Il y aurait des pays avec des trop-pleins de mémoire ; il y aurait des pays avec des trous de mémoire béants. Les historiens sont souvent appelés à la rescousse d'une mémoire qui refuse de se souvenir ou de mémoires antagonistes... Et si la littérature permettait de faire les premiers pas décisifs, de franchir en quelque sorte le seuil de la mémoire retrouvée?
Boualem Sansal est un écrivain algérien qui, en quelques années, s'est affirmé comme un grand écrivain. Boualem Sansal est l'auteur honni de toute une classe politique algérienne, celle qui détient les clés du pouvoir et qui n'entend pas y renoncer de si tôt. Boualem Sansal est aujourd'hui menacé de mort, car il osé commettre l'impardonnable : remettre en question l'histoire officielle algérienne de la guerre d'Algérie. Boualem Sansal a été déclaré persona non grata en Algérie -par la ministre de la culture- depuis qu'il a écrit une histoire mettant en scène un héros de la guerre d'indépendance, dont on découvre le passé nazi.
Cette histoire, c'est celle qu'il raconte dans Le village de l'Allemand, paru cette année chez Gallimard. 2 frères, Rachel et Malrich, envoyés en France par leurs parents, découvrent, suite au massacre par des islamistes de leur mère et de leur père, que ce dernier a été un officier nazi avant de devenir un héros de la guerre de libération de l'Algérie. L'un des deux frères ne survivra pas à cette découverte et à sa recherche d'éléments de sens...L'autre, le plus jeune et le moins favorisé par la vie, apprend le passé de son père en lisant le journal de son aîné, suicidé. A son tour, il écrit un journal qui relate cette découverte, tout en essayant de comprendre le pourquoi du suicide de son frère. Mais il y a plus : Boualem Sansal, qui situe la vie du cadet des deux frères dans une banlieue française, établit un parallèle entre le nazisme et l'islamisme. Pour Boualem Sansal, l'un et l'autre phénomène sont identiques et empruntent les mêmes formes.
Boualem Sansal, j'ai eu l'occasion de le voir en conférence ce jour à Lyon, invité par la Bibliothèque municipale. Boualem Sansal a certainement plus d'un message politique à délivrer. Mais ce qui frappe, derrière cette voix monocorde, c'est l'assurance de l'homme libre. Boualem Sansal a porté cette histoire du Village de l'Allemand depuis plus de 25 ans.
Sans jamais hausser le ton pendant 2 heures, il raconte, décrit l'horreur de la vie quotidienne des Algériens et des Algériennes confrontés au terrorisme islamiste. Mais il dénonce aussi la liberté confisquée par les dignitaires dont il ne reconnaît pas la légitimité...
Boualem Sansal nous lance un avertissement : n'oubliez pas votre histoire, restez vigilants car la privation de liberté arrive plus vite que l'on ne pense...
Pour l'Algérie et les Algériens, nous avons une seule chose à faire : lire et faire lire tous les Boualem Sansal...