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Billet de blog 2 septembre 2025

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En Argentine, le retour de la censure

Pour le libertarien, la liberté d’expression se termine là où commence celle d’informer. Afin de protéger son système de corruption, Milei s’engage dans la censure

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Afin de protéger son système de corruption, Milei s’engage dans la censure, notamment à travers un juge à sa solde qui a tout bonnement interdit la diffusion d’enregistrements. Or ceux-ci sont d’intérêt public puisque la personne enregistrée est Karina Milei, la sœur avec qui le président entretient une relation fusionnelle. Celle-ci est impliquée dans une affaire de corruption moralement abjecte : un système d’écrémage permanent du budget alloué au handicap. La censure préalable est ainsi rétablie contre la Constitution et une règle élémentaire du système démocratique.

Tout commence par la diffusion d’autres enregistrements, deux semaines auparavant, dans lesquels on entend Diego Spagnuolo, le directeur de l’Agence National du Handicap (Andis). Ce très proche de Javier Milei y décrit un système de corruption qui permet à Karina Milei de recevoir 3% de tout ce que (sur-)facture l’entreprise pharmaceutique Suizo-Argentino (dont les contrats avec l’Etat sont passés de 3 900 millions à 108 000 millions de pesos depuis l’arrivée de Milei, soit une multiplication par plus de 25 en moins de deux ans…).

Rappelons que ce système de corruption se déploie dans le même temps que le gouvernement coupe à la tronçonneuse dans le budget dédié au handicap. En clair, je te retire officiellement la chaise roulante et, dans le même temps, je te pique les béquilles.

Suite à la première vague de filtration, Javier Milei, habitué à éructer tous les jours sur tout, s’est fait très discret pendant une semaine. Puis, voulant participer à la campagne électorale (pour les élections de la province de Buenos Aires qui ont lieu dimanche prochain), il s’est rendu dans le cordon populaire de Buenos Aires, où il a été reçu avec des légumes pourris et des pierres par une population indignée. Quelques jours plus tard, devant un parterre de chefs d’entreprise, il a affirmé ne pas craindre recevoir des pierres mais il s’est bien gardé de retourner en banlieue. Il est très courageux devant ses amis.

La voix de la Corrompue (la “Coimera”) et les délires de Bullrich

Vendredi dernier a commencé la seconde vague de filtration. Cette fois, il s’agit de la voix de Karina Milei, apparemment enregistrée dans la Casa Rosada (le palais présidentiel). Bien que les courts enregistrements ne révèlent rien de compromettant, le gouvernement a, cette fois, sur-réagit sur le thème de la violation de la sécurité nationale. En effet, argumentent ces baltringues, les enregistrements dans la Casa Rosada indiquent qu’il y a eu une faille de sécurité au cœur de l’appareil d’Etat. Dans la foulée et sous cette même ligne argumentative, un juge a prononcé la censure.

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Puis, la ministre de la Sécurité a dénoncé dans des émissions de télé une vaste conspiration qui inclut des « services étrangers et des services nationaux [locaux] », afin de justifier, non seulement l’interdiction de la diffusion d’enregistrements mais aussi la perquisition des maisons de plusieurs journalistes. La ministre en question, Patricia Bullrich, bénéficie d’une crédibilité assez exceptionnelle, elle constitue une source à peu près aussi fiable que Donald Trump ou Richard Nixon dans ses beaux jours.

Ainsi, il y a un an et demi, elle avait fait rire tout le pays en dénonçant une opération terroriste en cours. L’enquête a révélé qu’il s’agissait d’un professeur de pingpong qui voulait s’installer à Buenos Aires. Or, il provenait de Colombie et avait un nom à consonance arabe. Voilà qui avait alerté Patricia Bullrich qui s’est précipité sur tous les plateaux de TV pour commenter l’attaque terroriste… Donc, forcément, on la croit quand elle parle d’une conspiration qui inclut le Venezuela, la Russie et l’opposition. D’ailleurs, Lee Harvey Oswald aurait aussi participé à la conspiration contre Milei. C’est clair.

Le juge accusé de viol

Bien. Revenons au monde réel. Le juge, qui a exigé la censure et les perquisitions chez des journalistes, est dans une situation un peu particulière. Il est lui-même dénoncé pour de nombreux délits et crimes, dont un viol, si bien qu’il se trouve en instance de passer devant le conseil de la magistrature. Si celui-ci le suspend -comme c’est à prévoir-, il pourra être ensuite destituer par le Parlement. Dès lors, sa procédure, de toute évidence anticonstitutionnelle, s’entend comme un moyen de séduire des élus du parti du président qui pourraient empêcher sa destitution.

Voilà, voilà. Tous les apologistes européens de Milei, on ne vous oublie pas.

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