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Billet de blog 28 août 2024

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En Argentine, la vice-présidente banalise les crimes d’État

Un discours, plein de menaces envers les opposants d'hier et d'aujourd'hui, de la vice-présidente argentine mène à placer sur le même plan les crimes commis par des personnes et les crimes d'Etat.

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Ce 27 août, à l’occasion d’un « hommage aux victime du terrorisme » organisée par le Sénat argentin (et faussement présenté par le journal conservateur La Nación comme «journée internationale » qui, elle, se célèbre le 21 août ), la vice-présidente Victoria Villarruel a annoncé la réouverture de toutes les enquêtes visant des guérilleros des années 1970. Elle a aussi émis le souhait que « tous les montoneros soient emprisonnés, pour répondre du sang déversé dans notre nation ».  

Les actes violents des groupes politiques armés des années 70 n’ont, jusqu’à présent, jamais été considérés comme des crimes contre l’humanité, si bien qu’ils bénéficient des prescriptions liées aux crimes et délits communs. Aussi, au niveau judiciaire, l’intervention de Villarruel laisse perplexe. S’agit-il d’une simple annonce militante de sa part ou bien a-t-elle l’intention de créer une jurisprudence qui fasse passer des actions de guérilleros comme crimes contre l’humanité ?

Dans les deux cas, en tant que membre du pouvoir exécutif, elle viole allégrement le principe de séparation des pouvoirs, en annonçant, d’ores et déjà, sa volonté de voir « tous les montoneros » en prison. Il va de soi qu’une infime minorité des membres de cette organisation péroniste armée ont personnellement participé à des actions sanglantes (la plupart, soit avaient des activités militantes plus classiques, soit participaient à des actions violentes qui n’impliquaient pas de « sang versé », tels que des braquages, détournements de camion de nourriture ou simples parades «militaires » dans des petites localités). Aussi, parler de « tous les montoneros » est une généralisation abusive allant à l’encontre de la logique judiciaire qui, elle, normalement, incrimine des actes individuels (donc des personnes et non des groupes).

Ne pas reconnaître une différence de nature entre les violences politiques

Villarruel a ainsi mis en scène un principe pour lequel elle a milité tout au long de sa lente émergence dans l’espace public depuis 20 ans. Elle s’est faite connaître grâce à une association qui réclame une soit-disant « mémoire complète », l’adjectif servant à se distinguer d’une mémoire officielle qui, selon elle, serait borgne, ne se rappelant que des crimes d’État.

Ainsi, au cœur de son militantisme se trouve l’idée selon laquelle les crimes commis par des organisations politiques de quelques centaines de militants et ceux commis par l’Etat argentin à travers ses différents services de sécurité (armées, polices et organisations para-policières) seraient équivalents.

D’un point de vue des victimes, certes, recevoir une balle dans une opération organisée par un groupe guérillero ou être séquestré, torturé puis tué par des militaires, la mort violente est dans les deux cas au rendez-vous. Mais toutes les jurisprudences, nationales et internationales, distinguent le crime commis par un particulier (fusse-t-il membre d'un groupe lui-même criminel) de celui commis par l’Etat. D’abord parce que celui-ci est censé protéger les personnes vivant sous sa juridiction et non exercer l’arbitraire du gouvernement. Ensuite parce que la plupart des Etats sont infiniment plus puissants que les habitants qui se trouvent à sa merci.

En ne reconnaissant pas la particularité des crimes d'Etat, Victoria Villarruel les banalise complètement. Elle ouvre la voie à une justification de l'arbitraire de l'Etat, dont la violence peut s'abattre sur tous ceux et toutes celles qui seront considérées comme des ennemis du gouvernement.

Sa conception, biaisée et extrême-droitière, de l'histoire demande, par ailleurs, une analyse détaillée.

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