Aguirre et Hadrien, deux êtres transfigurés par la fiction. Aguirre, c'est le personnage éponyme du film de Werner Herzog, Aguirre, der Zorn Gottes (Aguirre, la colère de Dieu) et Hadrien, c'est l'empereur romain du IIè siècle après Jésus-Christ dont Marguerite Yourcenar a mis plus de 20 ans pour écrire les Mémoires.
Aguirre, c'est l'homme qui se rebelle au beau milieu de l'Amazonie contre la couronne de Castille et ses représentants, don Ursua nommé chef d'une avant-garde envoyée par Pizarro lui-même à la recherche d'El Dorado, le pays imaginaire de toutes les richesses. Aguirre, c'est l'homme qui prend le pouvoir.
Hadrien, c'est l'Empereur romain qui succède à Trajan et qui commence son règne dans un bain de sang visant à éliminer ses ennemis.
Aguirre a su manipuler ses compagnons : il a compris leur soif d'or et de richesses. Comme Hadrien, il élimine ses premiers opposants par le fer. Il installe ensuite un empereur fantoche d'un pays fantasmé. Pendant le court temps de la vie de cet empereur, don Fernando de Guzman, Aguirre n'osera tuer celui qui était alors le détenteur de l'autorité légale : don Ursua. Une fois l'empereur suicidé, Aguirre liquide don Ursua. Par la terreur psychologique et physique, Aguirre assoit son pouvoir.
Hadrien, lui, homme presque sage, ne saura jamais d'où le pouvoir lui vint. Au moment du testament de Trajan, nul ne sait qui a écrit sur le parchemin le nom d'Hadrien : Trajan lui-même? Plotine, son épouse et protectrice d'Hadrien? Ou tout autre serviteur proche de ce même Hadrien? Hadrien restera dans le doute, mais peu importe, car le pouvoir n'est-il pas toujours quelque chose de mystérieux?
Ce pouvoir prend forme dans les deux cas au-travers des mots : le testament de Trajan pour l'un, la rédaction de l'acte de rébellion et de prise de possession de terres réputées vierges par Aguirre. Pascal avait raison : la représentation par les mots donne le pouvoir...
Hadrien a désiré et recherché le pouvoir, mais il s'est montré un prince presque sage, surtout soucieux de faire régner la justice et ne pas entraîner Rome dans des guerres sans fin. En somme, d'administrer avec raison.
Aguirre, lui, a voulu le pouvoir pour quelque chose de plus grand, à ses yeux, comme il le dit : Macht und Rum, la puissance et la gloire.
En quelque sorte deux figures du pouvoir...