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Billet de blog 31 octobre 2023

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Logique terroriste, logique génocidaire. Exposition du crime, négation du crime

Colonialisme, réaction terroriste et réponse génocidaire sont les trois types de crime à l’œuvre dans le bain de sang qui s'étend en Palestine

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Dans la volonté de définir les crimes, de faire une typologie des crimes pour en comprendre les logiques, on s’adonne à un exercice assez indécent. Pourquoi ne pas s’en tenir à l’expression de notre horreur devant les milliers de Palestiniens massacrés ? Pourquoi ne pas, seulement et simplement, signifier notre horreur devant les centaines d’Israéliens massacrés ? Ne peut-on pas s’en tenir à la seule nausée que nous provoque la colonisation de la Palestine avec son lot de crimes atroces inhérent à toute entreprise coloniale ? Ne peut-on pas s’en tenir au dégoût que provoque les sanglantes réactions au colonialisme ?

On pourrait en rester là. Outre leur impuissance avérée, les mots ajoutent de l’indécence dans une situation comme celle du massacre en cours.

Pourtant chercher à comprendre, même inutilement, même assis sur sa chaise, au chaud et tranquille, à des milliers de kilomètres des personnes affamées, assoiffées, bombardées, terrorisées, massacrées, même ainsi, reste nécessaire. Un nécessaire inutile, mais nécessaire tout de même (pour moi ? pour d’autres ? Je ne sais pas, je le sens).

Dans cette compréhension, ou cette recherche de compréhension avec des outils intellectuels précaires (et discutables, toujours discutables), les mots sont importants. Qualifier les crimes est important, ils indiquent leurs intentions et leurs portées.

Mais qualifier les crimes est plus affaire de juristes. Pour ma part, je vois des logiques (portant des crimes), trois logiques : coloniale, terroriste et génocidaire.

C’est la situation qui est coloniale. La réaction qui est terroriste. Et la réponse à cette réaction qui est génocidaire.

Que la situation soit coloniale, personne n’en doute. A la rigueur, les désaccords portent sur si c’est l’ensemble du projet sioniste, c’est-à-dire Israël tel que reconnu en 1948, ou seulement les annexions successives suivantes, qui relèvent du colonialisme. Quelles que soient les frontières d’Israël, le peuple sans état (palestinien) vit sous domination coloniale. Et, à Gaza, emprisonné.

Face à la colonisation et l’emprisonnement, les réponses sont rarement pacifiques -encore moins si celles-ci échouent. Un jour ou l’autre, c’est la guerre. La question est comment faire la guerre avec les moyens du colonisé ? La réponse est souvent le terrorisme, arme du pauvre par excellence. Il n’est pas question de savoir si c’est légitime ou pas. Ici, tous les crimes sont atroces.

Le terrorisme est utilisé par une entité politique si, à tort ou à raison, elle se considère faible face à un ennemi qu’elle veut toucher absolument. L’action terroriste consiste en une utilisation de la violence dans le but de frapper les esprits, plus durement encore que les corps et les infrastructures. C’est donc dans l’exposition, ou la médiatisation, de la violence que réside l’action terroriste. Dans ce sens, l’attaque du 7 octobre est terroriste et assumée comme telle par le Hamas dans la mesure où l’organisation a, autant que possible, diffusé ses crimes, y compris -ou, plutôt, surtout- les plus épouvantables.

En réponse à cette attaque terroriste, Israël n’a pas seulement intensifié son crime colonial constant, elle est entrée dans une logique génocidaire. L’un des symptômes de cette logique est la négation du crime. Le génocide s’accompagne de sa négation. D’abord parce que le génocidaire ne tue jamais un véritable être humain, il déshumanise sa cible qui devient quantité négligeable, si bien que la tuer ne peut être considérer comme un crime. Ensuite, il organise le silence durant la perpétuation du crime. Enfin, il nie, minore et relativise le génocide.

Les déclarations des responsables israéliens sur l’inhumanité des Palestiniens et le blackout sont les deux premières phases de cette négation, ses piliers de celle de demain. Et face à la négation, les mots sont importants.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.