Un enfant est une inversion, et l’adulte qui en résulte un retour sur investissement. Si, durant le développement de cette entreprise, il apparaît profitable d’exploiter sa force de travail, pourquoi pas ? Il s’agit de mon inversion, pourquoi ne pourrais-je pas en tirer profit avant terme, quitte à perdre un peu de sa valeur-ajouté futur ? C’est mon enfant, mon inversion, je le gère comme je veux.
Un organe humain ? Mon rein ? C’est un capital, libre à moi de le vendre, cela pourrait me constituer un petit capital pour fonder mon entreprise. Demain, si mon entreprise s’adapte aux fluctuations du Marché, je pourrais peut-être m’en racheter un autre, de rein.
(Ces deux exemples ne sont pas des inventions d’une dystopie, ils ont été invoqués par des libertariens argentins, respectivement par le député Benegas-Lynch et par le alors candidat à la présidentielle Milei).
L’amitié, l’amour, les relations familiales, de voisinage, toute vie sociale, s’insèrent dans le Marché qui, s’il est totalement libre, débarrassé de toute entrave, offre les solutions optimales pour chacun de ces rapports. Voilà le monde totalitaire qu’instaure Milei.
Bien sûr, dans ce monde, la moindre production qui ne trouve pas de débouché direct sur le Marché n’a aucune raison d’être. Le Marché permet de faire disparaitre toute activité inutile. En attendant, Milei, nouveau Moïse (qui guida son peuple vers la Liberté -c'est une référence qu'il utilise réellement dans son discours-), signale toutes ces activités inutiles, menées par des vipères qui prospèrent sous le soleil artificiel de l’Etat.
Ainsi, cette semaine, inaugurant un forum réunissant des extrême-droites du monde entier à Buenos Aires, dans le Centre Culture Nestor Kirchner (ancienne Poste Centrale, bâtiment entièrement public, rebaptisé « Palacio Libertad » mais fonctionnant toujours avec les deniers publics), Milei a pointé quelques-uns de ces inutiles :
« Les supposés scientifiques et intellectuels qui croient qu’avoir un titre universitaire en fait des êtres supérieurs. De sorte que nous devrions tous leurs subsidier leur vocation. Si leurs enquêtes fussent si utiles qu’ils le croient, je les invite à sortir au marché, comme n’importe qui. Enquêtez, publiez un livre et voyez si ça intéresse les gens ou pas, au lieu de vous cacher comme des canailles derrière la force coercitive de l’État. »
Voilà, toute enquête qui n’intéresse pas « les gens », le Marché, n’a pas lieu d’être. Milei dit de même des artistes et leurs œuvres.
Le Marché, tout le Marché, rien que le Marché. Le totalitarisme du Marché. Ainsi, contre tout ce qu’on nous a répété jusqu’à plus soif depuis notre enfance, le libéralisme n’est pas une garantie contre le totalitarisme, il peut en être une des modalités.