La présidence de la République argentine a publié ce 24 mars une vidéo qui prétend rétablir la mémoire « complète » de la dernière dictature (1976-1983) en présentant son massacre systématique comme une « guerre ». Elle a ainsi réactivé des mythes établissant une équivalence entre violences de nature très différente, celle de groupes politiques armés des années 70 et celle de l’État, imposant un récit relativiste et, par omission, négationniste.
Il s’agit pour le pouvoir actuel de réhabiliter une dictature qui a, par la terreur, imposé un modèle économique profondément inégalitaire et détruit bonne part des conquêtes sociales obtenues durant le XXème siècle. Ce n’est pas étonnant de la part d’un gouvernement dont l’objectif déclaré est de liquider les rares protections sociales qui subsistent après les offensives néolibérales de la dictature puis du ménémisme (1989-1999), afin d’imposer le marché comme seule et unique loi.
Rappelons que la dictature a provoqué la disparition de dizaines de milliers de personnes, l’exil de centaines de milliers de personnes et l’appauvrissement de la presque totalité de la population, au bénéfice de quelques grandes entreprises et le bien-être, sonnant et trébuchant, de haut-gradés de l’armée.
Ce ne fut pas une guerre mais un massacre systématique d’État
En présentant le massacre systématique de la dictature comme une « guerre » qu’aurait mené les militaires argentins contre des combattants subversifs, le gouvernement travestit l’histoire afin de présenter ces militaires comme des défenseurs du pays face à une attaque plus ou moins étrangère (soviétique).
En réalité, le gouvernement non seulement fausse l’histoire, il détruit l’éthique combattante des militaires. En effet, en confondant guerre et massacre systématique, le gouvernement fait des salles de torture des champs de bataille dans lesquels les tortionnaires seraient des combattants. Or le combattant se définit par le combat, qui suppose un danger partagé avec l’ennemi. Dans une salle de torture, il n’y a qu’un tortionnaire et sa victime sans défense sur laquelle s’exerce les pires sévices.
Voilà ce que souhaite mettre à l’honneur le gouvernement de Milei et, plus particulièrement, la vice-présidente Victoria Villarruel.
Les disparus sont 30 000
Pour faire valoir son récit totalement biaisé de l’histoire des années 1970, la vidéo du gouvernement s’attaque, à l’instar de toute la littérature négationniste et révisionniste de la dictature, le chiffre de 30 000 disparus. Remettre en cause ce chiffre emblématique de la lutte pour connaître la vérité permettrait de remettre en cause l’ensemble de la réalité du massacre systématiques des opposants politiques, selon eux. En réalité, personne n’a jamais prétendu que ce chiffre fut exact, il est le symbole de la réclamation pour les disparus. Et s’il est contesté par l’État, que l’État dise, exactement, quand il a séquestré chaque personne, où et qui a torturé chacune d’entre elles, où il a enfoui chaque cadavre. Tant qu’il n’éclairera pas cela dans le détail de chaque personne qui manque, les disparus seront 30 000.
Personne ne pense que furent exterminés, exactement, six millions de juifs. L’exactitude du chiffre n’est pas la question. Et, quoiqu’il en soit, il ne revient certainement pas aux nazis de remettre en cause ce chiffre.