Jeudi dernier, le journaliste Hugo Clément a partagé la même tribune avec le président du Rassemblement national, Jordan Bardella à l’occasion du « Grand débat des valeurs », organisé par l’hebdomadaire d’extrême-droite « Valeurs Actuelles ».
Valeurs Actuelles est un magazine xénophobe, haineux et néofasciste, qui n’hésite pas à produire « des unes » pour lesquelles il recourt aux iconographies les plus infâmes et les plus avilissantes pour les êtres humains, comme il l’a fait en représentant une femme noire (en l’espèce députée de la République) enchainée, comme l’étaient autrefois les esclaves noirs, signifiant par là-même, la représentation « de bête sauvage » qu’on entendait ainsi lui faire porter.
Toute honte bue et sans faire la moindre preuve d’auto-critique, Hugo Clément assumait ensuite pleinement sa participation à ces agapes d’extrême-droite, en stigmatisant très opportunément et non moins cyniquement, celles et ceux qui avaient eu l’outrecuidance de s’en indigner, en dénonçant leur supposé commun « sectarisme ».
De tels procédés d’amalgame et de victimisation, utilisés dès les premières lignes de son texte visant à justifier sa présence aux côtés de l’extrême-droite, concourent en fait à la réalisation deux objectifs.
D’abord, il tente de disqualifier l’ensemble de ses contradicteurs, en les réduisant à un même bloc homogène, en considérant que la totalité des critiques qui lui sont adressées, sont par essence « sectaires », et ce, alors même que l’immense majorité d’entre elles ne l’étaient en aucune manière.
Ensuite, en se présentant comme victime, Hugo Clément invite impérativement ses abonnés à se ranger derrière lui et installe d’emblée une sorte de « rail mental » et affectif qui entraîne le jugement de ses abonnés sur une tout autre voie que l'évaluation rationnelle de sa participation à un événement d’un journal néofasciste.
Banalisation, normalisation et légitimation de l’extrême droite
Pour justifier sa participation à ce meeting d’extrême-droite, Hugo Clément développe deux arguments principaux.
La première justification avancée par le journaliste consiste à considérer que l’écologie doit « dépasser les clivages politiques » et « parler à tout le monde », en particulier au Rassemblement national, pour lequel « 13 millions de citoyens » ont voté aux dernières élections présidentielles.
Autrement dit : peu importe que le Rassemblement national porte une vision du monde xénophobe, qu’il prône le démantèlement de l’État de droit, la mise en place d’une islamophobie d’État ou l’institutionnalisation de la chasse aux étrangers : il faut « parler à tout le monde » !
Sous couvert de « dépasser les clivages » et de parler à tous, Hugo Clément ratifie ainsi l’idée que le Rassemblement national est un parti politique comme un autre, que l’extrême-droite participe indistinctement de la vie démocratique du pays, sans que ses idées racistes et xénophobes n’aient lieu particulièrement d’être dénoncées.
Pour cela, il joue de la confusion, en confondant délibérément « parler à l’électorat » du Rassemblement national, comme il est important de le faire dans une démocratie : en débattant avec les citoyens, en allant à leur rencontre sur les marchés, en déconstruisant, dans ces échanges ou publiquement, les discours du Rassemblement national, et - ce qui est évidemment très différent - « faire meeting commun » avec le Rassemblement national, aux côtés de son président lui-même, Jordan Bardella.
Il y a une différence fondamentale entre « parler aux électeurs » de l’extrême-droite et aller « chez » l’extrême droite (Valeurs actuelles) pour servir de caution écologique à une entreprise de réhabilitation idéologique.
En participant à de telles réunions politiques organisées par l’extrême-droite (dont le seul objet pour cette dernière est bien sûr de donner l’écho le plus grand à ses idées nauséabondes), Hugo Clément valide ainsi implicitement la pensée néo-fasciste de Valeurs Actuelles, mais participe également à la dédiabolisation du Rassemblement national.
Il joue ainsi le rôle d’« idiot utile » de la stratégie de communication des dirigeants du Rassemblement national, dont l’objectif vise à les faire apparaître « plus écolo » qu’il ne le sont, afin d’élargir leur électorat.
D’ailleurs cette stratégie marketing du Rassemblement national semble prendre : France Info titrait déjà, dès ce lundi, que « Jordan Bardella prépar[ait] sa mue écologiste ».
Cette mise en équivalence à laquelle procède Hugo Clément, entre le Rassemblement national et les autres partis républicains et démocratiques, est particulièrement délétère. Elle participe dangereusement à la banalisation, à la normalisation et à la légitimation de l’extrême-droite.
La second argument excipé par Hugo Clément pour justifier de ses liaisons dangereuses avec l’extrême-droite, consiste à démontrer non seulement l’innocuité d’un tel compagnonnage, mais le grand intérêt qu’il revêt au contraire, pour la cause écologique.
Le programme du Rassemblement national nous dit le journaliste, est « vide » sur ces questions, dès lors « que risque-t-on à essayer de transmettre des chiffres, des constats, des solutions? ».
Relevons d’abord qu’il est tout de même particulièrement singulier de prétendre vouloir aider un parti d’extrême-droite à « améliorer son programme ». Il y a 20 ans, de tels propos auraient générés, à juste titre, une indignation nationale.
Mais pour Hugo Clément, cela ne compte pas, il assume en fait, la posture dénoncée par le philosophe Pierre Charbonnier :
« Tant que vous acceptez de protéger les animaux, vous pouvez développer l'idéologie que vous souhaitez ».
Est-il excessif de poser la question éthique, du sens qu’il y a à promouvoir un parti politique qui, d’une main affirmerait vouloir soutenir les droits des animaux, tandis que de l’autre il continuerait d’assumer sa volonté de brutaliser et de dénier les droits d’autres êtres sensibles, des êtres humains, en raison de leur couleur de peau, de leur religion ou de leur orientation sexuelle ?
Grande opération d’auto-promotion
Ainsi, pour capitaliser auprès de sa « base », Hugo Clément procède à une mise en scène victimaire, tout en surjouant le « courage » qui fut le sien, d’être allé à ce meeting d’extrême-droite (où l’audience lui aurait été « a priori hostile »).
À l’heure de la plateformisation croissante de la politique et du militantisme, ce procédé consistant à se poser en victime est particulièrement rentable sur les réseaux sociaux : cela permet à Hugo Clément d’être très visible et de mobiliser un maximum de soutien de ses « fans » - les like et les messages de soutien en commentaire « poussant » l’algorithme à rendre sa publication encore plus visible. Soutien qu’il tente de convertir en abonnements pour son nouveau média Vatika.
Il n’y a évidemment aucun « courage » à faire tribune commune avec le Rassemblement national.
Aucun « courage » à légitimer ainsi les idées xénophobes et réactionnaires de l’extrême droite.
Aucun « courage » à banaliser Valeurs actuelles, journal condamné pour injure publique à caractère raciste.
S’y rendre, et n’avoir strictement aucun mot à opposer aux discours de haine du Rassemblement national, est au contraire d’une lâcheté absolue.
La stratégie de défense adoptée par Hugo Clément ces derniers jours, est particulièrement éclairante sur ses intentions : il n’a pas dit une seule fois son opposition à l’idéologie xénophobe et identitaire du Rassemblement national.
Il n’a pas essayé de se démarquer une seule fois des idées dégradantes portées par ce parti en disant, par exemple, qu’ils ne les partageaient pas.
Il n’a pas dit une seule fois que sa stratégie du « dialogue » avait pour finalité de détourner les électeurs d’’extrême droite du vote RN.
Pas une seule fois.
Sa seule ligne de défense a été : « il faut parler à tout le monde ».
Dédiabolisation du Rassemblement National
Le Rassemblement national n’est pas un parti comme un autre. Le traiter et le considérer comme n’importe quel autre parti politique, ne sert qu’à contribuer à sa normalisation, ainsi qu’à celle des idées qu’il véhicule.
Or de telles idées doivent demeurer anormales. Elles ne sont pas des idées semblables aux autres, qui peuvent être également discutées et débattues.
Ces idées xénophobes ne se discutent pas, elles se combattent. Elles ne constituent pas des opinions, mais des négations de nos principes humanistes les plus fondamentaux.
Cette banalisation, puis cette normalisation du Rassemblement National, permettent, et c’est sans doute là le plus grave, au bout de ce processus, la légitimation des idées professées par l’extrême-droite.
Devenues légitimes, rien n’empêchera alors plus leur mise en œuvre. Les mots, ainsi légitimés, pourront alors « légitimement » se transformer en actes, et la barbarie prospérer.
C’est ainsi que la lepénisation des esprits progresse irrésistiblement, pour mettre à bas les fondements de notre État de droit démocratique.
Dépolitisation de l’écologie
Avec sa stratégie de communication, Hugo Clément exploite à merveille une aspiration très présente chez nombre de citoyens particulièrement sensibles aux effets du dérèglement climatique : le fait de ne pas se « diviser » sur l'écologie.
Or, cela n'est ni souhaitable ni possible : l’écologie, comme tout problème politique, suscite nécessairement de la division et des désaccords : sur les choix énergétiques, sur les investissements publics prioritaires, sur les choix de mobilité, sur les interdictions ou les limitations à décider et à arbitrer..
La démocratie se caractérise précisément par le fait que nous puissions nous diviser, là où les totalitarismes haïssent tout désaccord politique et font l’apologie de l'unanimisme.
L’écologie, la défense du vivant, la sensibilité au bien-être des animaux, ne pourront jamais justifier d’accepter, de légitimer ou de passer sous silence la brutalité envers des êtres humains, à raison de la couleur de leur peau, de leur religion ou de leur orientation sexuelle.
La décorrélation entre l’écologie, les droits humains et la justice sociale est un piège extrêmement dangereux. Il est important de mettre un frein à cette dépolitisation de l’écologie. Il nous faut nous y opposer et toujours la combattre.
L’écologie que nous portons est une écologie humaniste et émancipatrice. Nous devons en être les gardiens attentifs et vigilants, particulièrement dans ce moment de notre histoire où plane cette menace brune, persistante et au combien inquiétante, sur notre État de droit.
Il nous faudra continuellement porter d’un même mouvement, un projet écologique dont le souci premier sera de traiter avec une égale humanité tout être sensible, qu’il soit humain ou non-humain.
Jérôme Auslender
@JAuslender
Docteur en droit international des droits de l’homme
Ancien avocat en droit des étrangers