La fête est finie, toutes les prouesses rhétoriques dont ils nous abreuvent depuis des décennies n’y peuvent plus rien, l’oxymore ne tient plus.
Qui peut encore croire que démocratie et libre marché se renforcent l’une l’autre ?
Le paradoxe de cette propagande est qu’elle reposait sur un intermède, le keynésianisme ou « l’État providence ». C’est-à-dire des États faisant bénéficier à leurs administrés une part plus ou moins importante des rentes de leurs systèmes d’exploitation ou de saccage du reste du monde (colonialisme, néocolonialisme ou impérialisme). Or ce « passé glorieux » est souvent invoqué par ceux-là même qui l’ont liquidé -les néolibéraux version années 1980-2010. C’est le fameux et abracadabrant « il faut couper dans les dépenses du système social pour sauver notre système social ».
Maintenant les choses sont claires, car les partis du Capital se revendiquent d’un autre passé glorieux : celui des consortiums, des cartels, de la concentration extrême des richesses entre les mains de quelques familles. Aux États-Unis, ce sont les barons voleurs ; en Argentine, c’est la période d’expansion pré-vote universel (de la « conquête du désert », c’est-à-dire le génocide des peuples spoliés par les Blancs, jusqu’à la première présidence au suffrage universel, mettons 1860-1916).
Tous les principes de l’État de droit sont explicitement remis en cause et détruits par les partis du Capital. L’équilibre des pouvoirs est allègrement piétiné. Plus surprenant, la fameuse « concurrence libre et non faussée » est jetée aux oubliettes par ces nouveaux partis du Capital qui considèrent les monopoles comme désirables.
Tous les pouvoirs aux plus riches, voilà le programme. Pas de ruissellement et autres foutaises. Les fables d’un avenir ensemble sont rejetées. Et cette sincérité du Capital est, pour l’instant, électoralement rentable. Elle suscite même des engouements populaires qui peuvent s’expliquer par le rejet de la mélasse des « en même temps » qui mentent tout le temps.
Aussi, ceux qui affirmaient que capitalisme et démocratie sont deux mots qui vont très bien ensemble, en sont réduit à des grands écarts. Or, devant l’écartèlement, rares sont ceux qui choisissent la démocratie.
Les nouveaux partis du Capital américain (c’est-à-dire, notamment, argentins, brésiliens et états-uniens) affirment que le capitalisme ne peut s’accommoder de « justice sociale ». (Cette expression n’est pas une invention péroniste, comme les Argentins le croient souvent. Elle était invoquée par les délégations étatsuniennes – à propos des relations internationales- de 1919 puis de 1944 qui affirmaient qu’ « il n’y a pas de paix durable sans justice sociale ».)
Pour Milei, « la justice sociale est une aberration » à combattre par tous les moyens. Musk le rejoint dans ce combat et s'en prend, significativement, à l'Usaid qui comme le rappelle Le Monde "a été créée par John Fitzgerald Kennedy, en 1961. Le président démocrate promettait à l’époque un « nouveau partenariat entre le Nord et le Sud », pour démontrer que « la croissance économique et la démocratie politique peuvent œuvrer main dans la main »." Et, comme ne le dit pas Le Monde, fut un instrument de l'impérialisme états-unien, confortant son welfare state.
Plus significatif encore (pour ce qui est du divorce entre le capitalisme et l’État de droit), les libertés individuelles sont aussi réduites ou détruites par les partis du Capital. Ainsi de la liberté d’expression, singulièrement mise à mal à par les militants du « free speech ». Pas besoin d’aller très loin pour le voir. Une fois racheté Twitter, Musk a banni nombre de journalistes de sa plateforme, si bien qu’il a donné une définition assez précise du « free speech » : dire tout et (surtout) n’importe quoi, mais rien qui déplaise au proprio - surtout si c'est fondé par une enquête.
Dans le même sens, Milei a fermé Télam, l’une des plus importantes agences de presse d’Amérique du Sud. Sa ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, avait justifié cette fermeture ainsi : « l’information, aujourd’hui, c’est sur Twitter ». La boucle est bouclée.
Il reste juste à souligner que le même Musk, désormais chef d’une agence au statut flou chargée de liquider l’État, la gère de la même façon que ses entreprises : renvoi brutal et massif des employés, accompagné de clauses de confidentialité leur interdisant d’évoquer leur travail perdu. C’est dans ces petites clauses qu’on reconnaît les fossoyeurs de la liberté d’expression.
Les libéraux d'ici, en France, poursuivent leur rhétorique zombie, se réfugient dans un « c’est plus complexe » et « nous ne rallierons jamais ces extrêmes » mal élevés. Il suffit pourtant d’observer l’attitude de leurs cousins américains pour savoir à quoi s'en tenir. Centre et droite traditionnelle accompagnent d’un seul homme les partis les plus extrêmes leur offrant cadres et légitimité. C’est le mouvement opéré à l’intérieur du Parti Républicain aux USA mais aussi en Argentine par tous les pro-business (qu’ils se disent de droite, du centre ou péronistes).
Les Bayrou, les Macron, les Hollande et autres tenants d’un « capitalisme à visage humain » font semblant de croire encore à une rhétorique dont ils savent l’acte de décès déjà émis. Ils ont choisi le libéralisme économique, donc l’autoritarisme politique. Depuis 2012, ils le confirment à chaque épisode marquant de la vie politique et dans le quotidien de l'exercice du pouvoir. Mais ils n'ont jamais cessé de mentir effrontément. Ils semblent vouloir arriver jusqu'à l'exaspération la plus totale du vote populaire afin de le diriger vers la version sincère de ce libéralisme sans libertés politiques.
Et, dans l'écartement qui s'ensuit, nous les observons rejoindre leur camp. Plutôt Le Pen que le Front Populaire, avait bien résumé l'un de leur porte-parole (ou "philosophe").