A gauche, Ruffin est probablement la personne qui sort la plus démonétisée des dernières élections. Son renversement de stratégie, ou retournement de veste, en pleine bataille électorale, sur le derrière ligne, laisse un goût amer.
Les traîtrises érodent les confiances, peut-être à jamais. Mais Ruffin est traitre à quoi ? Pas à une ligne politique. Il s'est affiché social-démocrate bien avant ce retournement de campagne et, surtout, la France Insoumise est sociale-démocrate (Si le paysage politico-médiatique n’était si droitier, il n'y aurait même pas besoin de le préciser). Si vous avez un programme moins radical que celui du PS de 1981, il n’est d’autre étiquette qui convienne.
Si Ruffin n’est pas traitre à une ligne politique, il l'est à une personne : J-L Mélenchon. Or, s 'il est une valeur que Mélenchon apprécie et diffuse parmi ses affidés, c'est bien La fidélité. Vous pouvez exploiter le travail militant contre monnaie sonnante et trébuchante, à l'instar de Chikirou. Ou frapper votre épouse. Tout vous sera pardonner si vous ne brisez pas la seule loi d'airain : la fidélité à la personne du chef.
Mélenchon ne fait d'ailleurs là qu'exiger un principe qu'il s'applique avec rigueur. Sa fidélité à Mitterrand, au-delà de la mort, en atteste. Et cette fidélité n'est pas feinte. Il n'a rien à gagner à défendre le guillotineur d’indépendantistes algériens et principal introducteur du néolibéralisme en France. C 'est un boulet qu’il porte avec constance et courage contre les siens et contre ce qu'il prône par ailleurs. Au nom de la fidélité et la reconnaissance (difficile d’imaginer ce qu’eut été sa carrière sans le soutien du Pharaon), il n’a jamais renié Mitterrand.
Cette fidélité interpersonnelle n'apporte pas grand-chose à la gauche. Elle en serait plutôt une plaie car elle est source de jeux de camarillas totalement étrangères aux aspirations de millions de personnes. Est-ce à dire que Ruffin a bien fait de larguer les amarres ? A mon sens, le tempo était exécrable, mettant en péril la campagne d'autres candidats (la non-désignation des candidats FI dans les premiers jours du « Nouveau Front Populaire » a été tout aussi destructrice, cassant l’élan et l’enthousiasme de campagne). Néanmoins, cette rupture avec la personne du chef devait avoir lieu, avant ou après.
La Palestine n’est pas un conflit lointain, elle nous engage ici et maintenant
En revanche, le reproche à Mélenchon et à la FI de placer la question palestinienne au cœur de leur campagne européenne est le plus mauvais procès qui puisse leur être fait. Rappelons que ces élections n'ont habituellement guère d'enjeux puisque le Parlement n'a pratiquement pas de pouvoir par rapport à la Commission. La France Insoumise a su donner un véritable enjeu à ces élections et mettre à profit ce moment pour rompre un silence assourdissant (la France était parmi les seuls pays à interdire le moindre signe de solidarité avec un peuple martyrisé, alors qu’à Londres et ailleurs des millions de personnes criaient et crient leur indignation). Être témoin d'un génocide sans broncher n'est pas quelque chose de pardonnable. Quelques soient les motivations des dirigeants de FI, ses militants pourront encore les remercier dans vingt ans quand leurs enfants demanderont "qu'avez vous fait" pour arrêter cette horreur ? Et les autres, mangez vos morts.
Aussi, la tiédeur de Ruffin sur la question n'est pas acceptable. D'autant qu'il n'y a rien de plus hypocrite qu'invoquer le "ne pas importer le conflit" quand la France soutient activement le gouvernent d’extrême-droite israélien, contre sa position traditionnelle. C'est une faute politique et morale qui doit être reconnue et amandée par Ruffin. Et si sa "France des bourgs" ne saisit pas cela, elle n'a d'autre avenir que des racismes exterminateurs.
Cette position essentielle prise, Ruffin serait la meilleure option.
Il est absurde de croire que la gauche soit en mesure d’exiger autre chose que des personnalités sociale-démocrates au gouvernement. Nous ne pouvons espérer mieux que des personnes qui sachent très bien ce qu'est un Front Populaire. Non pas un gouvernement avec un programme de "jours heureux" mais un gouvernement qui soit disposé à ne pas réprimer les mouvements sociaux qui sont, eux, seuls à même de conquérir de nouveaux droits et lutter contre l’extrême-droite. La trajectoire de Ruffin dit qu'il sait cela. Je tends à croire que, en tant que chef de gouvernement, il laisserait se déployer la puissance qui nous habite pour vaincre le fascisme.
Inversement, je me méfie de personnages qui affichent des certitudes sur les objectifs et comment les atteindre, "tout le programme, rien que le programme". Un tel gouvernement ne pourrait que se méfier des débordements, casser les dynamiques qui lui échappent. Le premier squat qui n’aura pas l’heur de plaire à cette direction sera réprimer avec sévérité et calomnié comme "faisant le jeu de la droite", etc. A nouveau, une logique de Front Populaire n’a pas besoin d’un gouvernement sachant tout faire ou particulièrement "radical" (la FI est peu radical sur le fond et très virulente sur la forme). Elle a besoin d’un gouvernement ferme avec les riches qu’il faudra taxer et la police sur laquelle il faudra reprendre la main mais surtout très flexible avec les mouvements sociaux, divers et surprenants qui constituent la sève d’un tel Front.
Pour une position inverse (rude et bien argumentée) à la mienne sur le même personnage :
https://www.frustrationmagazine.fr/ruffin-strategie/
A écouter aussi, cet échange très intéressant avec Youcef Brakni qui montre toutes les limites de François Ruffin dans sa compréhension des racismes
https://qg.media/emission/pas-de-quartier-combattre-la-division-et-exiger-la-justice/