que l'hôpital de campagne promis n'est toujours pas déployé, que des zones entières n'ont toujours reçu aucune aide, et que seuls les Hexagonaux peuvent quitter Mayotte, on peut douter du dévouement des autorités françaises envers la population de Mayotte.