Tous les Montoneros en prison
La vice-présidente a remis en cause le consensus sur la mémoire post-dictatoriale qui, avec des hauts et des bas, et de nombreuses nuances, repose sur un Plus Jamais Ça (entendu les crimes de la dictature).
A l’occasion d’une soi-disant journée internationale des victimes du terrorisme (cette journée existe mais a été fixé le 21, et non le 27, août), la vice-présidente a promis de faire juger les membres des guérillas des années 70, sans un mot pour les crimes d’État de la dictature. Et pour cause, ceux-ci se sont concentrés contre les supposés (notion très extensible si bien que nombre de victimes n’ont rien à voir) membres de ces guérillas, qui furent systématiquement enlevés, torturés, violés et tués. Il faut donc juger les victimes de ces crimes, selon la vice-présidente. Ce qui s’annonce difficile, les morts et les disparus ne se rendant pas forcément devant les cours de justice. Sans compter que les crimes que la vice-présidente leur impute sont prescrits, ce qui n’est pas le cas des crimes contre l’humanité commis par les militaires qu’elle a toujours défendu.
La bible et le coran n’aiment pas les pédés
Le même jour, le ministre de la Justice, Mariano Cúneo Libarona, s’est rendu dans une commission parlementaire dédiée aux femmes et à la diversité. Il y a présenté la position du gouvernement, à savoir qu'il rejette les diversités sexuelles «qui ne sont pas alignées sur la biologie » et qui seraient des « inventions subjectives ». Il a aussi affirmé qu’il fallait en finir avec les questions de genre car « la famille est le centre de la société et de la nation ». Il a précisé qu’il parlait en fonction de ce qui était écrit dans la « Constitution, la Bible et le Coran », dont il a recommandé la lecture.
Pourquoi maintenant ?
Que le gouvernement argentin rassemble, notamment, nostalgiques de la dictature, misogynes et homophobes n’est une surprise que pour qui aura voulu fermer obstinément les yeux sur son caractère d’extrême-droite (et oui, l’extrême-droite prône, entre autres, ces haines, même quand elle s’habille sympa). Ici, la question n’est pas la caractérisation de ce gouvernement mais de savoir pourquoi ces personnages, importants dans le gouvernement, déballent ainsi leurs agendas. Et, surtout, pourquoi maintenant ?
Ces saillies sortent à un moment où les brèches entre les différentes composantes du gouvernement et du parti de Milei s’exposent au grand-jour. Cela laisse penser qu’il s’agit moins d’interventions pour choquer que des déclarations visant à fixer des caps politiques à l’heure où ceux-ci sont incertains.
L’extrême-droite marie carpes et lapins
L’image d’unité du parti présidentiel (La libertad avanza) a explosé ces dernières semaines. Ce parti repose sur une alliance entre des droites, idéologiquement aux antipodes, principalement incarnées par l’ultra-libéral Milei et son ultra-conservatrice vice-présidente, Victoria Villarruel. Issue d’une famille de militaires nationalistes (son père était un officier proche des carapintadas, des militaires à l’origine de plusieurs tentatives de putsch dans les années 80), celle-ci est proche des courants intégristes catholiques (lefebvriste).
L’union, entre l’économiste à la verve plus que vulgaire, ordurière, et l’avocate au verbe posé et percutant, est un mariage de raison opportuniste. L’un avait besoin d’un binôme qui incarne le sérieux et séduise les conservateurs, l’autre de la visibilité du show-man qui habitait les plateaux de télévision depuis des années. Ensemble, ils ont été élus députés en 2021 puis à la présidence l’année dernière.
A priori, Milei et Villarruel incarnent des droites antinomiques. Le président se conçoit comme la « taupe qui détruit l’État de l’intérieur » , tandis que la vice-présidente conçoit un État autoritaire, donc fort. Néanmoins, à l’extrême-droite, le pragmatisme prévaut souvent. Si l’ultra-libéralisme (ou libertarianisme) a le vent en poupe (notamment du fait de multimilliardaires promouvant une idéologie consubstantielle à la multiplication de leurs milliards), alors les autres familles s’y rallient.
La seule passion commune des extrême-droites est l’inégalité. Or, sur l’inégalité sociale absolue que promeut l’ultra-libéralisme, toutes les autres inégalités (de genre, de sexe, de race ou autres) peuvent se greffer. Si bien que tous les courants d’extrême-droite s’y retrouvent. En clair, si l’argent est roi, la femme contrainte au foyer (via l’inégalité des salaires, notamment) ou la subordination des noirs (via la discrimination à l’embauche, notamment) sont des objectifs facilement atteignables ou renforcés.
En l’occurrence, l’alliance entre Milei et Villarruel permet aussi une certaine synthèse idéologique. D’une part, l’ultra-libéralisme (Milei se revendique de l’oxymore « anarco-capitaliste ») souhaite palier au retrait de l’État dans l’encadrement de la société par un conservatisme promue par des organisation non-étatiques (essentiellement religieuses). Comme le montrait Pablo Stefanoni, la synthèse « paléo-libertaire » (trumpiste) est précisément cela. De l’autre côté, l’extrême-droite plus traditionnelle peut parfaitement inciter au libéralisme le plus poussé en matière économique, c’est notamment ce que décrit Johann Chapoutot pour les nazis. Bref, la carpe emprunte au lapin et vice-versa.
Cet attelage se délite à grande vitesse, la vitesse désormais habituelle de la télé-réalité politique qu’est devenue la scène argentine. Les raisons profondes de ce délitement sont encore difficiles à distinguer. A la surface, cependant, entre les égos surdimensionnés des uns, les intérêts politiciens des autres et les fractures idéologiques, les raisons, ne manquent pas.
Un jambonneau lèse-majesté
Pour qui aurait cru que la personnalité ultra-médiatique de Javier Milei condamnait les autres personnalités de son gouvernement à l’invisibilité, Victoria Villarruel a égrené ses neuf mois de vice-présidence d’interventions très remarquées. Elle s’est notamment permis dans une interview de ramener Milei à une personne très influençable, un gentil « jambonneau » tiraillé entre deux femmes de caractère (sa sœur, Karina Milei, et elle-même).
Un tel crime de lèse-majesté est certainement resté en travers la gorge d’un Milei obsédé par son image (à un point difficilement imaginable, même pour des Français habitués à un gouvernement de conseillers de l’image et les grotesques mises en scène – en boxeur, en aviateur et j’en passe- de leur président. Milei exigeait, par exemple, d’être filmé de haut en bas, afin de cacher son double-menton). D’autant que, mèmes oblige, la culture populaire s’est immédiatement emparée du jambonneau au double-menton.
Pourtant, des mois durant, Villarruel a totalement été épargné par les foudres digitales de l’armée de trolls miléïste qui s’abattent sur quiconque ose déplaire à leur président. Ce n’est plus le cas, les troupes digitales du président insultent et harcèlent la vice-présidente, comme n’importe quel opposant (ou artiste, ou scientifique, ou… n’importe qui, en fait) que Milei aura choisi comme tête de Turc. La rupture est donc consommée.
(To Be Continued)