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Billet de blog 3 août 2023

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La fronde policière est soudée par l’ampleur des crimes policiers

Si les policiers se montrent si "solidaires" avec leurs collègues inculpés, c'est surtout parce qu'un grand nombre d'entre eux savent avoir commis des actes similaires. Ils renvoient la responsabilité au pouvoir politique qui s'écroulerait sans cette violence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est seulement avec les premiers bilans provisoires (que tente de dresser Médiapart) du nombre et de la gravité des violences exercées par la police pour mater la révolte d’une partie de la jeunesse que se comprend l’attitude des policiers frondeurs. De la « haie du déshonneur » jusqu’aux caresses publiques de leur hiérarchie, en passant par les grèves larvées, la grogne policière reste sinon assez incompréhensible. (Le terme « grogne » est habituellement utilisé très mal à propos dans la presse pour parler de mouvements sociaux, il sied cependant très bien dans les cas de policiers ou militaires du fait de comment ils conçoivent leur fonction). 

Rappelons que la hiérarchie dispose de puissants moyens de coercition (elle peut facilement briser les carrières ou, plus rapidement encore, les étrangler financièrement) pour obtenir l’obéissance de ses agents. Rappelons aussi que la police (avec l’armée) est l’un des corps de l’Etat parmi les plus obéissant. Culturellement, ce n’est pas une institution où l’on joue à défier son chef (quelque soit les rapports de force fluctuants entre syndicats et autorités politiques).

 
De ces constats, il découle, d’une part, que la grogne policière dispose d’une complicité de sa hiérarchie (évidente avec les déclarations de ses plus hauts responsables et le mutisme du pouvoir politique). D’autre part, et c’est notre point, qu’il existe un puissant motif à cette fronde. 

La solidarité avec les inculpés résulte d’une conscience aigüe d’avoir commis les mêmes actes

À écouter le récit médiatique dominant qui relaie les voix de policiers frondeurs, on pourrait croire à une solidarité spontanée de travailleurs de la violence légitime préoccupés par le sort de camarades inculpés. Ce n’est pas tout à fait faux mais le ressort principal de cette « solidarité » est moins altruiste qu’il n’y paraît. C’est la conscience d’être le prochain sur la liste qui fait agir. Les policiers ne se mobilisent pas tant pour faire sortir leurs collègues sous les verrous que pour éviter de s’y retrouver aussi. Ils cherchent une amnistie générale qui leur assure une totale impunité car ils savent que la liste est longue derrière (ce dont nous -hors de l’institution- prenons seulement conscience progressivement, du fait d’informations -cruciales- retenues par les ministères de l’Intérieur et de la Justice). 

Les policiers sont habitués au récit de la « pomme pourrie » et s’en accommodent généralement assez bien. Ils jugent, dans ce cas, que c’est le panier qui est menacé. Remarquons que la vague de « solidarité » policière ne s’est pas déclenchée avec l’homicide de Nahel (quoique l’extrême-droite l’ait instrumentalisé, donc une bonne partie des policiers et, bien sûr, leur syndicat majoritaire) mais avec celle de policiers agissant dans la répression qui a suivi. C’est cette semaine sanglante que les policiers défendent car ils y ont massivement participé. 

Le pouvoir politique hors-la-loi est tenu par ses exécutants

La fronde policière s’articule sur un argument simple et globalement assez juste qui peut se résumer ainsi: « le pouvoir politique nous donne des ordres, puis la justice nous poursuit pour avoir rempli la mission ». La terreur ne s’obtient pas avec un code pénal sous le bras, c’est précisément en violant les droits des personnes que s’obtient un climat de terreur par lequel se mate la rébellion (du fait du choix tout répressif). Les personnes doivent savoir qu’une violence indiscriminée s’abat sur un large secteur de la population afin que la terreur s’installe.

Nous ne connaissons pas les ordres précis donnés durant la répression de la révolte émeutière mais nous savons que le message général n’était pas au respect des droits des personnes (l’Etat de droit). C’est donc logiquement que les policiers frondeurs renvoient la responsabilité de leurs actes illégaux à leur hiérarchie politique. 

Que l’argument de l’obéissance corresponde à une réalité ou soit un abus n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance. Autant le pouvoir politique que les policiers savent que sans le zèle de la police le gouvernement s’écroulera dans les prochains mois ou années. Dès lors qu'il opte pour gouverner par la force, le gouvernement n’a d’autre choix que reposer non seulement sur sa police mais aussi sur les violences illégales policières qui sont la condition du climat de peur dans lequel il peut exercer son pouvoir.

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