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Billet de blog 25 janvier 2013

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Django Unchained - Tarantino se tire une balle dans le pied -

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Django Unchained ou comment Tarantino se tire une balle dans le pied

La cinémanie de Quentin Tarentino va finir par lasser. Après la black exploitation, le film de sabre ou encore le film de guerre, c’est au tour du western spaghetti de passer à la moulinette du réalisateur de Pulp Fiction avec Django.

Sergio Corbucci, auteur du Django original, n’a jamais égalé le maître Leone, mais ses films possédaient un véritable charme, voire de réels atouts que vampirise son faux remake américain. Le mélange de réalisme et de baroque, dû au manque de moyens et à la liberté dont bénéficiaient les réalisateurs de westerns spaghettis, constituait la marque de fabrique du réalisateur. Si l’admiration que voue le cinéaste américain à Corbucci est sincère, on ne peut s’empêcher d’y voir une certaine condescendance, y compris dans la façon de pousser à l’extrême certaines spécificités du genre : une idée de départ basique, des effusions de sang à la limite du gore, un second degré assumé et un pseudo humour noir qui paraissent surannés.

Bien sûr, Tarantino a un incontestable sens de la mise en scène, et plus de talent que les réalisateurs de série B dont il s’inspire. C’est d’abord un excellent directeur de casting et d’acteurs. Les dialogues sont remarquablement écrits : le trio Waltz-Di Caprio-Jackson touche à la perfection. Créatifs, toujours justes, les trois acteurs donnent au film une intensité qui s’évanouit dès que l'on en revient au personnage principal. Car Jamie Foxx, censément héros du film, n’est pas à la hauteur de ses partenaires. Dès qu’il occupe le devant de la scène, le film s’enlise dans la parodie et l’ennui. Quant à Kerry Washington, son personnage semble si peu intéresser le réalisateur qu’on se demande bien pourquoi il nous l’inflige. L’attention du spectateur comme du réalisateur se portant uniquement sur les seconds rôles (une première pour un réalisateur qui soigne tant les premiers d’habitude), le film reste bancal. Et rien ne parvient à justifier ses 2h45.

Au fond, la grande force de Tarantino, sa manière à lui de cacher certaines faiblesses, c’est d’écrire et de filmer d’incroyables face-à-face, des monologues inattendus qui rentreront dans l’imaginaire collectif et feront vite oublier un film inégal. Mais si l’entreprise de recyclage est plaisante, elle tourne en rond. Django peine à devenir autre chose qu’un film à sketchs alternant moments de bravoure et longueurs pesantes.

La véritable nouveauté réside dans ce que Tarantino n’a pas tiré de ses influences, mais qu’il a lui-même mis à jour : une description de l'esclavage parmi les plus brutales, les plus poignantes que l'on ait vues au cinéma. La vraie surprise du film est là, dans ces scènes presque insoutenables. Tarantino veut montrer qu’à cette époque, une telle violence apparaissait comme naturelle tant le  racisme était une évidence. Quand à Samuel Jackson, son personnage d'esclave complice de l'esclavage donne au film un aspect dérangeant, presque subversif. Ces séquences laissent entrevoir ce que serait le cinéma de Tarantino s’il était enfin débarrassé de l’accumulation de références qui finissent par parasiter son œuvre. Tant qu’il utilisera sa cinéphilie comme une béquille, son cinéma sera à l’image de ce Django : inégal, traversé d’éclairs de génies mais aussi de facilités. Tarentino aime que ses films soient reconnaissables au premier coup d’œil. Pari réussi. Il est le seul à préférer dédier son talent à des cinéastes moins talentueux, mais qui possédaient une qualité qu'il n'a pas (encore) : l'audace.

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