Alors que les tensions sont au diapason entre le gouvernement israélien et le Hezbollah libanais et que les risques de « contagion » régionale sont prégnants en dépit de la reprise de pourparlers israélo-palestiniens, il semblerait judicieux de rappeler quelques faits importants à propos du Proche-Orient d’aujourd’hui.Pour beaucoup de responsables politiques occidentaux, en particulier la France et les Etats-Unis, la bête noire est depuis quelque temps déjà la République Islamique d’Iran. Seules quelques personnalités, comme Rony Brauman, fondateur de Médecins Sans Frontières, ont osé poser publiquement les questions qui fâchent : pourquoi se focalise-t-on systématiquement sur l’Iran alors que l’Etat Hébreu jouit d’une puissance nucléaire bien supérieure ? Y-a-t-il plus à craindre de l’Iran ou d’Israël ? D’ailleurs, qui sait que les quelque cent mille iraniens de confession juive vivant à Téhéran se fichent complètement des diatribes sur-médiatisées du président Mahmoud Ahmadinejad ? Et qui sait qu’Israël a armé l’Iran il y a de cela quelques décennies, bien que cela n’ait pas été particulièrement évoqué, ou seulement dans des ouvrages pour "initiés" (comme « Bush, l’Iran et la Bombe », d’Eric Laurent) ? Comme me l’a dit un ami Kurde originaire de Syrie, le Moyen-Orient est « la région la plus bordélique du monde ! » Mais alors : que se passe-t-il exactement au Proche-Orient ? Quelques pistes, très modestement, pour tenter de comprendre… Déjà, on ne sait pas/plus très bien dans quelle direction vont les négociations sur la situation en Israël et dans les Territoires Palestiniens. Des tensions avec les palestiniens de Jérusalem et de Cisjordanie qui n’en avaient déjà pas vraiment besoin, une crise humanitaire (euphémisme) à Gaza mais aussi la crédibilité déjà entachée de l’Autorité Palestinienne et le rapport de force qui l’oppose au Hamas, surtout depuis la victoire du parti islamiste dans la Bande de Gaza en 2007. Amusant, si j’ose dire, de constater la victoire du Hamas alors que sa participation à des élections avait été explicitement demandée par la « Communauté Internationale », et que c’est cette même Communauté Internationale qui n’a pas reconnu ladite victoire. Certes, le parti islamiste a ensuite pris le pouvoir par la force, mais… quand même.A côté de cela, les pays voisins alimentent et instrumentalisent ce conflit selon leur bon vouloir. D’après ce que m’ont rapporté des personnes originaires de la région et connaissant très bien le sujet, les réfugiés palestiniens, par exemple, ne sont nulle part accueillis à bras ouverts. Disons-le clairement : ils sont plus un fardeau qu’autre chose. Le Liban (et ses réfugiés palestiniens au nombre de 300 000 environ dans le sud bien qu’une loi récemment adoptée par le parlement leur permette de travailler dans plus de domaines qu’avant), sous l’influence de la Syrie de Bachar El-Assad (de confession Alaouite, une branche de l’Islam chiite) qui soutient en logistique le Hezbollah chiite de Hassan Nasrallah et le Hamas palestinien (sunnite), un soutien venu aussi de façon conséquente de l’Iran via ses puissants pasdaran (Gardiens de la Révolution). La Syrie dont on fêtait récemment la décennie de présidence du successeur de son père Hafez, décennie marquée par un inquiétant recul des libertés, comme en témoigne le tout récent rapport de Human Rights Watch*. Un renfort à la fois syrien et iranien donc, qui s’explique plus dans leur confrontation avec l’ « entité sioniste » (qui correspond grosso modo à l'équation Israël + Etats-Unis = Occident = croisés = infidèles) que par un réel soutien aux Palestiniens, et qui permet à l’Iran de bénéficier d’une base-arrière tout près d’Israël, sans y "toucher" directement. C’est un mécanisme qu’explique fort bien Robert Baer, pendant près de vingt ans le responsable de la cellule Moyen-Orient à la CIA. Auteur de plusieurs livres très éclairants sur ces questions, dont La Chute de la CIA ayant inspiré le film Syriana, et notamment d’un ouvrage passionnant, « Iran : l’irrésistible ascension ». Baer y explique la vision que beaucoup d’Occidentaux ont de l’Iran, en particulier les américains (p. 131) : « Le portrait que les Etats-Unis dressent de l’Iran aurait fait rire George Orwell. Le noir est blanc, deux plus deux égalent vingt-deux. C’est ainsi que notre gouvernement proclame des faits supposés, et nous l’acceptons, sans aucun sens critique ou examen approfondi. Presque tout ce qu’on a raconté à l’Américain moyen au sujet de l’Iran est faux. L’Iran n’est pas en pleine croisade. Il ne cherche pas à nous convertir. Depuis trente ans, l’Iran croit réellement mener une guerre contre l’occupation. L’Iran n’est pas un Etat totalitaire gouverné par les « islamofascistes » qui se croient impliqués dans une guerre à la Don Quichotte contre l’Occident et la civilisation occidentale. Le président Ahmadinejad n’a pas l’intention de déclencher la troisième guerre mondiale ; c’est une figure de proue, pas plus capable de mener l’Iran au conflit que Joseph McCarthy ne l’était de mettre l’Amérique en guerre contre le communisme. Les véritables chefs de l’Iran sont rationnels et calculateurs. Nous vivons dans la passé ; l’Iran vit tourné vers l’avenir. Nous envisageons l’Iran comme un Etat terroriste, et le Hezbollah comme un culte terroriste. Oui, l’Iran s’est bien emparé de notre ambassade à Téhéran en 1979, a bombardé l’ambassade américaine à Beyrouth en 1983, ainsi que la caserne des Marines, la même année. Mais c’était il y a plus de vingt ans. Entre-temps, nous avons raté la transformation du Hezbollah, bras armé de l’Iran au Liban. Le Hezbollah se bat pour une cause nationale sans équivoque. […) le Hezbollah répond à la définition d’une force de guérilla, pas d’un groupe terroriste. »Mon propos ici, en citant Robert Baer, n’est aucunement de défendre l’Iran, un Etat policier, ou de faire passer l’idée que l’Etat Hébreu est entièrement et sans ambiguïté responsable de tous les maux au Moyen-Orient, car les choses sont évidemment loin d’être aussi simples. Néanmoins, on a entendu de la bouche des Nations Unies (avec une légère pression américaine au passage) la mise en place d’une batterie de sanctions contre l’Iran au sujet du nucléaire, suivie d’une politique semblable, mais accrue, de l’Union Européenne (Arte Journal du 26/07/2010 et Le Figaro**). Mais quand y aura-t-il des réunions du même acabit où sera abordée la question d’Israël, qui possède plus deux cent unités de ce type ? L’empressement pour certains sujets est aussi visible et surprenant que le silence et l’embarras pour en aborder d’autres, tout aussi importants. Certains chercheurs états-uniens comme Stephen Walt et John Mearsheimer ont par exemple mis en exergue dans leur livre très documenté (et controversé), « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », le fait qu’ « en plus de l’aide économique et militaire, les Etats-Unis fournissent à Israël un important soutien diplomatique. Entre 1972 et 2006, Washington a mis son veto à quarante-deux résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU qui critiquaient l’attitude d’Israël. Ce chiffre est supérieur à tous les veto opposés par tous les membres du Conseil sur la même période, et équivaut à un peu plus de la moitié de tous les veto des Etats-Unis au cours de ces mêmes années » (p. 53). Il est intéressant de préciser que ces deux auteurs sont pro-israéliens et conservateurs… Avoir également à l’esprit que la situation telle qu’elle dure depuis des décennies dans les pays du Levant n’est pas le simple fait du hasard mais a des raisons historiques: elle est en grande partie due au partage de la région par des pays avec mandat de la Société Des Nations (France et Grande-Bretagne en tête) au sortir de la première guerre mondiale. Un « détail » historique pas souvent rappelé dans les médias. A ce propos, l’ouvrage « Quelques idées simples sur l’Orient compliqué » de Jean-Paul Chagnollaud, l’explique fort bien : « L’essentiel tient ici en ce que la « naissance » du Proche-Orient s’est faite au lendemain de l’effondrement de l’Empire Ottoman sur la base de découpages territoriaux décidés par deux puissances coloniales européennes – la France et la Grande-Bretagne – qui, ayant gagné la guerre, dominaient la région. […] Ces peuples ont ainsi été sommés de vivre dans des frontières tracées par d’autres sans que leurs intérêts et leurs aspirations nationales ne soient pris en compte » (p. 7).Quel rapport avec l’Iran et la géopolitique proche-orientale ? Simplement le fait qu’actuellement les Etats-Unis abordent la carte du nucléaire iranien, malgré tout importante (cf. à ce sujet un rapport du Centre Français de Recherche sur le Renseignement daté de 2007), comme pour en éluder d’autres. Pas question ici de complot ou autre ineptie, mais force est de constater qu’il est souvent plus aisé d’aborder ce sujet sous des angles relativement manichéens (et donc accessibles au plus grand nombre : appelons un chat un chat) plutôt que de décrypter sérieusement, et de façon approfondie, les enjeux sous-jacents. Pourquoi ? Trop intellectuel et trop long. Bah oui quoi, faut faire de l’audience !Qu’en est-il par exemple de la colonisation dans les Territoires? Il faut dire qu’à distance, on ne saisit pas très bien le problème… Lorsqu’on se promène tant côté israélien que côté palestinien dans Jérusalem, la différence saute aux yeux : l’insalubrité côté palestinien est aussi visible que la propreté digne d’une grande ville occidentale côté israélien. A Jérusalem, les autorités israéliennes laissent volontairement les ordures ménagères à l’extérieur, de manière à inciter les habitants à quitter les lieux. Même problème avec l’usage de l’eau, problème relayé par Amnesty International dans l’un de ses rapports***. L’eau côté palestinien est pompée à 80 % par la municipalité israélienne. On « fêtait » il y a quelques mois la Journée Mondiale de l’Eau : dans cette région, c’est un enjeu crucial (cf. également le numéro de l’excellente revue Moyen-Orient consacré aux problèmes liés à l’eau). Mais si le gouvernement d’Israël n’est pas très regardant en ce qui concerne le respect du Droit International, on peut faire le même constat à propos des mouvements radicaux islamistes, bien que les attaques commises par Tsahal (l’armée israélienne) aient des proportions très discutables (euphémisme) mais ne justifient et n’excusent en rien celles commises côté palestinien. Le Hamas (« Mouvement de la Résistance Islamique »), comme le Hezbollah (« Parti de Dieu »), n’ont en effet rien à envier à Tsahal (l’armée israélienne) dans leurs actes les plus extrêmes. De même, les boucliers humains ne sont en rien excusables, ce qui a d’ailleurs été clairement dénoncé dans un rapport de Human Rights Watch et dans celui, plus de 500 pages, de la Commission d’établissement des faits de l’ONU menée par le Juge sud-africain Richard Goldstone, suite aux terribles événements de Gaza en décembre 2008-janvier 2009, un rapport ensuite transmis au Conseil des Droits de l’Homme à Genève, avant une éventuelle suite devant la Cour Pénale Internationale. Les pays voisins passent aussi pour des « maillons faibles » : l’Iran qui musèle les manifestants et la presse (et un système politique unique de par son fonctionnement), l’Irak et la corruption (la plupart des dirigeants politiques ont d’ailleurs la double-nationalité, ce qui leur permet d’échapper à des poursuites, à ce que me disait un ami justement originaire d’Irak), le clientélisme syrien et sa politique plus que discutable à l’égard des Kurdes (si on peut appeler cela une politique !). Ne parlons même pas des pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite dont l’application de l’Islam wahhabite (branche intégriste de l’Islam sunnite) a coincé le pays dans des idéologies moyenâgeuses, notamment sur le sort des femmes, ce qui ne l’empêche pas toutefois de faire du business avec l’establishment à Washington depuis plusieurs décennies… Merci les pétromonarchies ! Bref, et cela a déjà été dit mais tout le monde en est conscient : la situation dans le Levant est excessivement complexe, et elle ne peut être comprise qu’en prenant le temps de se pencher un minimum sur le sujet. Donc : (se) poser des questions. Mais certains responsables politiques, notamment en Europe, feraient aussi preuve de plus d’honnêteté (vis-à-vis d’eux-mêmes mais aussi de nous, en tant que citoyens) s’ils ne mettaient pas toujours un certain temps à réagir, en particulier dans le cadre du conflit israélo-palestinien. Une réaction (quand il y en a une) qui symbolise à elle seule toute la difficulté de certains gouvernements à oser prendre publiquement la parole, de peur à la fois de subir les foudres des mouvances intégristes de tous bords et de se mettre à dos l’allié américain (mais pas seulement américain). Dans son ouvrage, déjà mentionné, Jean-Paul Chagnollaud analyse très bien cet état de fait : « Sans remonter trop loin, il faut constater que les Européens en tant que tels n’ont jamais été en mesure de jouer un rôle significatif dans les moments-clés de l’histoire contemporaine du Proche-Orient. […] Ainsi ont-ils souvent réaffirmé le droit des Palestiniens à l’auto-détermination et à un Etat, le caractère illégal au regard du droit international des implantations israéliennes dans les territoires et leur refus d’accepter toute initiative unilatérale concernant Jérusalem sans jamais pour autant prendre des initiatives politiques audacieuses » (p. 138). Comme l’avait très justement fait remarquer un diplomate, représentant du Quartet auprès de Tony Blair sur la chaîne Public-Sénat au lendemain de l’Opération Plomb Durci à Gaza : « Il n’y a pas de voix européenne ! ça, ce n’est pas une réponse de diplomate ! » No comment. Jérôme Diaz,Journaliste indépendant * « Syrie : la décennie de Bachar el-Assad au pouvoir marquée par la répression » : http://www.hrw.org/fr/news/2010/07/16/syrie-la-d-cennie-del-assad-au-pouvoir-t-marqu-e-par-la-r-pression**http://www.lefigaro.fr/international/2010/07/25/01003-20100725ARTFIG00194-l-union-europeenne-muscle-ses-sanctions-contre-l-iran.php*** http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE15/027/2009/en/a8608c16-4ad7-4fa9-9a97-5327fc04d923/mde150272009fra.pdf
Billet de blog 26 août 2010
Proche-Orient : je t’aime moi non plus…
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