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Billet de blog 16 juillet 2023

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Ça va bien se passer, McKinsey

Retour sur l'épisode télévisuel d'un ministre de l'Intérieur reprenant une journaliste avec une phrase sortie des milieux masculinistes, mis en perspective avec un célèbre ouvrage traitant de la propagande

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Le vrai slogan de la Macronie reste « ça va bien se passer ». Cette petite phrase vicieuse, qui fait flores parmi les masculinistes, voire les violeurs, laisse entendre que l’interlocutrice est hystérique. Si elle se laisse faire, si sa volonté cède, « ça va bien se passer ». A l’entendre dans la bouche de Darmanin, face à la journaliste Apolline de Malherbe ulcérée, on ne pouvait que penser que ce n’était pas la première fois qu’il l’utilisait. Et de l’imaginer, « ça va bien se passer » devant une personne prise dans l’étau des contradictions, entre un service demandé et le dégoût pour le profiteur de la situation. Ce non-violeur (selon la justice) répète « ça va bien se passer » et abuse de l’état de faiblesse. 

En 1939, un réfugié russe, biologiste de son état, au parcours pour le moins accidenté, Serguei Tchakhotine, publiait à Paris la première version de son ouvrage phare Le viol des foules par la propagande politique. Censuré par le gouvernement français puis détruit par les occupants allemands, le livre eut cependant une vie dans le monde anglophone (grâce à une édition promue par le Labour Party de 1940). Puis une édition augmentée (l’ouvrage double de volume) par l’auteur paraît en 1952 (c’est la version qui est rééditée depuis) avec un avant-propos qui raconte les déboires de 1939.

Entre la fin de la guerre et la seconde version de 1952, Le viol des foules occupe déjà une place de choix dans la bibliographie des cours de guerre psychologique. Par exemple, en 1948, le alors jeune capitaine Antoine Argoud (qui deviendra un féroce colonel de la Guerre d’Algérie) le cite abondamment dans une conférence à l’Ecole supérieur de guerre en 1948 intitulée « la guerre psychologique » (qui fait l’objet d’un article dans la Revue de défense nationale). 

L’ouvrage devient ainsi un classique, un incontournable lorsqu’il est question de propagande, que ce soit pour le suivre ou le critiquer. Les classiques, on ne les lit pas forcément mais on sait ce qu’ils disent. Pas besoin d’avoir lu Le Capital pour savoir que les patrons volent les salariés par la plus-value. Il n’est donc pas sûr que les personnes officiant dans les cabinets de conseil sachent qui est Tchakhotine ou aient ouvert son ouvrage. Il est en revanche certain qu’ils appliquent ce qui est esquissé dans Le viol de foules. Le biographe de Tchakhotine reporte que ce titre aurait été le fait de son éditeur chez Gallimard, Robert Aron.

Entre ce titre et "ça va bien se passer" tout est dit des cabinets de conseil qui gouvernent, c'est-à-dire de la Macronie.

Lire

Arnaud Mercier, « Sur Le Viol des foules par la propagande politique de Serguei Tchakhotine », Questions de communication, 42 | 2022,

https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/30450

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