La caractéristique la plus spectaculaire du président argentin est la parfaite absence de sur-moi (terme freudien désignant ce quelque-chose qui nous empêche de nous comporter bestialement). Il s’est fait connaître, d’abord en Argentine puis mondialement, par la virulence de ses insultes envers quiconque lui déplait. Depuis le « nid de rats » pour désigner le Congrès de son pays jusqu’à « le pire type de gens, accrochés au pouvoir » se référant au chef du gouvernement espagnol, Pedro Sánchez (dont il a qualifié l’épouse de « corrompue », alors qu'aucune condamnation judiciaire n'a été acté contre elle), en passant par les ordures qu’il déverse quotidiennement sur son compte du Réseau-Musk.
Institutionnellement, cet abandon du sur-moi s’est traduit par la destruction des rares organismes qui régulaient -un minimum- la parole publique, au nom de la sacro-sainte free-speach soit, en bon français, la Libre Parole (incidemment nom du journal fondé par Édouard Drumont, grand promoteur de l’antisémitisme de la fin du XIXème siècle français).
Cette libération du discours de haine s'est déjà traduit par des passages à l'acte, notamment avec l'assassinat de lesbiennes. Les quatre femmes ont été brûlées vives à Buenos Aires, une seule a survécu à l'attentat.
Outre son langage ordurier, l’absence du sur-moi de Milei s’exprime par son amour immodéré pour le capitalisme, y compris -ou surtout- dans ses effets les plus cruels. Depuis des années, Javier Milei chante une ode à l’inégalité, exaltant l’écrasement des plus pauvres et portant aux nues les plus riches, allant jusqu’à qualifier de « héros » les évadés fiscaux.
Cela résonne avec le fort penchant, accompagné d’un langage plus châtié, d’Emmanuel Macron mais ça ne suffit pas pour conclure à une communauté d’esprit entre les présidents français et argentin.
Pour saisir cette proximité idéologique, il faut observer les déplacements internationaux de Javier Milei durant ses six mois de présidence. Très loin d’une diplomatie traditionnelle, le président argentin s’est beaucoup déplacé (c’est son huitième voyage international) mais il n’a que rarement rencontrer des chefs d’État, préférant discourir dans des cénacles d’extrême-droite. Ainsi, il s’est rendu aux États-Unis et en Espagne, afin de participer aux raouts organisés par le CPAC (Conservative Political Action Conference) et Vox respectivement, sans même tâcher de voir Biden ou Pedro Sánchez (qu’il a insulté, provoquant un incident diplomatique). Sa diplomatie est calquée sur sa politique intérieure : furieusement idéologique.
Autrement dit, du point de vue de Milei, Macron est un allié dans sa croisade pour éradiquer toute forme de pensée de gauche.
Pour sa part, Macron a lancé des messages d’amitié au président argentin qui dépassent de loin le simple protocole diplomatique. Il a notamment salué son investiture en brandissant le slogan de campagne de Milei – « Vive la Liberté, Bordel »- sur un maillot de foot du Boca-Junior. Macron a ainsi offert un brevet de «normalité » à Millei (depuis l’Argentine, si ce président européen bien éduqué dit que Milei est bienvenu, c’est donc qu'il n'y a aucun danger de mise à l’index internationale).
Maurassien de cœur et thatchérien de raison, Macron reçoit un thatchérien forcené allié à l’extrême-droite traditionaliste argentine. (En Argentine, faire l’apologie de Thatcher n’est pas une mince affaire depuis la Guerre des Malouines de 1982, dans laquelle le père de la vice-présidente, Victoria Villarruel, a combattu les Britanniques en tant que membre des forces spéciales -pépinière de l’extrême-droite-).
D’accord sur le fond, Milei et Macron diffèrent sur la forme. Ainsi, malgré ces nombreuses petites phrases révélatrices de sa haine des pauvres, Macron apparaît comme une sorte de sur-moi de Milei. Inversement, ce dernier est un Macron débarrassé de la moindre inhibition.