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Billet de blog 3 août 2010

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Les oubliés de Torre del Mar

«Si on ne meurt pas ici, ce doit être la volonté de Dieu... Mais les conditions de vie, ici, ne sont vraiment pas humaines.» Pledad, qui prononce ces mots, n'habite ni en Irak, ni en Afghanistan, ni dans un autre pays ravagé par un conflit armé. Elle habite à quelques pas, au sens propre, de Torre Del Mar, dans le sillage de Malaga, au sud de l'Espagne.

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«Si on ne meurt pas ici, ce doit être la volonté de Dieu... Mais les conditions de vie, ici, ne sont vraiment pas humaines.» Pledad, qui prononce ces mots, n'habite ni en Irak, ni en Afghanistan, ni dans un autre pays ravagé par un conflit armé. Elle habite à quelques pas, au sens propre, de Torre Del Mar, dans le sillage de Malaga, au sud de l'Espagne. Là où de nombreux touristes se rendent chaque année. Sauf que si elle habite ici, ce n'est pas pour le plaisir de vivre à proximité ou plutôt derrière une station-service, et en face d'immeubles neufs ou abandonnés et presque tous vides, mais parce qu'elle ne peut pas faire autrement, comme d'autres familles dans la même situation.

Ces familles qui vivent ici, appelées « Las Casillas de la Via », sont d'origine gitane et seraient entre 20 et 25 selon la Mairie de Velez-Malaga qui, entre autres administrations, gère ce site. Un chiffre à prendre avec précaution car très difficile à évaluer précisément, certaines familles arrivant dans ces logements de fortune, restant quelque temps et, pour certaines, trouvant finalement un logement en location ailleurs, alors que d'autres n'ont pas forcément cette chance. Des logements qui existent ici depuis une quinzaine d'années.

Grâce à l'aide de Lorena Mora Lucena, de l'association APIGA (Asociacion de Promocion y de Investigacion Gitanos de la Axarquia), nous avons pu rencontrer des membres de ces familles, installées depuis des années et qui, selon des témoignages recueillis sur place, y seraient même nés. La plupart des propos reflètent une situation pour le moins inquiétante (et constatée de visu): conditions sanitaires déplorables, pas d'accès à l'eau ou à l'électricité (ou avec... le système D), accès aux logements très difficile et non sans danger, ce qui complique encore davantage cette situation puisque le mari de Pledad ne peut plus se déplacer qu'en fauteuil roulant. Son état physique ne cesse de se détériorer et les examens qu'il doit impérativement subir (pour éviter des risques d'atrophie) nécessitent un transport à l'hôpital via une ambulance qui ne peut pas passer sur leur terrain, le neveu de la famille se chargeant donc de transporter le père de famille jusqu'à sa voiture pour l'emmener à l'ambulance, celle-ci assurant ensuite le trajet vers l'hôpital. Un trajet long, très long, tout comme ces examens de santé. Et pour cela, un vrai parcours du combattant.

Cela fait treize ans que Pledad habite ici et l'une de ses filles, âgée aujourd'hui de 15 ans, est là depuis ses 2 ans. Ses cinq filles sont nées à cet endroit. Pourquoi vivent-ils ici ? Parce qu'ils n'ont «pas d'argent, pas d'autre endroit où aller». Les conditions de vie ? «Pas d'eau potable, pas de salle de bains, aucun endroit pour jeter les poubelles. Il y a aussi des serpents, des rats, des cafards géants...» Et pour empêcher les rats géants de pénétrer dans leur logement, ils ont installé une deuxième table devant la porte. Pour avoir un peu d'électricité, ils se branchent sur le câble relié à une usine non loin de là, mais les choses se corsent sérieusement au moment de l'hiver, le matériel se dégradant avec le froid. Une période hivernale qu'elle redoute autant que son époux, déjà très affecté physiquement.

Le logement pose aussi sérieusement problème, ou plutôt : la recherche d'un logement plus adéquat. Pledad, qui se charge de tout au foyer, ressent en effet une vraie réticence lorsqu'elle contacte des agences pour une location en précisant qu'elle est «gitane, avec cinq enfants». Tous ses enfants sont scolarisés, sauf l'aînée qui reste à la maison pour aider sa mère. Ils parviennent à recevoir quelques aides, plus que modestes, notamment alimentaires via l'association Caritas, mais Pledad fait comprendre que cela reste très insuffisant. Elle insiste sur le fait que si sa famille habite ici, c'est parce qu'«on n'a pas d'autre choix. Je ne peux parler que de ma situation car ne je ne connais pas forcément celle des autres familles, mais si j'avais une autre solution je ne vivrais pas ici.» Vivre tout près d'une station essence ? «On sait que c'est très dangereux, mais on n'a pas le choix.» Elle met en cause le rôle de la Mairie : «Ils ne font rien pour nous, alors qu'ils connaissent parfaitement nos conditions de vie et que nous sommes allés les voir à plusieurs reprises. De l'argent devait arriver pour aider, sauf qu'on ne sait pas où cet argent est passé. On a besoin d'une maison, surtout pour mon mari qui ne peut pas bouger et a donc besoin d'une assistance.» Une assistante sociale leur a conseillé de chercher un logement par eux-mêmes, car cela n'entre pas dans les compétences de la Mairie de Velez-Malaga.

Les enfants ont des problèmes de peau, par manque d'hygiène. Pour se doucher, ils prennent une cuve d'eau et se la lancent les uns aux autres, une eau récupérée dans un système de canalisation, donc non potable, qui sert également pour laver par terre, la vaisselle. Système D. Elle se demande si la Mairie «n'a pas honte de toute cette situation, avec tous les touristes qui viennent dans la région. Ils doivent comprendre qu'on est des personnes. Ils ont les moyens de savoir ce qu'on fait, qui fait quoi. Ce n'est pas parce que quelques-uns trichent qu'on est tous comme cela», dit-elle. Juan, son époux, raconte que le responsable d'un vidéo-club a refusé de lui louer un film en voyant son adresse. «On nous juge seulement parce qu'on habite ici», déplore-t-il. Une forme de racisme quotidien : «Bien sûr, dit Pledad, si on n'était pas Gitans, beaucoup de choses seraient plus faciles. On nous aide moins parfois à cause de cela. Et, souvent, j'ai honte de dire où je vis...»

Côté Mairie, José Maria Montero, directeur des services sociaux, donne son avis sur la situation : «C'est un problème clairement lié à l'absence de logement, explique-t-il. Ces familles viennent de différents endroits de Malaga, mais aussi d'autres villes en périphérie. Ils viennent ici car ils n'ont nulle part ailleurs où aller. Parmi ces familles, certaines ont d'autres maisons mais restent là-bas car on leur a fait des promesses de logements à venir.» Il précise que «ce sont des gens d'origine gitane, qui vivent de la vente ambulante et d'autres petits boulots non qualifiés. Les enfants sont scolarisés, ils n'ont pas de gros problèmes d'absentéisme. Il existe même des programmes d'aides pour les plus jeunes, avec des colonies d'été. Par ailleurs, ajoute-t-il, des bus assurent le trajet depuis Las Casillas jusqu'à l'école. En revanche, il y a de gros soucis côté hygiène.» Il confirme l'insalubrité des logements, même si «chaque logement est différent : certains sont bien faits, d'autres sont de piètre qualité de vie.»

La responsabilité de la Mairie ? «Cela relève de nos compétences, on ne peut le nier bien que cela relève aussi de celles du gouvernement régional d'Andalousie et du Ministère du Logement à Madrid. Je suis ici depuis novembre 2008, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi ce problème n'a pas été réglé plus tôt. De l'argent provenant du gouvernement devait arriver à la Mairie pour aider, mais on a apparemment estimé en haut lieu que cet argent serait insuffisant, et on ne sait pas ce qu'il en est advenu. Aujourd'hui la Mairie a décidé d'y remédier, mais on ne comprend pas comment une telle situation peut encore exister de nos jours... » Il nous fait savoir que quatre réunions ont déjà eu lieu avec le gouvernement de la région à ce sujet. Une solution envisagée pour y mettre un terme ? «Nous avons comme projet un programme d'éradication de Las Casillas qui consiste à donner à ces familles de nouvelles maisons, un plan d'intégration car il faut les intégrer dans une situation plus normalisée, dans des quartiers normaux puisque pour l'instant ils sont en dehors de la ville et dans une situation difficile. Leur situation est comparable à celle de migrants arrivant dans un pays : il faut les aider à comprendre le fonctionnement du pays, quelles sont les lois, etc. Notre projet concerne également l'éducation, le travail, le sanitaire. Si à la fin de l'année, cela ne fonctionne pas, on considèrera cela comme un échec. Peut-être serons-nous critiqués, mais nous devrons assumer ces critiques», dit-il en toute franchise avant d'ajouter que «c'est un problème ancien, mais on va essayer de le régler avec le peu de temps dont on dispose. On sait que déjà quelques familles sont parties car elles ont pu obtenir un logement en location et se sont très bien intégrées dans leurs nouveaux quartiers.»

Il confirme le travail de terrain effectué par l'association APIGA, qui collabore avec eux : «Ils sont spécialisés dans ce domaine, et certains de ses membres sont de la même origine ethnique, c'est donc plus facile pour eux de comprendre les problématiques.» Ces logements de fortune, en face d'immeubles en majeure partie inutilisés, et derrière une station-service : n'est-ce pas un peu dangereux ? «Oui, c'est évident et on ne peut pas le nier. En face, il y a des constructions hors de prix. On est tous coupables de cela, dans une période de crise économique qui prend à la gorge toute l'Espagne. Si ce parc de logements était moins onéreux, nombre de familles auraient moins de difficultés et pourraient s'y installer. Il faut remédier à cela.» La «crise économique»: l'un des principaux noeuds du problème. La Mairie planche actuellement sur des solutions alternatives : un système de location pour que ces familles disposent d'un logement et qu'elles en soient responsables. «Un logement adapté à leurs revenus, précise-t-il. On pense à une location sur 20 ou 30 ans à des prix adaptés. Ces habitations appartiendraient à l'administration et devraient être remises à d'autres familles, si celles qui l'occupaient jusqu'alors partaient.» José Maria Montero reste néanmoins très amer sur le fait que «c'est un très mauvais moment économiquement. Avec l'argent qui avait été envisagé, cela aurait permis de faire quelque chose...» Là aussi : un vrai parcours du combattant.

Jérôme Diaz,

Journaliste indépendant

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