Wes Anderson désormais un peu trop populaire, c'est Noah Baumbach, réalisateur du très réussi Le Divorce des Berkman (et du plus décevant Greenberg) qui est désormais élevé au grade de nouvelle icône du cinéma hipster. Ton décalé, situations gentiment absurdes et déclaration d’allégeance outre-Atlantique à notre nouvelle vague : Frances Ha répond en tout point au cahier des charges assez peu exigeant d'une « certaine tendance de la critique française » et d'un public flatté de se reconnaître dans les péripéties d'une jeune fille aux talents limités. Ne parvenant pas à devenir danseuse professionnelle, elle se retrouve dans « la galère » du chômage et de la recherche d'un logement. Une galère en noir et blanc, chic, une galère bien proprette dont on rêverait presque quant il s'agit de trimballer ses affaires et ses problèmes de cœur entre deux lofts new-yorkais.
Frances Ha serait donc une jeune-femme-bien-de-son-époque. Comme dans Sex and The City, elle parle de sperme, ce qui semble être la marque de notre époque (transgression post pompidolienne qui fonde la vision de la modernité...)Dans un film où tous les personnages ont le même âge, celui où les étudiants sont rentrés dans la vie active, Frances reste coincée entre les deux : dans un no man's land de boulots et logements précaires. Enfin, précaire : on reste dans une précarité que ne renierait ni Rohmer ni Hélène et les garçons. Frances Ha n'est pas Louise Wimmer, le spectateur n'est pas véritablement angoissé pour son héroïne. Le chômage et l'angoisse de se retrouver à la rue restent filmés avec légèreté. Trop? Au fond ce qui gêne dans cette vision de la précarité, qui elle est véritablement de notre époque, ce n'est pas tant la légèreté, mais le sentiment que Baumbach trouve ça très esthétique.
La longue chute emmènera l'héroïne jusque dans son ancienne chambre de résidence universitaire, situation qui donne les meilleures séquences du film. Loin de créer une dynamique, cette déchéance soft semble constituée de séquences détachées les unes des autres pour créer sciemment la fameuse distance entre ce que vit l'héroïne et la façon dont le réalisateur le filme. Ce qui intéresse le cinéaste, c'est le noir et blanc, totalement superflu mais très joli, comme du reste l'est toute la photo du film.
Entre distance et absence de point de vue, la frontière est souvent franchie. En bon élève et en cinéphile érudit, Baumbach emprunte à Jarmush, Woody Allen, mais aussi, plus chic : à Jean-Luc Godard. Il ose même un hommage, à la limite de la flagornerie, à Léos Carax, quand l'héroïne, comme Denis Lavant dans Mauvais Sang est suivie par un long travelling latéral sous le "Modern Love" de David Bowie.
Hommage, fayotage ou plagiat déguisé, la séquence révèle un certain malaise et l'on cherchera vainement où se trouve véritablement Noah Baumbach dans tout ça. Son film ressemble à un bout à bout de court métrages de fin d'études, réalisé par un élève doué mais trop occupé à prendre la pause. Son film est souvent drôle, mais craignant visiblement de le voir réduit à une comédie comme à son contexte social, le cinéaste semble désireux de rester dans les clous du « cinéma d'auteur new-yorkais » qu'il voit comme un genre à part entière : ni comédie, ni social, ni rien en fait..
Si le film est un film d'auteur, c'est par la grâce de Greta Gerwig : de tous les plans et pour qui on est prêt à passer outre les clichés de la mise en scène. Exercice de dévotion envers la nouvelle vague, la réussite du film est paradoxalement due à une actrice qui a activement participé à la construction de son personnage.
Drame aux Cahiers du Cinéma : encenser un film honorable mais qui n'est pas plus celui de Baumbach que Le gendarme à Saint-Tropez n'était celui de Jean Girault.
L'actrice vampirise le film comme Louis de Funès le faisait. Le talent de l'acteur devait faire oublier l'absence de mise en scène, comme celui de Greta Gerwig ferait pardonner une esthétique toc.Toujours sur le fil : entre ado attardée et jeune femme désespérée, la Frances de Greta Gerwig séduit et personnalise l'instabilité qui serait propre à cette génération. Un cliché qui passe bien mieux grâce à sa capacité à changer de registre sans jamais en faire trop.
Quand Baumbach se concentre sur l'essentiel - mettre en scène le talent comique de son actrice -, alors la totale vacuité de l’œuvre s'efface pour laisser place aux aventures d'une jeune femme condamnée à être toujours en décalage avec le monde qui l'entoure. Certes, il aurait fallu renoncer à l'idée de réaliser le grand « petit film indépendant » de son époque, qui se voudrait le chainon manquant entre la nouvelle vague et « Sex and The City ».
De ce film agaçant, restera au moins le plaisir de (re)découvrir Greta Gerwig, son sens du burlesque et le personnage qu'elle a crée : ni Woody Allen au féminin ni égérie de Godard, mais juste Frances Ha.
Jeremy Sibony
"Frances Ha" Un film de Noah Baumbach - Avec Greta Gerwig, Mickey Sumner, Michael Esper, Adam Driver, Grace Gummer, Michael Zegen - Directeur de la Photographie : Sam Levy - Montage : Jennifer Lame - Scénario: Noah Baumbach, Greta Gerwig. - Etats Unis - Durée 1h26