28 décembre, 18ème jour après l’investiture de Javier Milei à la présidence de l'Argentine
Je m’inflige une séance télévisuelle, d’abord une interview de Macri puis une de Bullrich. Le premier est l’ancien président (2015-2019), une sorte de Macron dont le père eut été l’un des hommes les plus riches du pays. Riche au service des riches, il a été l’enfant chéri du FMI. Ce dernier peut le remercier de l’avoir réintégrer dans le pays, dont il avait été expulsé suite au paiement intégral de la dette en 2006.
Ce remboursement avait coûté cher à l’Argentine (qui s’est financée à des taux supérieurs auprès d’autres instances) mais lui avait offert l’autonomie nécessaire à une véritable politique économique (entendue que les recettes du FMI sont toujours les mêmes avec les mêmes résultats catastrophiques pour les populations). Macri avait promis qu’il ne ferait pas appel au FMI, jamais. Vous me direz, il avait aussi promis « Pobreza cero », qu’il n’y aurait plus un seul pauvre en Argentine. Les Macron n’engagent que ceux qui y croient.
Macri a donc endetté l’Argentine à hauteur de 57 milliards, le plus grand prêt octroyé par le FMI dans son histoire. A quoi a servi cette montagne d’argent ? En bonne part, à ce que la gestion de Macri ne s’écroule pas avant le terme de sa présidence. Autrement dit, le prêt de 2018 a essentiellement servi à qu’il soit réélu en 2019. On peut donc considérer -en allant vite- que le FMI a financé la campagne électorale la plus chère de l’histoire mondiale. Merci Christine Lagarde (alors présidente du FMI) mais c’est raté : Macri a tout de même perdu. Laissant la dette aux autres.
La métaphore de la bombe à retardement
Bref, il y a Macri à la télévision ce soir. Le « journaliste » qui l’interviewe est très gentil, oubliant de lui poser la moindre question sur la dette.
Macri explique que les mesures hallucinantes que veut imposer Milei sont « normales », elles sont appliquées partout « au Chile, depuis… longtemps ». Le « journaliste » ne pense pas à lui demander de préciser depuis quand exactement. Depuis quand au Chili ? C’est pourtant simple : depuis 1973, depuis que Pinochet a commencé à appliquer le « Ladrillo » (la brique) des Chicago Boys. C’est pas très sexy d’expliquer que, habituellement, ce sont des dictatures qui imposent des programmes économiques aussi brutaux.
Le « journaliste » n’était pas au courant, probablement.
Macri déroule son argumentaire en soutien inconditionnel de Milei. Son argument s’articule sur l’image d’une bombe à retardement qui aurait été placé là par le gouvernement antérieur. Le programme économique ne sert qu’à déminer. Le ministre de l’économie, Luis Caputo (déjà ministre sous Macri), est un habile démineur qui, en « coupant un câble par ci, un autre par là », est parvenu à ce que la bombe n’explose pas. Ses gestes, rapides et précis, ont permis d’éviter le pire. Quiconque s’opposera au gouvernement, qui ne cherche qu’à désamorcer la bombe, sera responsable de son explosion. Macri file la métaphore durant toute l’interview.
C’est la première fois que j’entends cette image de la bombe à retardement pour un programme économique. Je connais très bien ce scénario mais habituellement il est utilisé pour justifier la torture.
La métaphore de la chirurgie
A propos de torture : seconde interview de la soirée, Patricia Bullrich, ministre de la Sécurité de Milei. Ce dernier a été élu sur une campagne promettant d’éliminer la « caste ». Issue d’une des plus vieilles familles aristocratiques du pays et occupant différents ministères depuis plus de vingt ans, Bullrich est exactement ce qu’une bonne partie de l’électorat de Milei identifie à la « caste ». Les promesses n’engagent…
Pour sa part, elle se contente de reprendre la métaphore du patient qu’il faut opérer en urgence. Chirurgie à la tronçonneuse.
La métaphore de la chirurgie est déjà très classique en Argentine. Elle était utilisée sans cesse durant les années 1990, sous la présidence de Carlos Menem (1989-1999) qui a mené le pays à l'une de ses pires crises (économique, sociale et politique).
Entre déprime et stupeur
Je jette un regard sur mes boucles whatsapp. Déprime et stupeur s’y expriment de différentes manières. Il y a trop en même temps, personne ne sait à quoi résister d’abord. Ça va dans tous les sens et rien n’est épargné. Je vais faire quelques courses pour dîner. Les pâtes sont à 2000 pesos (équivalent à 2 euros, pour des pâtes communes), je pense au salaire minimum de 156 000 pesos : 78 paquets de pâtes.