Il y a quelques mois, nous apprenions que de très nombreuses bouteilles d’eau minérale contenait de la matière fécale. Voilà une information qui aurait dû provoquer un changement brutal. Dans n’importe quelle civilisation à peu près saine, la réaction immédiate aurait été de ne plus jamais boire de cette eau-là. Et, par simple mesure de précaution, d’étendre le principe à toutes les eaux en bouteille.
Nombre d’interdits religieux ou culturels traditionnels ont pour substrat cet avertissement sanitaire simple : manger de la merde c’est mortel. Seule une civilisation comme la nôtre peut passer outre une telle mesure élémentaire de survie.
L’individu d’une telle civilisation ne pense pas que manger de la merde soit condamnable en soi. Cet individu avait certes un apriori négatif sur la question. Il avait, par exemple, appris à ne pas manger dans le même lieu où il déféquait ; puis, contraction de l’espace sous la pression du coût du loyer aidant, pour nombre d’habitants de cette civilisation, manger et chier dans moins de vingt mètres carrés, est devenu la norme -les plus délicats tireront un rideau entre la table à manger et la cuvette des toilettes.
Un tel individu, par des mécanismes de rationalité pragmatique, saura s’accommoder de la matière fécale dans son eau minérale. Non, il ne pensera pas forcément que le fécal soit un minéral -tout le monde ne peut pas être un poète trumpiste soignant son Covid à l’eau de Javel. Il aura plutôt tendance à considérer qu’il a toujours bu de l’eau minérale et que celle-ci a probablement toujours été infectée. Or, constate-t-il, il n’est pas mort.
Ainsi, le scandale de l’eau contaminé aura eu pour effet cognitif non pas la décision d’un changement (plus jamais une eau en bouteille) mais une acceptation de plus (payer pour boire de la merde dans une bouteille en un plastique qui contribuera à contaminer les océans). En somme, plutôt ingurgiter de la merde que changer d’un iota. McDonald l’avait bien compris, Nestlé l’a confirmé.
Personne ne croit à la communication de la compagnie qui dit avoir contenu l’infection, à grand renfort de « reportages journalistiques » sur des millions de bouteilles rappelées et détruites. La communication ne doit pas convaincre, elle doit simplement offrir un halo d’incertitude permettant de ne pas être certain de boire les selles de la communauté. S’il lui fallait convaincre, la communication n’aurait aucune chance : de la merde dans une seule bouteille serait la fin, sans recours possible, de cette manière absurde et mortifère de consommer de l’eau.
C’est ainsi que nous savons parfaitement aller droit dans le mur mais n’importe quelle faribole niant ce mur est assurée de rencontrer un succès populaire jusqu’à devenir vérité officielle (l’autre nom de « vérité alternative »).