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Billet de blog 8 avril 2025

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Milei, caniche abandonné au bord de la route

Dans la tourmente provoquée par le guerre commerciale mondiale, les positions idéologiques et les choix stratégiques de Milei apparaissent dans leur parfaite ineptie. Non seulement son logiciel idéologique ne fonctionne pas dans un monde aux barrières douanières fortes, sa soumission absolue à Trump apparaît comme contre-productif

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Un conducteur (« un Belge » disait-on quand j’étais gamin) écoute la radio de la voiture qui alerte : « Attention ! Attention ! Un véhicule roule à sens inverse sur l’autoroute ». Le conducteur lève la tête et dit : « Bah ! Il n’y en a pas qu’un, une fois ! ».

Cette (pauvre) blague belge fait aujourd’hui irrésistiblement penser à Javier Milei. Le chauffard, accélérateur au plancher, lève les yeux et reste persuadé que ce sont les autres bagnoles qui ont pris le sens interdit.

Libre marché et réduction de l’État à sa minimum expression (uniquement répressive) sont les mamelles du « premier président libertarien de l’histoire de l’humanité » qui « adooore » être « la taupe qui détruit l’État de l’intérieur ». Avec la guerre commerciale déclarée par Trump, les frontières douanières baissées et, donc, le rôle des États ultra renforcé, Milei se trouve au milieu de l’autoroute à sens inverse.  

Plus, il apparaît comme un fêlé, avec un volant sans voiture, marchant, déboussolé, sur l’autoroute. Le barjot est sympathique, il fait vroum-vroum avec la bouche et fait rire avec son bermuda démodé, ses hautes chaussettes et son volant en pastique qu’il tient fermement, mimant un chauffeur de formule Un.

Malheureusement, il est au milieu de l’autoroute et les autres voitures sont de robustes bolides. Malheureusement car ce n’est pas le destin du cinglé[1] dont il est question mais de celui de millions d’Argentins, dont le pays est offert à la rapacité des autres, désormais désespérés pour trouver des débouchés à leurs produits. Milei a détruit les murs de la maison juste avant la tempête.

Une mascotte délaissée

L’image du conducteur sans voiture, le cinglé à pied tenant son volant, est bien trop généreuse. Elle montre une personne déboussolée par une situation qui déboussole à peu près tout le monde. Il aurait une idée de comment devrait aller le monde, une idée (le libéralisme économique) par ailleurs très commune parmi les dirigeants du monde. Et ce monde va dans l’autre sens. Pas de bol, pourrait-on dire.

Mais Milei n’est pas que le chantre de la tronçonneuse devant détruire l’État social pour ne garder que l’État répressif (au service de ses persécutions politiques). Il est aussi le chef d’État le plus soumis à Donald Trump. Avant que celui-ci soit réélu, le président Milei faisait des pieds et des mains pour se prendre des selfies avec le candidat Trump, alors qu’il ne rencontrait pas le président Biden. C’est ça une diplomatie centrée sur une idéologie d’extrême-droite : peu importe la charge, le protocole, on ne se réunit qu’à l’intérieur de la famille idéologique. Milei va aux rencontres d’extrême-droite en Espagne, sans chercher à rencontre son Premier ministre -il préfère l’insulter (ce qui aurait valu une condamnation unanime de l’Union Européenne, si celle-ci n’était pas phagocyté par les gangrènes fasciste et libérale économiques).

Ainsi, Milei suçait les doigts de pied de Trump avant son élection. Depuis son élection, Milei n’a donc de cesse de présenter cette position -couchée, la langue collée aux botes du maître de Washington- comme la plus avantageuse pour l’Argentine. Ainsi, Milei n’est pas un conducteur sans voiture mais un caniche aux pieds d’un maître.

Illustrant à merveille ce caniche faisant des acrobaties pour plaire à son maître, la semaine dernière Milei s’est rendu à Mar-a-Lago pour faire croire à un traitement de faveur pour l’Argentine. Il n’a même pas obtenu une photo avec le maffieux new-yorkais de la Maison Blanche. Un petit caniche qui fait des sauts périlleux, sans que son maître n’y prête la moindre attention. Acrobatie au coût d’un avion chèrement affrété par un pays où la pauvreté s’approfondit. 500 000 dollars, dit-on, pour une photo manquée. Ne vous inquiétez pas, ce n’est Milei qui paye, c’est le pays.

Pourquoi voulait-il tant cette photo ? Parce que le FMI fait danser le caniche avec un possible prêt qui permettrait au gouvernement de Milei de maintenir l’illusion d’une inflation maîtrisée. Il s’agissait de se montrer comme le toutou préféré de Trump afin de rassurer les marchés sur les intentions du FMI.

Si elle avait été prise, cette photographie de Trump et sa mascotte argentine aurait-elle influé les marchés ? Peut-être mais certainement pas comme Milei l’a prévu. S’il voulait faire croire au ferme soutien de Trump afin de laisser entendre que le FMI ouvrirait les cordons de la bourse, le message serait pour le moins brouillé. Car, au sein du FMI, pourquoi européens et asiatiques voudraient faire plaisir à Trump ? (Chine-Japon-Corée possèdent environ 13% des voix au sein du FMI, les Européens plus de 20%, soit largement de quoi bloquer un prêt -le véto se situe à 16%-).

Alors, le fait que la photo n’ait pas eu lieu est une bonne nouvelle pour Milei ? Les chiens abandonnés au bord de la route sont rarement adoptés.

(Ajout : quelques heures après la rédaction du billet, le journal La Nacion annonce le déblocage du prêt du FMI. Il cite des sources diplomatiques anonymes qui indiquent que l'accord pour endetter à nouveau l'Argentine se ratifierait ce vendredi. Cela voudrait dire que les pays membres -surtout européens- n'ont pas l'intention de s'affronter réellement à Trump. "Entre la guerre et le déshonneur...")

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[1] Il faut bien avouer que voir un type d’extrême-droite se faire écraser en direct est un spectacle jubilatoire (comme si l’écrasement d’un tel porc suscitait des affects d’extrême-droite : le plaisir de voir l’autre se faire détruire alors qu’on n’y ait pour rien et on n’y gagne pas grand-chose. On est comme pris par le spectacle que les Milei et Cie ont mis en place, avec leurs mises en scène permanentes d’écrasement et d’humiliation. Leurs scènes nous donnent la nausée mais maintenant que c’est le metteur en scène qui est humilié et écrasé, la scène nous attire, nous fait rire et plaisir. Nous ont-ils converti à leur perversité ?).

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