Dans son émission quotidienne sur LCI, Pujadas invite régulièrement une chroniqueuse, Abnousse Shalmani, aux idées bien tranchées (à droite). A l’instar de nombre d’invités permanents des plateaux-TV, Shalmani sait tout sur tout et peut donc donner son avis sur n’importe quoi, ou l’inverse.
C’est en cette qualité d’experte en tout, et surtout en n’importe quoi, qu’elle a éclairé les téléspectateurs de Pujadas sur l’Argentine, à près d’un an de l’investiture à la présidence du pays de Javier Milei, et à l’occasion d’une visite très chaleureuse de son pair français, Emmanuel Macron, à Buenos Aires.
Pas d’alternative
Sans surprise, elle a loué les « réussites » économiques du gouvernement ultra-libéral (donc, d’extrême-droite) de Milei. Celui-ci ait parvenu à faire baisser drastiquement le taux d’inflation, grâce à des mesures aussi simples que brutales : en appauvrissant la très grande majorité de la population (notamment par la non-indexation des revenus malgré une inflation qui reste phénoménale). Si les gens n’ont plus de quoi s’acheter des produits de premières nécessités, le prix de ces produits finira bien par baisser, calcule le gouvernement.
Les gens peuvent donc crever de faim avec un taux d’inflation « raisonnable ».
D’une certaine manière, Shalmani nous informe assez justement, puisqu’elle reproduit exactement la propagande gouvernementale argentine. Elle offre donc un aperçu d'une réalité quotidienne du pays : l'intense propagande à laquelle la population est soumise. Évidemment, pour que cet aspect informatif n’échappe pas au téléspectateur français, il eût fallu que Pujadas précise que son invitée venait en tant que propagandiste du gouvernement argentin. Il a oublié.
Donc, la chronique pose deux questions : « est-ce que [Milei] pourrait faire autrement et est-ce que son plan de choc fonctionne ? ». Non à la première question, oui à la seconde, répond la propagande de Milei (et la chroniqueuse de Pujadas).
80 ans de péronisme fantasmé
En dehors de l’apologie d’une économie au seul service de la finance internationale et au détriment de la société argentine, Shalmani offre une vision toute personnelle de l’histoire du pays. Là, elle se montre très créative, puisqu’elle invente « 80 ans de péronisme » continu, depuis 1943 jusqu’à l’arrivée du Sauveur Javier Milei l’année dernière.
Ainsi, Shalmani offre une histoire de l’Argentine, dans laquelle le coup d’État de 1955 (qui a renversé le président élu Juan Domingo Perón), puis les près de vingt ans de proscription de Perón (jusqu’en 1973) sont le fait du… péronisme. Ensuite, le nouveau coup d’État et la sanglante et très anti-péroniste dictature (1976-1983) seraient aussi péronistes. Puis, la présidence du radical (et très anti-péroniste) d’Alfonsín (1983-1989) serait aussi péroniste, pour ne rien dire de celui de Mauricio Macri (2015-2019) élu contre le péronisme.
Ainsi, le péronisme est parvenu à gouverner pendant 80 ans, dont 35 depuis l’opposition (voire de la proscription). Sont très forts ces péronistes !
Shalmani n’était pas loin, 45 ans sur 80 c’est plus de la moitié donc, chez Pujadas, il s’agit d’un petit raccourci. Petit problème cependant : le seul gouvernement que Javier Milei admire est… péroniste. En effet, Milei ne cesse de faire l’éloge de l’ancien président Carlos Menem (1989-1999), dont la gestion néolibérale a mené le pays au désastre en 2001.
Mais, au diable les détails, pour Shalmani « depuis le coup d’État de 1943 de Juan Domingo Perón et tout ce qui s’en est suivi. C’est-à-dire, en gros, les Kirchner. »
Car l’Argentine est un pays un peu particulier où, entre 1955 et 2003 il ne s’est « en gros » rien passé.
Une hausse de 45% d'homicide... inventée
Pour que le téléspectateur de Pujadas comprenne bien l’horreur de vivre sous la présidence des époux Kirchner, la chroniqueuse a un chiffre choc : « Augmentation de 45% -45% !- des homicides sous les huit ans de règne de Cristina Kirchner », dit Shalmani qui cite… une pure invention.
L’Argentine est l’un des pays au taux d’homicide parmi les plus bas du continent américain (il oscille depuis des années entre 5 et 7 pour 100.000 hab. -son pic a été atteint en 2002, avec 9,7 ; c’est-à-dire avant « le règne » des Kirchner et leur « laxisme » dénoncé par Shalmani ). Les statistiques officielles sont consultables ici : https://www.argentina.gob.ar/seguridad/estadisticascriminales/series-historicas
L’âne derrière les âneries de Shalmani
En tant qu’intellectuel et auteur, Javier Milei est surtout connu pour ses multiples plagiats. Ses livres sont des ramassis de copy-paste, dont les auteurs originaux ne se disent pas forcément très honorés de retrouver des pans de leurs œuvres dans celle du plagiaire (plusieurs procédures judiciaires sont en cours).
Abnousse Shalmani, en revanche, a l’honnêteté, non pas de reconnaître que sa chronique est entièrement pompée (il ne faut pas exagéré question éthique, nous sommes tout de même chez Pujadas) mais de citer, vers la fin de sa chronique, sa seule et unique source, à savoir une série d’articles que Le Point publie ces semaines.
C’est ainsi qu’on découvre que si Shalmani braie, le véritable âne est un certain Leonardo Orlando. Argentin vivant à Paris depuis 2001, docteur en science politique et master de philosophie, voilà quelqu’un de sérieux. Et si ces diplômes ne suffisaient pas, aux dernières élections législatives françaises, il a aussi appelé à faire barrage contre… le Nouveau Front Populaire. Bref, quelqu’un de sérieux et « républicain », dans le sens lepéniste du terme.
Il sera toujours temps d’analyser l’œuvre du docteur de Science Po (seuls deux de sa série de sept articles ont été publié. On salue au passage l’investissement de Le Point qui dédie un envoyé spécial à la propagande ultra-libérale et touche 1,1 million d'euros de subvention publique, en même temps).
En attendant, dans les articles publiés d'Orlando, il convient de distinguer la confiture (pardon, la culture), qu’il étale, citant Borges et Céline dans le même paragraphe, du fond qui serait que l’Argentine fut une grande puissance cent ans auparavant. Là ce n’est pas de la confiture mais une tarte à la crème, présentée ad nauseam par Javier Milei, qui confond le concept de « puissance » avec une certaine prospérité économique (au bénéfice exclusif des classes supérieures, au détriment du pays et de la très grande majorité de ses habitants) au début du XXème siècle.
Bien entendu, l’Argentine n’a jamais été une grande puissance (concept qui signifie avoir, en tant que nation, une capacité à imposer sa volonté à d’autres nations ; l’Argentine subissait une très forte emprise de la Grande Bretagne -qui, elle, était une grande puissance). Être docteur de Science Po et ne pas savoir que aussi prospère soit le Luxembourg, cette nation n’a jamais été une puissance, est une énigme qui intéressera probablement l’école de la rue Saint-Guillaume.
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La chronique est consultable ici : https://x.com/24hPujadas/status/1857135237010161889?t=U-7MDTP8XkfL8rp4lvxpgQ
Les positions "républicaines" de Leonardo Orlando ici: https://x.com/leogabo/status/1809223429024829444