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Billet de blog 14 juillet 2011

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Afghanistan, Libye… conflits interminables pour leçons non retenues.

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Alors qu’à la fin du mois de juin dernier, et dans la foulée de Barack Obama, le président Français annonçait à son tour un début de retrait progressif des troupes françaises d’Afghanistan[1], on apprenait ce 13 juillet la mort de 5 soldats français, ainsi qu’un blessé, dans la province de Kapisa, située au nord de Kaboul, la capitale afghane. Une liste macabre qui n’en finit plus de s’allonger, et ce alors que les parlementaires français votaient au même moment la continuation de l’ « autre » guerre, celle qui se déroule en Libye[2] et qui elle aussi fait des victimes (ah bon ?). Décidément, certains ont fermement décidé de ne pas comprendre, ou en tout cas de faire semblant… Près de dix ans après le début d’une guerre sur le sol afghan qui, dès le départ, ne voulait pas (et ne veut toujours pas) dire son nom, force est de constater que nous (la diplomatie française) n’avons pas appris grand-chose de ces guerres, ô combien longues, coûteuses à tous points de vue, parfaitement inutiles et contre-productives. Le constat est assez simple : aveuglés que nous sommes par l’envie irrépressible d’imposer nos idéaux (-logies…) partout dans le monde, par la force s’il le faut (et visiblement, il le faut !), nous sommes incapables de faire preuve d’un minimum de bon sens, et ce pour tenter de nous racheter une bonne conscience après une série de très jolies « vestes » diplomatiques (Tunisie, entre autres), et par là-même retrouver un semblant de respectabilité dans le « Concert des Nations » pour reprendre l’expression d’usage. Le problème, c’est qu’instrumentaliser (puisque c’est le cas ici, soyons clairs) le droit international selon ses propres intérêts, cela a un nom : hypocrisie. Car personne ne se soucie réellement du sort des populations civiles dans le cas de ces conflits. Personne. L’auteur de ces lignes, pas trop mauvais connaisseur de la région Proche-Orient (qui n’est ni la Libye ni l’Afghanistan, nous sommes bien d’accord), n’a du reste jamais vu un texte voté aussi rapidement par le Conseil de sécurité de l’ONU, comme cela a été le cas pour la Libye. Ce qui montre très bien, en l’occurrence, que certains problèmes, et surtout certaines façons de les « régler », arrangent à peu près tout le monde… On est là dans la realpolitik, qui n’a rien à voir avec le Droit international, qu’il soit des Droits de l’Homme ou Humanitaire. Le problème de ces conflits interminables dans lesquels nos troupes sont à la fois engagées et enlisées, c’est qu’il n’y a pas le gramme d’une stratégie qui tienne la route, une stratégie qui serait à la fois cohérente et vraiment pensée. Pensée au moins à moyen terme plutôt qu’à court terme. Car tout est fait selon le court-terme. Comme l’avaient annoncé très justement Mediapart ou encore Rony Brauman[3] il y a quelque temps, on sentait dès le départ que les troupes militaires étaient envoyées en Libye (presque) sur un coup de tête et qu’on se dirigeait tout droit vers un fiasco monumental alors qu’existaient d’autres options (gels des avoirs, embargos, etc.), hélas moins médiatiques et donc moins spectaculaires pour le journal télévisé. En clair : dès le départ, ça sentait le roussi. On me répondra (car cela a déjà été le cas) : « mais enfin, on ne peut pas rester là sans rien faire et regarder ces pauvres gens se faire massacrer ! » Ce à quoi j’ai toujours répondu que c’était là un argument de vendeur de lessive qui ne tenait pas la route. Le fait d’être choqué par les exactions perpétrées contre une population est une chose. Le fait d’intervenir militairement en est une autre. On m’a dit insensible, indifférent, « intello à 3000 kilomètres », etc. Je ne suis pas insensible évidemment. Bien au contraire même, et comme tout le monde. Mais répondre sur le coup de l’émotion et utiliser celle-ci pour justifier l’emploi de forces armées, soit-disant dans un but « humanitaire », est la pire chose à faire. C’est pourtant exactement ce qui s’est passé. Ce fut le cas aussi pour d’autres conflits, comme celui du Darfour. Comme dirait en substance Régis Debray, il est plus facile de réagir sous le coup de l’émotion devant sa télévision et de décider illico l’envoi de toute une armada plutôt que d’éteindre celle-ci (la télévision) et de prendre une carte de géographie pour tenter, à tête reposée, de démêler l’imbroglio… De plus, la résolution 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU énonce de « protéger les civils »[4] comme but de la manœuvre, formule qui reflète elle-même ce non-dit diplomatique au travers duquel il fallait plutôt comprendre « faire tomber le Colonel Kadhafi et son régime » qui aurait eu pour le coup le mérite de la franchise. Quoique la mention « par tous les moyens nécessaires » se rapproche un peu plus de l’idée sous-jacente…Evidemment, la stratégie prouve depuis lors son inefficacité abyssale, car on se rend compte que le Colonel est moins facilement « détrônable » qu’on le croyait (ah bon ? bis), et que la « plaisanterie » va accessoirement coûter aux contribuables (nous, petits citoyens que nous sommes) bien plus que ce qui était prévu. Assez drôle d’ailleurs de constater qu’en France nous sommes très nombreux à entendre qu’il n’y a pas assez d’argent d’un côté alors que, de l’autre, on investit des masses absolument colossales dans des conflits dont nous ne sommes mêmes pas certains de l’issue. Une situation quelque peu…schizophrénique, et passablement agaçante.

Triste. Triste de voir des soldats mandatés par notre gouvernement continuer à se faire tuer en Afghanistan au nom d’un idéal aussi excitant qu’un slogan publicitaire (la « lutte contre le terrorisme » : une formule parfaitement absconse, la manière employée un non-sens total) alors que, soyons francs, pas le dixième d’entre nous ne serait capable de situer ce pays sur une carte sans hésiter. Triste de voir, en parallèle, que l’argent de l’aide internationale destiné à reconstruire ce même pays a en grande partie disparu (ou a été massivement détourné, ce qui revient à peu près au même, problème qui se pose également en Irak), laissant une économie exsangue, des services publics quasi inexistants et une véritable mafia à tous les échelons, comme l’explique très clairement un passionnant rapport publié récemment par l’ONG International Crisis Group[5]. Triste également de voir que la mort d’Oussama Ben Laden n’a pas empêché Barack Obama, suivi de diplomates occidentaux, de considérer que « justice [était] faite » (une définition tout à fait personnelle du mot Justice…)[6] et de déclarer dans la foulée qu’il ne fallait pas cesser la lutte contre le terrorisme (ou, ce qui peut sembler un peu plus pertinent, le financement de celui-ci[7]), alors que la capture/mort du cerveau du réseau « Al-Qaïda » (le réseau lui-même étant mort depuis déjà quelque temps[8]) était la principale justification de dix années de guerre « là-bas », et ce en représailles aux attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain… Triste, encore, de voir que, dans un tel contexte, le seul pays jamais mentionné 1) qui ne subira jamais le joug de la « Communauté Internationale » ou du moins pas avant un certain temps, 2) qui est le principal financeur et substrat idéologique des mouvements islamistes les plus radicaux (comme la « Jamaa-Islamiya », branche radicale des Frères Musulmans[9]), 3) qui est aussi le seul pays au monde à porter le nom de la famille régnante, et enfin, 4) qui est sous la protection absolue (militaire, diplomatique, etc.) des Etats-Unis et l’indulgence de quelques autres depuis plus de soixante ans soit l’Arabie Saoudite[10], monarchie pourvue à la fois d’un Islam sunnite Wahhabite pour le moins rigoriste, d’une absence totale de liberté d’expression, mais aussi et surtout d’un sous-sol particulièrement riche en hydrocarbures qui en fait une réserve pétrolière non négligeable (quoique[11])… Donc, pas touche !

Afghanistan, Irak, Libye: oui, le constat n’est pas très encourageant. Mais il pourrait l’être un peu plus s’il n’y avait pas tant d’hypocrisie à (faire semblant de) vouloir sauver le monde avec un amateurisme aussi écœurant et ce davantage pour se racheter une bonne conscience (et accessoirement pour des intérêts économiques dont personne n’est dupe) plutôt que d’essayer d’agir intelligemment, donc en amont et de façon plus mesurée, avec une stratégie digne de ce nom, des moyens humains, matériels et financiers clairs, quantifiables et avec, si possible, une certaine hauteur de pensée tout en faisant montre d’une certaine humilité. Ce qui, décidément, nous fait beaucoup défaut…

Jérôme Diaz

Journaliste indépendant


[1]http://www.france24.com/fr/20110623-afghanistan-annonce-obama-retrait-progressif-des-troupes-usa-france

[2]http://www.rfi.fr/afrique/20110713-droite-gauche-parlementaires-approuvent-engagement-francais-libye

[3]http://www.tsr.ch/video/emissions/mise-au-point/3014098-situation-en-libye-entretien-avec-rony-brauman.html#id=3014098

[4]http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10200.doc.htm

[5] A lire en anglais à l’adresse suivante : http://www.crisisgroup.org/en/regions/asia/south-asia/afghanistan/207-the-insurgency-in-afghanistans-heartland.aspx

[6]http://www.france-info.com/monde-moyen-orient-2011-05-02-oussama-ben-laden-est-mort-justice-est-faite-barack-obama-533612-14-19.html

[7]http://www.news-banques.com/la-lutte-contre-le-financement-du-terrorisme-continue-apres-ben-laden-usa/012174602/

[8] On recommandera ici, pour approfondir la question, le visionnage ou la lecture de l’intervention d’Alain Chouet, ancien responsable de service à la DGSE, lors du colloque Le Moyen-Orient à l’heure nucléaire au Sénat en janvier 2010. Vidéos et actes du colloque disponibles à partir du site www.senat.fr

[9]http://www.terrorwatch.ch/fr/al_qaida.php ou encore http://www.secularvoiceofbangladesh.org/Jamaat%20i%20Islami%20%20A%20threat%20to%20Bangladesh%20by%20Chris%20Blackburn.htm

[10] Voir ici également l’intervention d’Alain Chouet devant le Sénat, pour qui ce pays est « l’épicentre du terrorisme islamiste ». En outre, on conseillera l’excellent film Syriana de Stephen Gaghan et/ou le livre Or noir et maison blanche de Robert Baer, ancien responsable des opérations clandestines de la CIA pour le Moyen-Orient, et dont le film Syriana est inspiré.

[11]http://www.monde-diplomatique.fr/2006/03/KLARE/13298

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