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Billet de blog 31 janvier 2022

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Faire de la politique en 2022 pour un écologiste français

Au lendemain du résultat de la primaire populaire, voici un texte que nous avions écrit à plusieurs voix, pour essayer de sortir d'une impasse politique pour la gauche et les écologistes. Prenons nous au sérieux l'urgence des crises et quelles conséquences tirons-nous de cela ?

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« Quiconque tient une guerre imminente pour certaine contribue à son arrivée, précisément par la certitude qu’il en a. Quiconque tient la paix pour certaine se conduit avec insouciance et nous conduit à la guerre. Seul celui qui voit le péril et ne l’oublie pas un seul instant, se montre capable de se comporter rationnellement et de faire tout son possible pour l’exorciser. » Karl Jaspers (1949)1

Avant de commencer quelques prémisses et quelques axiomes sur lesquels nous pouvons nous mettre d’accord. En tant qu’écologistes, nous pensons être confronté.e.s aux pires crises de l’histoire de l’Humanité. Crises au pluriel, car elles sont plusieurs, se cumulant et s’auto-amplifiant, et essentiellement de nature environnementale. Nous devons agir dans les dix ans à venir sinon nous subirons des risques d’effondrement dont nous ne connaissons pas forcément les détails car plusieurs scénarios sont possibles. Notre avenir reste indéterminé comme l’écrit Jean-Pierre Dupuy mais l’inaction accélère au pire le risque de catastrophe, au mieux amplifie l’impuissance à agir dans le futur sur les conséquences déjà inévitables de ces crises.

L’écologie politique est la seule idéologie qui tire sa source d’un domaine scientifique, l’écologie. La première forme de politisation a été le passage de scientifiques de la sphère intellectuelle à la sphère publique et/ou politique. La deuxième forme de politisation, c’est l’action militante, à travers la désobéissance civile et/ou civique, le blocage de chantier, le fauchage d’OGM, l’action juridique, les actions non-violentes de grève de la faim… La troisième forme est la forme institutionnelle, du niveau local au niveau européen.

L’écologie est planétaire. Elle dépasse les limites nationales. Si la réponse ne peut être que globale à un problème systémique, pour autant, nous devons agir de notre position et en fonction de nos propres contraintes.

Nos contraintes sont à la fois politiques et institutionnelles. Nous ne sommes pas en Allemagne avec un système parlementaire élu à la proportionnelle, nous sommes dans un système qui prend le pire du système présidentiel et parlementaire avec une forte polarisation sur les candidates et candidats à la présidentielle, élection législative suivante confortant le parti du Président de la République. Pour atteindre le deuxième tour, il faut au minimum faire plus de 7 millions de voix au premier tour.

Jusqu’à présent, le meilleur score d’un candidat écologiste a été de 3 055 023 voix avec la liste des élections européennes menées par Yannick Jadot en 2019. Aux élections municipales, c’est en alliance que nous avons réussi à conquérir des mairies. Notre base électorale est encore trop faible pour pouvoir nous imposer seul à des élections au scrutin majoritaire.

En 2017, après la désignation de notre candidat dans une primaire EELV, nous avions fait deux votes, un premier pour donner mandat de discuter à un accord à 3 avec Jean-Luc Mélenchon et avec Benoît Hamon puis pour soutenir Benoît Hamon. En 2022, la situation n’a pas changée. Elle est même peut-être encore plus critique avec 4 candidats de la droite et de l’extrême-droite devant le premier candidat de gauche ou écologiste.

Notre contrainte est aussi politique2. Si dans les années 1930, l’Allemagne était le pays malade de l’Europe, aujourd’hui, c’est la France. Elle a le parti d’extrême-droite, le plus ancien et le plus puissant d’Europe, deux fois présents au deuxième tour de l’élection présidentielle. Et aujourd’hui, émerge une parole ouvertement raciste et révisionniste au nom de la liberté de parole, sans que cela n’entraîne une levée unanime de bouclier, avec Eric Zemmour qui peut dire que « Vichy a protégé les juifs français ». Il est possible de douter de l’intégration d’une partie de la population pour des raisons essentialistes : « L’Islam est une religion politique par essence », « l’Islam, c’est soumission avec une triple inégalité : entre les hommes et les femmes, entre les hommes libres et les esclaves, entre les fidèles et les infidèles. »3 Face à cela, nous avons un parti de droite « Les Républicains » en perdition, entre la droite autoritaire et un Macron libéral, de plus en plus bonapartiste. Macron est aussi une singularité politique française, sans équivalent européen, un homme égocentré, naviguant entre la « droite » et la « gauche » avec un parti qui porte ses initiales EM.

Face à cela, comment devons-nous appréhender l’élection présidentielle et législative de 2022 ? Si nous avons l’ambition de gagner la présidentielle, il faut d’abord élargir notre base électorale. Nous avons passé la première étape en réunifiant la famille écologiste mais ce n’est pas une première : 1984, la création des Verts, c’est la fusion de 3 partis, fin des années 90, c’est la fusion avec CES de Noël Mamère, une partie de l’AREV, les anciens du PSU, CAP, des anciens communistes refondateurs, et pour finir Europe écologie en 2009. Yannick Jadot a proposé le 29 mars 2021 de réunir à nouveau l’ensemble de la gauche et des écologistes. Cette proposition doit rester d’actualité si nous aspirons à une possibilité de victoire sinon il faut assumer de faire l’impasse et préparer des échéances futures et surtout revenir à un des fondamentaux de l’écologie politique, la nécessité de l’activisme militant pour faire avancer les combats écologistes.

Cela étant dit, la situation de réussite en ce début d’année est difficile. Après la relance par Anne Hidalgo du principe de la primaire populaire le 8 décembre, la situation reste confuse avec le refus de participer de Yannick Jadot et de Jean-Luc Mélenchon. La candidature de Christiane Taubira ne simplifie pas non plus la situation. Par ailleurs, aucune candidature ne tient compte du changement des règles de la primaire populaire, un vote d’investiture au jugement majoritaire parmi les candidatures déclarées sans obligation de désengagement. Processus inédit mais qui permet de casser la logique de la 5ᵉ République. Cela serait faire l’autruche de ne pas tenir compte de cette situation.

Autre point à avoir en tête, une bonne partie de l’électorat de gauche et écologiste va se positionner au dernier moment sur la candidature la mieux placée. Jean-Luc Mélenchon a creusé l’écart au dernier moment sur un vote utile et non sur un vote de conviction. Et une autre bonne partie va s’abstenir s’il n’y a aucune chance d’être présent au deuxième tour, l’absence d’un vote utile contrairement à la dernière élection chilienne.

Comment faire pour sortir de cette impasse ?

Tout d’abord, il faut sortir du déni. Nous ne pouvons pas refuser d’élargir la base électorale et en même temps dire que nous allons gagner la présidentielle. La droite qui n’était pas initialement prête pour organiser une primaire a changé de stratégie avec des positions très hétérogènes de Juvin à Ciotti et la victoire de Valérie Pecresse a relancé la campagne de la droite. Si nous le refusons, nous devons alors assumer que nous préparons le coup d’après et restons dans les mêmes perspectives que les élections précédentes (sauf celle de 2017) d’asseoir une parole politique singulière mais pas encore majoritaire.

Nous ne partageons pas cette position et restons sur la position de Yannick Jadot de mars 2021 ou de celle de Sandrine Rousseau après la déclaration de candidature de Christiane Taubira. Nous restons dans l'esprit du serment de Romainville : « Nous devons chérir ce qui nous unit, bien plus que ce qui nous divise. (…) C’est ce que nous devons impérativement cultiver ensemble : notre socle commun. » Cela peut passer par la primaire populaire, un conclave, un accord « au sommet », des désistements… Si nous pensons être à un moment historique, un accord n’est pas plus difficile à trouver aujourd’hui qu’en 1936 entre les communistes, les socialistes et les radicaux. C’est un choix politique.

Le premier élément commun pourrait être la critique du système institutionnel de la 5éme République qui nous place dans la situation actuelle du culte présidentiel. L’Allemagne avec son système parlementaire et proportionnel nous aurait facilité la tâche mais ce n’est pas le cas. Une prise de position commune des candidat.e.s sur la volonté de passer à la 6éme République pourrait être une initiative commune. La présidence d’une éventuelle constituante pourrait être une porte de sortie pour une des candidatures. Ce premier verrou levé pourrait permettre de reporter la bataille des projets politiques aux élections législatives car il va être difficile en un mois de faire le travail de confrontation programmatique qui n’a pas été fait depuis le désastre de la présidence Hollande. Ce point sert souvent de prétexte pour refuser toute possibilité d’Union. Même s’il y a beaucoup de points communs entre les programmes comme le montre l’étude détaillée de la Gauche Démocratique et Sociale,4 le contentieux issu de la présidence Hollande est très prégnant et il génère une question de confiance. La sociale-démocratie est en phase de décomposition mais elle peut encore gagner des élections comme en Allemagne. Mais là aussi, si nous pensons que le moment est historique, nous pouvons transcender ces clivages comme nous l’avons fait pour gagner Marseille, Lyon, Strasbourg… Il existe à ce jour un socle commun, élaboré par l’ensemble des partis politiques incluant la France insoumise, EELV, le Parti socialiste...5 qui peut servir de base minimale à tout accord. Le temps n’est plus à rédiger un programme commun mais au principe de rédiger un contrat de gouvernement qui ne sera peut-être pas trouvé pour cette élection présidentielle mais qui servira d’appui pour les législatives.

Nous sommes confrontés à un dilemme, choisir entre l'urgence de l'action et le temps long de la construction idéologique. Dans tous les cas, afin de préserver le futur, il faut arrêter de s’attaquer entre soi, trouver au minimum un modus operandi sur les séquences électorales à venir. Nous n’avons plus le temps d’attendre comme en 1974, 1981, 1988, 1997, 2002, 2007, 2012. Face à l'inquiétude de la période, la demande de l'électorat n’est pas de la radicalité pour de la radicalité mais donner des perspectives de changement, et donc de victoire, pour construire un autre futur.

Jérôme Gleizes, Fabienne Grebert, Benjamin Joyeux, Claire Lejeune, Philippe Meirieu, Raymonde Poncet.

1Traduction de Jean-Pierre Dupuy dans « Contre les collapsologues et les optimistes béats, réaffirmer le catastrophisme éclairé », Collection « Imprimés d’AOC » – n° 4, 2021

2Pour une analyse plus complète, lire Jérôme Gleizes, « Une situation singulière et dangereuse », publié in ContreTemps n°51: Les gauches à l'épreuve, 24 novembre 2021

3Extrait du débat Eric Zemmour/Jean-Luc Mélenchon sur BFM-TV du 23 septembre 2021

4Tableau comparatif des propositions à gauche (gds-ds.org)

5Le socle commun - La Primaire Populaire

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