Cela fait longtemps que la République française n'avait eu à affronter une telle tempête. La fin de la quatrième république s'est faite dans la période de croissance des Trente Glorieuses. Il faut remonter aux années 1930, notamment avec l'affaire Stavisky, pour avoir une telle conjonction dangereuse de crises politiques, économique et sociale.
La réorganisation de l'extrême-droite autour de l'opposition au mariage pour tous à travers le mouvement « Le Printemps français », les affaires Cahuzac (fraude fiscale, parjures, amitiés avec des néo-nazis du GUD), l'information que le trésorier de la campagne de François Hollande fait des montages financiers aux Îles Caïmans pour ses clients (sic) ont créé un climat malsain. La convergence entre la droite extrême et l'extrême-droite inaugure le retour de la violence politique où l'homosexuel-le a remplacé symboliquement l'Arabe ou le Noir, sans que cela suscite une réaction proportionnée du Ministre de l'Intérieur qui préfère critiquer les décisions de justice sur le port d'un voile dans une crèche privée, stigmatiser les sans-papiers et les Roms ou envoyer les forces de l'ordre à Notre Dame des Landes.
Des affaires Cahuzac à la déstabilisation des institutions de la 5ème république
Le fait qu'un ministre du budget ayant pour mission de lutter contre la fraude fiscale soit lui-même un fraudeur est en soi un élément de déstabilisation. Mais il y a pire : son attitude de mépris, son absence de fond idéologique, son amitié avec des membres du GUD, organisation ouvertement antisémite et violente, avec lesquels il est allé jusqu'à passer des vacances, tout cela va au delà des affaires professionnelles. Cette amitié marque une collusion avec une des organisations les plus dangereuses de l'extrême-droite française, une absence de fond politique où l'intérêt personnel prime sur le choix du parti. Il n'est pas surprenant qu'il s'interroge sur son retour à l'Assemblée nationale. Mais une autre conséquence est comme la presse allemande l'a souligné, est le fait que de deux choses l'une, soit François Hollande était au courant et donc complice par omission, soit il ne l'était pas et alors il serait un président sans pouvoir. Entre les turpitudes de la fin de la Mitterrandie et la faiblesse institutionnelle, la marge d'action se réduit dans une période où le politique apparaît impuissant face à la persistance de la crise. Cependant, il faut souligner que, contrairement à la période Sarkozy, le gouvernement a laissé les journalistes et surtout la justice, exercer leur travail sans entrave.
Le retour de l'extrême-droite
L'extrême-droite n'a jamais disparu en France mais il y a un renforcement de sa branche non-parlementaire. Le débat autour du mariage pour tous a permis à toutes les droites de se rassembler. La droite républicaine est la grande perdante de ce débat. Rare sont les personnalités qui prennent leurs responsabilités. La plupart ont peur de perdre une partie de leur électorat. Alors ils se taisent et suivent silencieusement les positions de plus en plus homophobes, à la manière de ce que le tea party a fait vis-à-vis des Républicains aux États-Unis. Les passerelles entre l'UMP et les groupuscules identitaires, catholiques intégristes, royalistes... sont de plus en plus nombreuses, à travers un travail de dissociation entre différents mouvements, la « Manif pour tous », le « Camping pour tous », le « Printemps français »..., en mélangeant l'activisme non violent et les attaques violentes contre les forces de l'ordre. Ce sujet sociétal permet de ressouder une idéologie réactionnaire fondée sur l'existence d'un ordre naturel et de pas aborder des sujets plus conflictuels comme les solutions pour sortir de la crise. Il s'appuie sur une montée européenne de la droite extrême qui gouverne en Hongrie ou de l'extrême-droite ouvertement nazie comme Aube Dorée en Grèce.
Crises plus contestation des institutions de la République, le pire des cocktails
Dans un tel contexte, l'éthique ne suffira pas à rompre cette convergence. Elle est nécessaire mais insuffisante. Elle ne doit pas servir de paravent à la critique de la politique gouvernementale. Les déclarations du premier ministre ou du ministre de l'économie ne rassurent pas : au lieu d'analyser la situation économique et les faits (record de chômage, absence de croissance, baisse record du pouvoir d'achat, baisse continue de la production industrielle depuis 1 an, hausse de la dette et baisse inférieure aux prévisions du déficit...), ils restent dans la pensée magique de ce que j'appelle la croissance performative. La croissance va revenir, le chômage va baisser, la dette publique va diminuer... Il ne suffit pas d'énoncer des vœux pour qu'ils s'exaucent ! Par contre, la situation économique se dégrade de jour en jour et aucun changement de politique n'est en vue.
Une impasse économique
Je critique depuis longtemps cette politique dans mes chroniques dans Politis, notamment la dernière, « Une Politique économique irrationnelle », mais si aucun changement de cap ne se réalise, la situation va empirer. Une mauvaise analyse ne peut amener que de mauvaises préconisations. La France est, après une vingtaine année de désindustrialisation, un des pays les moins industrialisés d'Europe. Moins de 10 % de son PIB provient aujourd'hui de la production manufacturière. Le Crédit Impôt Compétitivité Emploi va amplifier le mouvement car au lieu d'être calculé sur les immobilisations, il le sera sur la masse salariale, favorisant les services et la grande distribution, peu sensibles à la concurrence internationale. Ces 20 milliards vont avoir le même effet que le bouclier fiscal du gouvernement Sarkozy/Fillon. Cette mesure, basée sur une erreur d'analyse (penser que baisser la fiscalité des hauts revenus suffit à relancer l'investissement), a été supprimée car trop coûteuse en fin de mandat. Par ailleurs, le gouvernement parle de sérieux budgétaire mais, dans une des dernières notes de l'INSEE, on apprend que « les dépenses ont progressé de 2,9 %, davantage que le PIB en valeur (+1,6 %), après +2,1 % en 2011 ». Cela est en contradiction avec les discours officiels ! Par contre, dans une situation de croissance nulle, pire de récession, le gouvernement ne peut pas réduire le niveau d'endettement qui augmente mécaniquement avec les intérêts de la dette. Pour réduirela dette, il faudrait massivement s'attaquer à la fraude fiscale et en finir avec toutes niches fiscales, voirecréer un impôt exceptionnel sur le patrimoine pour récupérer les cadeaux faits sous Sarkozy. Il ne faut pas oublier que sans cela, la France aurait été certaines années en excédent budgétaire ! L'audit de la dette française reste à faire.
La stratégie dangereuse de Mélenchon
Le Parti de Gauche a raison de demander un changement de politique gouvernementale mais il n'est pas le seul à le demander. Des ministres du gouvernement, dont Cécile Duflot, le font aussi, même si c'est sans effet, et si cela leur vaut des rappels à l'ordre par le président : « Aucun ministre du gouvernement ne peut remettre en cause la politique conduite, qui n'est pas l'austérité ». La personnalisation de la critique est dangereuse car c'est l'actuelle politique qui pose problème. Changer le ministre du budget n'a aucun effet ! De plus, le Parti de Gauche ne peut pas constituer la solution à lui tout seul. Il y a urgence à agir et à changer de politique mais cela ne peut se faire hors du cadre des institutions. Aujourd'hui, les événements favorisent la droite etl'extrême-droite. Il ne faudrait pas oublier l'élection d'Henin-Beaumont. Le FN progresse de nos insuffisances et de nos manquements à nos paroles. Si François Hollande a gagné grâce à toute la gauche, cela aurait été le cas de tout autre candidat de gauche. Son échec serait perçu comme celui de toute la gauche.
Le scénario a l'équatorienne envisagé par Mélenchon d'une constituante n'est pas possible à court-terme. Aucun candidat ne peut prétendre en France faire 50 % à lui tout seul. Une déstabilisation des institutions dans le contexte actuel ne peut que favoriser le FN. C'est d'ailleurs la stratégie mise en œuvre par les militant-es du « Printemps français », multipliant les rassemblements, manifestations et pressions sur les élu-es. L'appel à la manifestation du 5 mai, en même temps que celui du Front de Gauche, participe à cette stratégie de la tension. Une manifestation de gauche doit être le plus unitaire possible, ne pas viser des individus, mais demander un changement de politique.
Changer de stratégie politique
Il y a deux stratégies perdantes : croire qu'une solution à gauche est possible en dehors des institutions ou penser que la stratégie gouvernementale actuelle va réussir. L'alternance politique qui pourrait se construire n'est pas à gauche mais à la droite extrême. Il faut agir pour changer de cap. La réponse isolée de Mélenchon n'est pas la meilleure car la crise n'est pas qu'une question d'éthique ou de personnes. Sa logique de maintenir la pression par la rue peut être parfois nécessaire, mais elle est insuffisante. Le dernier vote sur l'ANI où 42 député-es socialiste en plus de ceux de EELV et du Front de Gauche se sont abstenus ou voté contre montre qu'une autre majorité est possible avec une autre politique. C'est dans ce sens qu'il faut aller mais il faut éviter de chercher des traîtres à gauche. La justice et l'histoire seront là pour le faire. Face à une crise singulière, il faut une unité de la gauche et des syndicats. La critique principale que l'on peut faire sur l'ANI est d'ailleurs l'existence de deux fronts syndicaux. Les enjeux de la réindustrialisation ne pourront se faire sans une unité large. Cette unité doit éviter tout anti-mélenchonisme ou tout anti-hollandisme. EELV doit jouer le rôle de passerelle entre les deux gauches. La seconde lecture de la loi bancaire va être un enjeu important. Elle permettra de voir si la politique va changer. Dans ces périodes, il faut être unis et éviter la division, car nos véritables ennemis s'organisent et ont peu à faire de la démocratie.
Jérôme Gleizes
Membre de la direction nationale de EELV
PS : Le désaccord sur la stratégie à court-terme ne doit pas nous faire oublier aussi les désaccords sur la nature de la crise :
L'Europe est dans une situation préoccupante. Jamais depuis la chute du Berlin, l'Europe n'a été aussi affaiblie, notamment par son incapacité à trouver des solutions politiques à ses problèmes. Alors que l'Europe est la première zone économique mondiale, elle se comporte comme un acteur isolé, sans ligne, dépendant du reste du monde. Son actuelle action politique explique que la crise commencée en 2007 aux États-Unis continue à se propager. Après avoir construit un espace de paix après la seconde guerre mondiale, les tensions nationales et la montée de mouvements autoritaires, voir néo-fascistes comme Aube Dorée en Grèce sont de retour. Cela menace la construction de cet espace de paix.
Nous vivons une crise singulière dans l'histoire de l'humanité. Nous sommes entrés dans l'anthropocène et nous continuons à appliquer les anciennes politiques. Nous sommes à une période charnière de l'Histoire, où une bifurcation aura lieu, mais nous ne savons pas si elle ira vers le mauvais côté comme dans les années 1920 ou vers le bon côté comme à la fin du XVIIIè siècle. L'écologie politique sera ou ne sera pas. L'Europe doit être un des fers de lance de celle-ci dans le monde.
La singularité de la crise et le risque de bifurcation négative impliquent l'urgence de l'action mais aussi l’exigence de nos discours en Europe et dans le monde car les espaces nationaux ne sont pas les lieux pertinents de résolution de celle-ci.