Je ne crois pas à l'homme providentiel, ni à la femme d'ailleurs. Je crois aux textes fondateurs, aux discours qui ouvrent de nouvelles voies.
François Bayrou a appelé de ses voeux, récemment, l'émergence d'un nouvel humanisme. Rien n'interdit de chercher ce que nos aînés ont pensé dans des situations de crise.
En septembre 1969, Jacques Chaban-Delmas prononçait, devant l'Assemblée nationale, son discours de politique générale. Il lui donnait un titre inspiré : la "nouvelle société". Chaban-Delmas faisait, après la crise de 1968, un constat simple : la société française était bloquée : Le malaise que notre mutation accélérée suscite, tient, pour une large part au fait multiple que nous vivons dans une société bloquée.
Pour expliquer ce blocage, le tout nouveau premier ministre avançait 3 causes :
-une fragilité de l'économie française. Certes, la situation a changé, mais lorsqu'on voit les difficultés de reconversion ou de mutation de notre appareil industriel, il semble que le constat reste valable ;
-un Etat tentaculaire et inefficace : Chaban-Delmas appelait à une décentralisation. Elle eut lieu avec la gauche au pouvoir, en 1982, et s'est poursuivie depuis. Néanmoins, qui ne voit que l'inefficacité de l'Etat est toujours patente? Un seul domaine et tout est dit : la fiscalité. Notre Etat est dans l'incapacité de le rendre plus juste et de le simplifier. Déjà en 1969, Chaban-Delmas déclarait : La fiscalité est en outre le domaine d'élection du perfectionnement administratif et, permettez-moi de le dire, parlementaire. A force de vouloir, par des subtilités sans nombre, rendre l'impôt plus juste ou plus efficace, on l'a rendu inintelligible, ce qui le prédispose à être inefficace et injuste.
-le conservatisme et l'archaïsme de nos structures sociales : nous sommes encore un pays de castes. Des écarts excessifs de revenus, une mobilité sociale insuffisante, maintiennent des cloisons anachroniques entre les groupes sociaux. Chaban-Delmas concluait son constat en citant Tocqueville, qui remarquait que l'omnipotence de l'Etat s'accompagne toujours d'une faiblesse de la vie collective.
Vient alors le temps des propositions autour cette idée d'une "nouvelle société". Jacques Chaban-Delmas lui donnait un contour très net, qui devenait son programme : cette société nouvelle, quant à moi, je la vois comme une société prospère, jeune, généreuse et libérée.
-Prospère : c'est une des conditions et cela suppose que l'on s'occupe d'abord de celles et ceux qui sont les plus démunis. Cela suppose, aussi, comme le rappelle Jacques Chaban-Delmas, un effort des mieux pourvus. N'est-ce pas là l'affirmation d'un devoir de solidarité entre les citoyens?
-Jeune : Chaban-Delmas avait entendu la jeunesse de mai 1968 et il savsit que celle-ci étouffait. Qui pourrait croire aujourd'hui que nous construirons une société plus humaine si nous nous ingénions à laisser à ses marges un pourcentage important des 18-25 ans? Qui pourrait croire que, si nous ne faisons pas tous les efforts nécessaires pour faciliter l'accès des jeunes au marché du travail, aux responsabilités sociales et politiques, nous pourrons construire cette nouvelle société? Les révoltes de 2005 sont à juger à cette aune : la jeunesse étouffe, sans avenir.
-Libérée : cela touche les moeurs, mais aussi l'imagination et le talent qui sont bridés. Cela suppose aujourd'hui d'entrer dans une phase d'expérimentation concertée.
Reste alors de ce discours l'impression qu'il pourrait fonctionner aujourd'hui comme le "chemin de fer" d'un nouveau chapitre de notre histoire collective à écrire. Au lieu de la lettre de Guy Moquet, peut-être eût-il mieux valu faire analyser le discours de Jacques Chaban-Delmas...
Je vous livre quelques lignes de ce discours comme mot de la fin :
C'est sous l'égide de la générosité que je vous propose de placer notre action. Nous devons aller au-delà d'un égalitarisme de façade, qui conduit à des transferts importants sans faire disparaître pour autant les véritables pauvretés morales et matérielles. Nous devons, par une solidarité renforcée, lutter contre toutes les formes d'inégalité des chances.
Nous devons aussi apprendre à mieux respecter la dignité de chacun, admettre les différences et les particularités, rendre vie aux communautés de base de notre société, humaniser les rapports entre administrations et administrés, en un mot transformer la vie quotidienne de chacun.
Enfin, et c'est là l'essentiel, nous devons reprendre l'habitude de la fraternité en remplaçant mépris et indifférence par compréhension et respect.
Rien de tout cela ne sera possible sans un vaste effort d'imagination et d'organisation dans tous les domaines, visant à la fois l'éducation permanente et le libre accès à l'information, la transformation des rapports sociaux et l'amélioration des conditions et de l'intérêt du travail, l'aménagement des villes et la diffusion de la culture et des loisirs. Quelle exaltante entreprise !
Je vous invite à réentendre le discours de François Bayrou du 26 octobre dernier : je trouve qu'il y a là une fécondation mutuelle, à poursuivre ensemble.