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Billet de blog 25 juillet 2022

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2022, une impasse ? Une situation singulière et dangereuse

Article écrit en octobre 2021 pour la revue Contretemps qui défendait avant l'heure, la stratégie mise en l'œuvre avec la NUPES, l'alliance de la FI, de EELV, du PS et du PCF.

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Jamais l’Humanité n’a été confrontée à une situation aussi singulière et dangereuse. Aujourd’hui, pour la première fois depuis l’émergence de l'espèce humaine avec l’Homo sapiens, elle est confrontée à sa propre survie. En entrant dans l’anthropocène, les êtres humains sont devenus des acteurs géologiques. Par leur activité en deux siècles, depuis la révolution industrielle, ils ont modifié des équilibres jusque-là millinéaires qui remettent en cause la stabilité de notre planète ou de la biosphère tel que Vladimir Vernadski l’avait défini en 1926 : la vie est un phénomène géologique. Notre planète est composée de cinq différentes couches en interaction : la lithosphère, noyau de roche et d’eau, la biosphère constituée par la vie, l’atmosphère, enveloppe gazeuse constituant l’air, la technosphère résultant de l'activité humaine et enfin la noosphère ou sphère de la pensée. La vie est une force géologique qui transforme notre planète. Et l’une des composantes de cette vie, l’espèce humaine, a une incidence particulière quoiqu’elle-même, selon le principe anthropique, soit la conséquence de l’existence de ces forces géologiques, à leur tour liées aux forces physiques.

Quatre crises écologistes menacent notre espèce. La première, la sixième extinction massive des espèces, est la plus inquiétante car il est difficile de revenir en arrière tellement le patrimoine de la biodiversité a été détruit. Au cours des dernières 500 millions d'années, la vie sur Terre a déjà presque totalement disparu à cinq reprises pour de diverses raisons (période glaciaire, éruptions volcaniques, météorites…). D’après une étude publiée en juin 2015 dans Science Advances1, le taux d’extinction des espèces pourrait être 100 fois plus élevé que lors des précédentes extinctions massives. Près de 30 % des espèces étudiées dans la « Liste rouge » de l’Union Internationale de Conservation de la Nature risque de disparaître.

La deuxième crise, celle du changement climatique, est la conséquence directe de la sur-émission de gaz à effet de serre du fait de notre système productif et est largement documenté par les travaux du Groupe International sur l’Évolution du Climat, notamment dans le dernier rapport d’évaluation. Elle amplifie la première crise. La troisième crise, celle de la raréfaction des ressources naturelles, explique la deuxième, notamment la sur-exploitation du pétrole. Il faut aujourd’hui rompre avec le productivisme. La quatrième crise est la crise sanitaire. C’est une crise hybride comme l’a montré l’épidémie du COVID-19, à la conjonction du changement climatique, des zoonoses, et des mauvaises conditions de vie (mal-bouffe, travail précarisé…).

Un sursaut de l’Humanité est indispensable au risque de la montée de mouvements autoritaires, voir fascistes pour résoudre un défi planétaire. C’est dans ces périodes troubles que l’arrivée l’extrême-droite arrivent au pouvoir. Stanley Milgram a montré dans des expériences de psychologie sociale, la soumission à l’autorité, le suivi sans libre-arbitre de personnalités charismatiques apportant des solutions simplistes à des questions complexes.

Le risque fasciste et la France, pays malade de l’Europe

Au XXᵉ siècle, tout le monde s’inquiétait de l’Allemagne. Keynes est le premier à l’exprimer dans son livre « Les conséquences économiques de la Paix » où il s’inquiète en 1919 des conséquences du Traité de Versailles à l’issue de la première guerre mondiale. Puis nous avons vu monter le fascisme et le nazisme jusqu’à leur accès au pouvoir et leur renforcement jusqu’à la seconde guerre mondiale en vingt ans. Aujourd’hui, la France a le parti d’extrême-droite, le plus ancien et le plus puissant d’Europe, deux fois présents au deuxième tour de l’élection présidentielle. Ce parti est issu directement des partis collaborationnistes, même s’il a changé de nom. Et aujourd’hui, émerge une parole ouvertement raciste et révisionniste au nom de la liberté de parole, sans que cela n’entraîne une levée unanime de bouclier, avec Eric Zemmour, en passe d’être présent au deuxième tour de l’élection présidentielle. Il est possible aujourd’hui de dire en France que « Vichy a protégé les juifs français ». Il est possible de douter de l’intégration d’une partie de la population pour des raisons essentialistes : « L’Islam est une religion politique par essence », « l’Islam, c’est soumission avec une triple inégalité : entre les hommes et les femmes, entre les hommes libres et les esclaves, entre les fidèles et les infidèles. »2 Nous vivons un cauchemar éveillé3 : un candidat non déclaré, reprenant de nombreux éléments du programme de Marion Maréchal-Le Pen. Au lieu de s’attaquer aux sources de la crise, des boucs émissaires sont trouvés : aujourd’hui le musulman, hier le juif. Au lieu de résoudre une crise planétaire, les replis nationalistes se multiplient. Zemmour réinvente une France éternelle autour des prénoms des enfants. Face à cela, nous avons un parti de droite « Les Républicains » en perdition, entre la droite autoritaire et un Macron libéral, de plus en plus bonapartiste.

Sortir du macronisme

Le macronisme est une forme de syncrétisme politique de droite qui met en exergue une citation de Warren Buffet : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner. » Aidé par les plus grandes fortunes de France, il a su les remercier en supprimant l’ISF et autres impôts sur le capital, en instaurant une flat tax à la française. Le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes de France a augmenté de 30 % en un an, selon un classement de Challenges durant l’année 2020. De plus en plus autoritaire, vidant de sa substance les parlements, c’est un pouvoir isolé au service des puissants qui ne cherche sa survie qu’en divisant ses opposants classiques de droite comme de gauche. Mais à force de jouer avec le feu, l’extrême-droite risque de conquérir un jour le pouvoir et ne jamais le rendre comme Hitler en 1933. Plus que jamais, il faut construire une alternative de gauche et écologiste à la fois à Emmanuel Macron et à l’extrême-droite.

Une alternative de gauche écologiste en 2022 ?

Face aux enjeux écologistes et au danger fasciste, le risque d’un repli écologiste sur des petites communautés et un abandon de la bataille politique existe. Le risque d’effondrement n’est pas de l’idéologie politique mais une hypothèse scientifique à laquelle tout le monde est confronté. Mais cet effondrement ne sera pas homogène, au même rythme sur tous les territoires et parmi toutes les strates de la population. Face à un risque systémique, il faut des réponses systémiques et sur tous les territoires. L’isolement sur des micro-luttes pourrait être une impasse. Elles sont essentielles mais nécessitent une coordination car une sécession des ultra-riches est possible avec leur soutien à des modèles autoritaires. Face à tous ces risques, une alternative de gauche écologiste devrait être une nécessité autour d’un projet écologiste. Malheureusement, une partie de la gauche n’a toujours pas saisi la singularité et la primauté de la question écologiste. L’écologie, c’est à la fois l’environnement et le social. Il ne peut y avoir une dissociation, même si certaines écologies sont plus environnementales et d’autres plus sociales. Éviter l’effondrement, c’est éviter un monde encore plus inégalitaire. Mais pour cela, il faut rompre avec des solutions productivistes. Un même isolement des luttes sociales est possible. De nombreuses convergences ont eu lieu ces dernières décennies mais sans grandes victoires comme en 1995.

Le pôle écologiste au rendez-vous de 2022 ?

La primaire des écologistes a été un succès mais relatif au regard des enjeux de 2022. 122 000 inscrits à la primaire, c’est beaucoup pour une primaire écologiste mais pas assez au regard des 7 à 8 millions de voix nécessaires pour passer le premier tour de l’élection présidentielle. Aujourd’hui, le rassemblement des écologistes ne permet pas d’atteindre la masse critique pour gagner une élection en France mais aussi en Allemagne et dans d’autres pays européens. Lors des élections municipales, c’est grâce à des alliances avec la gauche que des villes ont pu être conquises, Strasbourg avec le PCF au premier tour, Bordeaux avec une alliance type gauche plurielle, Lyon avec une dissidence de la France insoumise au premier tour…

L’élection présidentielle n’échappe pas à cette nécessité d’élargissement de la base électorale. L’écologie n’est pas forcément de gauche, même si elle l’est le plus souvent. Jean-Marc Governatori se revendique d’une écologie du centre, Delphine Batho, d’une écologie autonome, Sandrine Rousseau et Eric Piolle, d’une écologie de gauche devant s’élargir à la France insoumise. Pour ce qui est de Yannick Jadot, s’il se revendique des valeurs de gauche, il alterne entre le seul rassemblement des écologistes comme à la dernière élection européenne (3 millions de voix) et un élargissement à une partie de la gauche. Néanmoins, en 20174, il a tenté de faire une alliance à trois sans succès avec Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon.

Mais pour 2022, comme en 2017, il faut une convergence entre les trois principales familles de la gauche et de l’écologie, le Parti socialiste, la France insoumise et le pôle écologiste, tellement l’électorat est éclaté et l’enjeu important.

Une convergence politique en 2022 ?

Pour qu’une convergence politique puisse être possible, il est indispensable de commencer par une convergence sur le fond. Aujourd’hui, seule la France insoumise et EELV ont un programme ; le parti socialiste a encore de nombreuses divergences internes qui posent problèmes car l’échec de la présidence Hollande n’a toujours pas été analysée. Yannick Jadot a tenté lors de ce dernier printemps, de réunir la gauche et les écologistes mais cela n’a pas débouché, essentiellement du fait des partis politiques plus intéressés par les élections législatives ou par les questions de personne mais il est dommage que le débat ne se fasse pas sur le fond pour expliciter les véritables points de divergences et de convergences.

Néanmoins en 2017, les divergences entre « l’avenir en commun » de la FI et « le bien vivre » de EELV étaient faibles. Aujourd’hui, nous pouvons même penser qu’elles se sont estompées. La crise du COVID-19 a montré que les traités européens sont dépassables puisque les critères de Maastricht ont été suspendus, la Banque centrale européenne a mis de côté sa vision monétariste. L’OTAN a montré ses limites avec l’échec de l’intervention en Afghanistan, l’échec de la vente des sous-marins à l’Australie et surtout avec l’action militaire ambiguë de la Turquie, notamment dans le nord de la Syrie. L’Europe est sortie très affaiblie de la séquence politique.

Nous espérons que l’intelligence politique sera là pour sortir de la querelle des égos face à cet enjeu de 2022 en ne laissant pas les sondages guider les électrices et les électeurs mais à construire les compromis nécessaires soit avec un accord entre les candidat·e·s ou sinon grâce à la primaire citoyenne ou avec un conclave.

1 Ceballos, G. et al., Accelerated modern human-induced species losses: entering the sixth mass extinction. Sci. Adv. 1, e1400253 (2015)

2 Extrait du débat Eric Zemmour/Jean-Luc Mélenchon sur BFM-TV du 23 septembre 2021

3 Philippe Roth décrivait dans son roman « le complot contre l’Amérique » une uchronie dans laquelle Charles Lindberg gagnait l’élection face à Franklin Delano Roosevelt puis concluait un accord de non-agression avec Hitler. Aujourd’hui Eric Zemmour n’est pas une fiction.

4 https://blogs.mediapart.fr/jerome-g/blog/040317/sortir-de-limpasse-pour-entrer-dans-lhistoire

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