Devant le rouleau compresseur propagandiste du groupe Bolloré (et sa contagion thématique dans d’autres grands médias), il y a au moins deux méthodes pour faire face. L’une consiste à créer son propre groupe, tâcher de contre-frapper avec le même calibre. L’autre à révéler les ficelles de la propagande, offrir les outils permettant de résister aux méthodes de l’ennemi.
Construire un groupe de même calibre
L’une et l’autre ont été mises en œuvre dans la seconde moitié des années 20 dans l’Allemagne de Weimar. Willi Münzenberg représente l’option groupe, à la tête d’un « Konzern » qui publiait notamment l’hebdomadaire AIZ (Arbeiter Illustrierte Zeitung) avec ses célèbres photomontages de John Heartfield en couverture. Le konzern finançait aussi la production de films communistes parmi les plus célèbres, dont Octobre. Dix jours qui ébranlèrent le monde (1927) d’Eisenstein.
Ainsi les « produits Münzenberg", à l’intérieur de la propagande communiste ou contre-propagande antifasciste (selon les périodes), se distinguaient par leur qualité esthétique et intellectuelle. Ils offraient au grand-public des produits finis, beaux et intelligents, avec une force de frappe à même de concurrencer la presse bourgeoise puis nazie.
Montrer les ficelles techniques des outils de la propagande
Dans la même période, Walter Benjamin, qui doit renoncer à une carrière universitaire, se retrouve embauché en 1927 dans un nouveau média : la radio. Outre nombre d’émissions destinées aux enfants, lui et son équipe tâchent de décrire comment se construit une émission de radio en même temps qu’ils découvrent les ficelles de ce média encore vierge (la première antenne allemande est de 1923).
Autrement dit, l’équipe de Benjamin cherche moins à séduire son auditorat par des émissions particulièrement brillantes, à l’impressionner par la magie du poste, que de lui faire découvrir comment ça marche. Benjamin voulait-il ainsi prémunir le public contre les manipulations en lui offrant un accès aux outils techniques, en dénudant les artifices de la propagande ? Sans être spécialiste de cet auteur que je trouve souvent abscons, il me semble que c’est cela. Ou, en tout cas, j’y vois une démarche très différente, voire opposée, à celle de Münzenberg et ses produits de belle facture destinés à séduire un ample public.
Articuler les deux
Aujourd’hui, offrir les outils intellectuels et techniques au public pour l’armer face à la propagande est indispensable. Et la facilité avec laquelle tout un chacun peut se constituer en média prédispose à cette connaissance (quiconque se pose la question de comment communiquer s’introduit à la technique).
Mais le savoir n’y suffit pas. Aussi fines soit les analyses, précis les savoirs, intelligents les contre-arguments, sans une force de frappe conséquente, il est pratiquement impossible de résister à la propagande d’extrême-droite financée par des milliardaires. Bolloré l’a bien compris, il se contre-fout de la solidité des arguments de ses multiples porte-paroles. Les inepties déversées peuvent être défaites intellectuellement, elles n’en occupent pas moins le terrain multi-médiatique. Matraquée par télé, radio, livre, cinéma et usine à trolls, aussi conne soit l’idée, elle perce.
Nous n’avons donc d’autre choix que de poursuivre le travail de révélation des manipulations et, dans le même temps, de constitution d’un ou plusieurs groupes qui aient une force de frappe comparable à celle de l’ennemi. Benjamin et Münzenberg ensemble.