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Billet de blog 19 avril 2010

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Grève à la SNCF : même vu des Alpes et par beau temps, ce n’est pas forcément plus clair

Que ce soit à Paris ou dans la capitale des Alpes, pour beaucoup la grève de ces derniers jours dans la SNCF dépasse l'entendement, entre les résultats aux dernières élections régionales qui ont massivement sanctionné la droite, et un contexte de crise non négligeable.

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Que ce soit à Paris ou dans la capitale des Alpes, pour beaucoup la grève de ces derniers jours dans la SNCF dépasse l'entendement, entre les résultats aux dernières élections régionales qui ont massivement sanctionné la droite, et un contexte de crise non négligeable. Quelques questions donc à une bénévole de l'antenne locale de l'UMP, à des responsables de la CGT-Cheminots, en passant par la case SNCF.

Mardi 6 avril, aux locaux grenoblois de l'UMP. Une bénévole accepte de répondre à mes questions, mais sous couvert d'anonymat. A propos du mouvement syndical et des tergiversations internes très médiatisées, elle répond qu' « il y a toujours eu des négociations et des bras de fer ».

Elle précise qu'elle connaît bien ce domaine pour l'avoir « vécu de l'intérieur ». « Tout cela se passe dans un contexte de crise : la réforme des retraites, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, etc. La fonction publique est bien représentée, mais pas toujours représentative... Les gens sont souvent syndiqués pour des questions de confort. » Elle considère que « cela doit surtout gêner les usagers en région parisienne », avant d'ajouter que « c'est une prise d'otages ». N'est-ce pas un peu exagéré ? « Non, c'est toujours une prise d'otages, cela a toujours été le cas ! Il y a d'autres moyens ! » répond-elle.

A propos des motivations liées à ce mouvement, elle estime qu' « une explication pourrait être donnée. Il manque beaucoup d'informations et d'explications sur la grève. Il y a aussi une grande dichotomie entre les chiffres officiels et ceux annoncés par les syndicats. Ce que je souhaiterais, c'est qu'il y ait des revendications, à part demander des effectifs, plus de moyens, etc. » Je mentionne alors la phrase de Dominique Bussereau, Ministre des Transports, qualifiant dans la presse ce mouvement d' « incompréhensible et affligeant ». « C'est flou, pour moi aussi ! », répond-elle lorsque j'évoque le flou artistique qui entoure ce mouvement.

Nous évoquons les manifestations : « Le problème majeur dans ces mouvements, ce sont les casseurs, car ils décrédibilisent tout un mouvement. Quand on compte les manifestants, il faudrait éviter de les prendre en compte justement. » Parmi les manifestants, elle estime qu'il faudrait également « enlever les personnes âgées ». Pourquoi ? « Leur présence est légitime bien sûr, mais ils ne devraient pas être comptés dans les chiffres des actifs en grève. » Les syndicats devraient, selon elle, « faire des propositions. Il faut apprendre à travailler et discuter ensemble, des deux côtés. » Soit.

A la SNCF, sous couvert d'anonymat, j'apprends par certains employés que trois trains en moyenne sont annulés chaque heure. On me confirme par ailleurs les chiffres lus dans la presse : 60 % des TER prévus pour rouler, 70 % du côté des TGV. Un « détail » : l'information existe. Des panneaux de transport sont installés au milieu du hall de gare et des employés font de la prospection. Très peu d'usagers ont, semble-t-il, montré des signes d'exaspération, car déjà informés en amont. Je précise néanmoins que nous sommes à Grenoble, pas en région parisienne. C'est ensuite la CGT-CFDT-Sud Rail. J'arrive au moment d'une réunion en extérieur, et en profite pour faire connaissance avec quelques personnes, des syndicalistes et des cheminots, et prends soin de leur expliquer ma démarche.Un membre de la CGT m'accompagne et me présente à des responsables syndicaux. Direction ensuite le bâtiment, où la discussion peut commencer. Pour lancer le sujet, je mentionne la phrase de Dominique Bussereau sur le côté « incompréhensible et affligeant ».

La réponse de Bernard Tourier, secrétaire général de la CGT à Grenoble, fuse : « Dominique Bussereau est aux ordres, comme tous ceux du gouvernement, notamment en ce qui concerne la communication, donc il fait de la comm', mais pas sur le fond du problème. » Il évoque les changements dans l'entreprise : « Le vocable interne change sans qu'on soit consultés. Ce n'est pas le plus important, mais ça compte. » Il me parle ensuite des problèmes liés au Fret, c'est-à-dire au transport de marchandises : « L'entreprise affirme que cela coûte trop cher. On a deux fois moins de fret transporté alors que l'activité a été multipliée ! »

Sur le plan économique, « c'est suicidaire : aucune des réformes prévues n'a été engagée à tous points de vue. On va dans le mur, et cela ne concerne pas que les cheminots. » A propos des privatisations : « cette logique privée n'amène pas du plus, même pour les usagers. Tous les exemples de privatisation montrent que c'est une gabegie, à tous les niveaux. » Il m'informe qu'entre 2002 et 2012, 30 000 cheminots en moins sont prévus, « et encore plus si rien n'est fait », ajoute-t-il. En ce qui concerne le dialogue au sein de l'entreprise : « le dialogue social est catastrophique. C'est « je vous écoute mais faites ce que je vous dis ! »

J'amène alors la discussion vers les querelles internes aux syndicats et leur demande leur sentiment sur la manière dont cela, en parallèle du mouvement, est médiatisé: « ça, c'est totalement une instrumentalisation, une manipulation. En ce qui concerne les syndicats, ils n'ont pas toujours la même approche, mais ça ne date pas d'aujourd'hui ! Mais dire que la CGT suit Sud Rails, qui est plus radical, cela permet aussi d'éviter de parler des vrais problèmes... »

Daniel Blache, ancien responsable régional CGT Cheminots, ancien administrateur à la SNCF évoque le temps de Louis Gallois : « Avec lui, on pouvait discuter, c'était un patron avec une dimension sociale. Aujourd'hui, ce n'est plus du tout le cas. Guillaume Pepy (l'actuel dirigeant de la SNCF) veut se « faire mousser » ; on sent une nette différence. » Intervient alors Christian Givaudan, secrétaire de la Section Retraités de la CGT : « Même à Caterpillar ou à Conti (ndlr : Continental), ils discutent depuis des années ! »

J'aborde un aspect crucial : l'information auprès des usagers. « D'ailleurs, la direction parle toujours de « clients », mais parle d' « usagers » quand il y a des mouvements... », remarque Bernard Tourier avec un brin d'amusement. Christian Givaudan met les choses au clair : « On distribue systématiquement des tracts. Les usagers ne sont pas des adversaires ; on sait très bien qu'ils vont être pénalisés. Donc, on distribue pour informer. Ils ne sont pas mis en otages, faut pas exagérer ! Le fait est que le transport est un problème sociétal : cela concerne l'ensemble des usagers, et j'en fais partie ! »

Ils m'expliquent ensuite que la direction les a effectivement reçus, mais avec ses propositions à elle. Les propositions des syndicats sont « économiques mais aussi sociales ». Ils ont en tête l'organisation d'un questionnaire qui serait ensuite envoyé à tous les usagers. Comme l'a fait la Poste avec son référendum ? « Exactement, on souhaite procéder de la même manière, avec un référendum. A la différence près que la Poste semble indispensable, contrairement au fret. Alors que le fret est un Service d'Intérêt Général », précise Daniel Blache.

Comment voient-ils la situation pour l'avenir ? « On est amers et perplexes : on ne sait pas où on va... », répond M. Blache, les yeux dans le vide, avant d'ajouter : « 20 milliards d'euros de pertes pour l'entreprise, évidemment ça nous fait chier, mais des collègues y laissent aussi des plumes ! »Avant de les quitter, ils me précisent l'enjeu des « comités de ligne », qui regroupent des associations d'usagers, mais aussi des élus, et des syndicats (d'ailleurs plus tardivement acceptés). Pour Christian Givaudan, « c'est un vrai lieu de démocratie. » Un employé à la gare me parlait de la prospection pour informer les usagers.

Le tract que me donnent les responsables de la CGT à la fin de l'entretien confirme que l'information à destination du public existe, même s'il faut prendre celle-ci avec un minimum de recul. Premier extrait : « En supprimant près de 22 000 emplois en 7 ans, en réalisant 80 % de productivité en 20 ans et en se restructurant à l'instar des grands groupes privés, la SNCF se transforme, avec comme seul objectif : la rentabilité financière. Les usagers deviennent des clients, les tarifs augmentent, la qualité du service se dégrade, les trains deviennent des produits commerciaux, les gares « non rentables » ne sont plus desservies... c'est le monde « moderne » de la libéralisation. »

Deuxième extrait : « Dans un contexte où les questions environnementales sont au cœur des préoccupations et alors que des engagements ont été pris dans le cadre du Grenelle de l'Environnement, la Direction de la SNCF et le Gouvernement font le choix catastrophique de sacrifier la part du ferroviaire dans les transports de marchandises. » Troisième et dernier extrait, où il est question du Fret : « Ainsi, le plan Fret SNCF se fixe comme objectif de réduire les trafics ferroviaires, d'abandonner la desserte de plusieurs territoires et de se séparer de moyens humains et matériels (locomotives, wagons, installations...). C'est la logique du business qui prend, là aussi, le pas sur l'intérêt général et le développement durable. Ce choix politique met à nouveau des millions de camions sur les routes et provoquera d'ici à 2020 une émission supplémentaire de 3 millions de tonnes/équivalent CO2. »

Espérant avoir un avis officiel sur la question, je retourne à la Gare. Peine (presque) perdue : on m'envoie vers le service communication de Chambéry, à 60 kilomètres de là. Ces derniers me mettent alors en relation avec la direction de la communication pour la région Rhône-Alpes, à Lyon. Après quelques tentatives, je parviens à avoir une réponse qui est... l'absence de prise de parole. On m'indique que « des A.G sont en cours » et que leur personnel est dans l'attente d' « une harmonisation des messages entre les régions et la direction de la communication à Paris et le service presse, sachant qu'il y a 23 régions sur tout le territoire », en me précisant que je recevrai dans la journée un communiqué de presse faisant état de la situation.

En ce qui concerne la grève à Grenoble, mon interlocutrice n'est pas au fait de la situation.Le communiqué que je recevrai effectivement par la suite, en date du 11 avril, indique que « la situation des trains du 12 avril restera perturbée en Rhône-Alpes » et recommande aux voyageurs de « s'informer spécifiquement sur la situation de la circulation de son train ».Au niveau national, la direction de la SNCF annonçait lundi dernier « une table-ronde » pour le 21 avril selon le site du Figaro, une date refusée en bloc par les syndicats, notamment Didier Le Reste de la CGT Cheminots qui s'exprimait sur France Info et qui souhaite que les négociations commencent « dès aujourd'hui ».

Le quotidien La Tribune mentionne de son côté que « la direction a fermé la porte à toute négociation tant que durera la grève ». A quand donc la lumière au bout du tunnel (ferroviaire) ?

Par Jérôme Diaz,Reporter indépendant et photographe

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