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Billet de blog 14 novembre 2024

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Trump ou l’incarnation du Mâl(e)

Les Américains viennent de réélire, quatre ans après, le repris de justice, condamné trente-quatre fois, misogyne, complotiste, climato-sceptique et destitué deux fois.

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Les États-Unis viennent de se remettre en couple avec leur ex qu’ils avaient estimé toxique en 2020. Pourtant, malgré tous les « red flag », il est largement plébiscité puisqu’il remporte les sept états dits de bascule (swing states ou key battleground states dans le texte), le Sénat, la Chambre des Représentants et le vote populaire qui n’avait pas été remporté par un candidat républicain depuis vingt ans. À cela s'ajoute bien évidemment la main-mise sur la Cour Suprême, dominée par les ultra-conservateurs nommés pendant son premier mandat.

Alors comment, celui a fomenté une insurrection contre le Capitole en janvier 2021, tient-il sa revanche en remportant une victoire nette et indéniable s’adjugeant les plein pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires ?

Money, money, money

Il convient en premier lieu d’expliquer que les Américains sont des opportunistes et non pas des idéalistes. Le rêve américain ce n’est pas une nation bisounours où tout le monde jouirait des mêmes droits mais bien une nation d’opportunité de réussite et de richesse. De fait, on n’immigre pas aux États-Unis pour ses valeurs - si valeurs il y a - mais pour faire de l’argent dans le but d’avoir une meilleure vie.

My Wall-et (« mur » portefeuille)

Il est indéniable que les Américains pensent à leur portefeuille avant tout autre chose, ce qui est louable et compréhensible dans notre société capitaliste. Pourtant, l’économie américaine est rayonnante et le taux de chômage très bas. De plus, l’inflation très forte en 2022 et 2023 connaît une remarquable baisse. Ainsi, si tous les voyants sont au vert sur le papier, le quotidien des citoyens américains demeure compliqué. Payer les factures, payer ses courses, payer son essence, le quotidien de nombreux habitants est fortement impacté depuis des mois. Ainsi, si le peuple est en difficulté, il sanctionne le gouvernement en place. CQFD. Lors de mon voyage à New York en mai dernier, j’ai pu constater les effets de l’inflation, bien supérieure à l’Europe, le quotidien des Américains est ainsi fortement impacté.

Les états de la ceinture de la rouille (The Rust Belt : Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie) formaient autrefois le « mur bleu » (The Blue Wall) puisqu’ils votaient majoritairement démocrate, témoignent de ce sentiment de déclassement social au sein de cette région qui a subi de plein fouet la désindustrialisation et les effets pervers de la mondialisation. En outre, au pays de la voiture-roi, la hausse du prix de l’essence a participé au rejet massif du gouvernement sortant. Après tout, Trump a promis de se débarrasser de l’Obamacare (assurance maladie). Légalement, il est appelé le Affordable Care Act. De nombreux électeurs de Trump se tirent donc une balle dans le pied : comment leur en vouloir, eux, biberonnés à la désinformation en continu ? Ils n’ont tout simplement pas pris conscience qu’ils n’auront plus accès aux soins de base sans devoir débourser une somme qu’ils n’ont pas.  

L’explication donnée sur l’économie n’est cependant pas si simple et loin d’être la seule, elle est un des facteurs qui a mené à la victoire écrasante de Donald Trump.

Toujours sur le mur, l’immigration a été au cœur des enjeux de la campagne. Kamala Harris, en charge de ce dossier en tant que vice-présidente, est considérée comme la responsable de la montée de l’immigration illégale. Si c’est partiellement vrai, il est à noter que le rôle du Vice-Président aux États-Unis est anecdotique et le pouvoir plus que limité. Elle n’avait pas forcément les moyens nécessaires pour gérer ce dossier sensible, cadeau empoisonné de la part de Joe Biden. Donald Trump a largement joué sur ce point pour souligner une supposée incompétence de Kamala Harris.

Pourtant les chantiers de la construction du mur ont bien repris sous la présidence Biden, ce qui n’a pas empêché le flux d’immigration illégal de continuer. Trump a promis de mettre un terme à l’hémorragie, et seul le temps permettra de savoir si ce mur dont la construction a démarré en 2006 (Secure Fence Act) sous la présidence Bush n’a pour l’instant pas ralenti le flux migratoire, posant dès lors la question de sa pertinence eu égard au coût faramineux qu’il engendre.

La politique étrangère : le retour de l’isolationnisme américain ?

Soyons honnêtes, une partie non négligeable d’Américains ne connaissait pas le nom de ce pays d’Europe de l’Est avant février 2022. Ainsi, une majorité ne comprend pas l’aide massive de près de 100 milliards de dollars débloquée pour un pays si lointain, à mille lieues de leurs préoccupations quotidiennes. Du point du vue du peuple, cet argent aurait pu et aurait dû servir à l’économie et à la gestion du dossier migratoire, argument louable et entièrement compréhensible.

Trump a promis de mettre fin au conflit en vingt-quatre heures. Coup de com’ ou réalité ? Seul le temps nous le dira. Cependant, il y a de fortes chances que cela amène l’Ukraine à céder les territoires occupés par les Russes ainsi que la Crimée. Poutine se frotte les mains, Zelensky et l’Europe tremblent.

Quant au conflit au Proche-Orient, je ne vois pas par quel miracle Trump pourrait exercer une quelconque influence. Rappelons que le déplacement en grande pompe de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem en 2018, reconnaissant alors Jérusalem comme la capitale incontestée d’Israël, en rupture avec le consensus international, avait engendré un bain de sang à Gaza. Pour un président qui se revendique comme un homme de paix, « les calculs sont pas bons Donald ». Il ne s’est jamais adressé aux Palestiniens pendant sa campagne mais à la communauté libanaise.

Malgré cela, c’est dans le Michigan que se trouve la plus forte communauté musulmane aux États-Unis, état clé avec ces quinze grands électeurs. Trump l’a remporté sur le fil cette année grâce au vote arabo-musulman. Kamala Harris paye son « soutien inconditionnel » à Israël malgré des propos plus nuancés pendant sa campagne. Il convient de souligner que le vote arabo-musulman illustre parfaitement le paradoxe américain et la difficulté d’établir un bilan de cette élection. Alors que cette communauté a plébiscité Biden en 2020, ils ont majoritairement donné leur voix à Donald Trump pour reléguer Kamala Harris loin derrière à égalité avec la candidate du Parti Vert, Jill Stein qui a appuyé son soutien pour Gaza. Pourtant Donald Trump n’a jamais prouvé une quelconque once d’humanité envers la Palestine, loin s’en faut.

La nomination de Marco Rubio comme chef de la diplomatie, de Pete Hegseth, chrétien fondamentaliste, à la Défense et de Mike Huckabee, fanatique biblique, comme ambassadeur américain à Jérusalem sont autant de signes d’un parti-pris flagrant dans le conflit au Moyen-Orient. De plus, il ne faut pas oublier qu’il a légalement instauré en 2018 une interdiction totale de territoire aux habitants de six pays musulmans. Peut-être qu’il faut voir dans ce vote, une adhésion à d’autres aspects de la personnalité de Trump, notamment sa vision d’une société patriarcale renforcée.

Boys, boys, boys : le « bro vote » ou la guerre des genres.

Souvent marginalisée, même encore aujourd’hui, la disparité hommes-femmes et le genre ont été des facteurs indéniables dans la décision finale grâce à des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, gérés par Elon Musk, blessé au plus profond de son ego de père et d’homme par la transition de sa fille transgenre en 2022. Persuadé qu’elle a subi un lavage de cerveau par la propagande « wokiste », il s’est juré de détruire toute pensée progressiste et d’inonder le réseau X (ex-Twitter) de flots mensongers au nom de la sacrosainte liberté d’expression, qui est, rappelons-le, est sans limite aux États-Unis.

Dans un monde post-MeToo dans lequel les fondements de la société patriarcale sont remis en cause, Trump a su surfer sur la crainte des hommes pour créer sa galaxie masculiniste et séduire l’électorat masculin dans toutes les strates de la société. Cette galaxie d’incels (involuntary celibate ou célibataire involontaire) est incarnée par Trump lui-même et Elon Musk, mais aussi par des influenceurs comme Andrew Tate ou Nick Fuentes qui ont su séduire la génération Z est en phase de séduire la génération alpha qui pourra voter en 2028.

Condamné pour agression sexuelle, Trump n’a jamais caché sa misogynie. Il n’a eu cesse de moquer le rire de Kamala Harris ainsi que déclarer qu’elle aurait un quotient intellectuel limité malgré une brillante carrière de procureur. Il s’est vanté d’avoir été le président qui a mis fin à Roe v Wade, la loi fédérale, qui, depuis presque cinquante ans, garantissait aux Américaines le droit à disposer de leur corps, ce qui a entraîné une augmentation de 56% des décès de femmes enceintes au Texas à qui on a refusé les soins nécessaires. Il n'y a qu’à voir son dernier "rally" au Madison Square de New York pour comprendre cette galaxie masculiniste. Quant à la nomination de Matt Gaetz à la Justice, lui-même poursuivi pour agression sexuelle, parmi tant d'autres, elle se passera de commentaire.

Coup gagnant pour Trump qui a remporté le vote des hommes par plus de 55% soit trois points de mieux qu’en 2020, ce qui a fait basculer l’élection de 2024. Oui, le genre a été déterminant. Si on peut évoquer de nombreuses faiblesses et émettre des critiques eu égard à la campagne de Harris, il demeure évident que son genre a pesé dans la balance.

Prenons un exemple concret. Le comté de Miami-Dane en Floride, qui a historiquement toujours voté démocrate et majoritairement peuplé par la communauté hispanique a été remporté par Trump par 55% des voix (alors qu’il n’avait obtenu que 42% des voix en 2020). Les hommes latinos ont voté Trump : si l’économie a joué, ne négligeons pas la dimension culturelle et religieuse.

Comment expliquer alors que Trump remporte l’état de la Caroline du Nord mais que cet état donne une victoire écrasante pour le gouverneur démocrate. Emphase sur LE. Tout comme en Arizona, où Trump remporte confortablement la majorité des voix. Pourtant c'est un sénateur démocrate qui emporte le siège face à une femme républicaine pro-Trump. Emphase sur UN.

Trump gagne le vote des jeunes hommes. Peut-être, qu’ironiquement, ils ont pris peur du soutien de Taylor Swift, mais ouf, elle n’est pas Dieu et n’a donc pas influencé l’élection. Il est évident ici que le rôle des réseaux sociaux est un facteur prépondérant du succès de Trump. Lorsque je navigue sur Instagram ou TikTok, je tombe souvent sur des contenus masculinistes qui font froid dans le dos. Sous prétexte de redonner confiance aux jeunes hommes, le discours dérive vers un sexisme exacerbé voire un appel au viol des femmes. La génération Z (nés après 1996) suivie de près par la génération Alpha (nés à partir de 2010) sont biberonnées aux réseaux sociaux. Les évènements MeToo ont mis à mal les relations hommes / femmes et les filles de ces deux générations ont tendance à être plus progressistes, voire radicales, n’hésitant pas à dénoncer de manière virulente les inégalités hommes-femmes toujours ancrées dans la société américaine.

La perte du vote des minorités ou le paradoxe américain.

Donald Trump a gagné des voix chez les minorités. Après avoir traité les latinos de violeurs, d’animaux, de drogués, après la sortie du « comédien » lors du meeting de Trump à New York fin octobre dans lequel il parlait de Porto Rico comme une « île de déchet » (rappelons que les portoricains ont la citoyenneté américaine), il remporte le vote masculin dans les communautés hispaniques. Espérons que leur grand-mère qui n’ a pas ses papiers ne serait emmenée dans la vague de déportation massive promis par le président nouvellement élu à travers les mots de son nouveau « tsar des frontières », Tom Homan, qui a promis de déporter massivement tous les immigrés illégaux, même ceux présents depuis toujours.

Après avoir été condamné pour discrimination envers la communauté noire dans les années 1970 à New York, puis appelé à la peine de mort pour le Central Park 5 – cinq jeunes noirs injustement accusé du viol du joggeuse blanche à Central Park 1989 et reconnus innocents en 2002 ; après avoir multiplié les stéréotypes sur la communauté noire et créer une paire de basket en or pour « plaire à cette communauté » en mars 2024, la désinformation via les deepfakes sur son compte X, Trump gagne 11 points dans le vote masculin noir. Sans compter le vote arabo-musulman que j’évoquais précédemment.

De toute évidence, malgré les attaques incessantes contre ces communautés, les hommes ont préféré le racisme, l’humiliation, l’étiquetage et la désinformation plutôt que de voir une femme diriger le pays.

Nouveau paradoxe américain : une victoire des militants pour le droit à l’avortement.

D'une certaine manière, les résultats des élections de 2024 semblent incompréhensibles. Une majorité a voté en faveur du droit à l'avortement dans huit des dix États où la question était soumise au scrutin. Pourtant, les Américains ont également élu l'homme principalement responsable de la suppression de ces mêmes droits. En outre, dans plusieurs États où le droit à l'avortement a été approuvé, Donald Trump a également remporté la victoire. Il n’est pas inutile de préciser qu’il s’agit d’Etats très conservateurs comme le Montana ou le Missouri. C’est une victoire, certes amère, mais réelle des militants pro-choix d’avoir pu sauver ce droit fondamental dans certains Etats, malgré l’ombre du Projet 2025 qui plane mystérieusement sur le futur mandat du président Trump que la Floride semble incarner, elle qui s’enfonce dans l’obscurantisme, après la montée de la censure des livres, l’obligation d’enseigner l’esclavage à l’école comme ayant été bénéfique pour les noirs.

Quel avenir avec les Trois Musk-etaires ?

Le règne des Trois Musk-etaires (Trump, JD Vance et Elon…Musk) n’est qu’à ses prémices. Le pire contre-attaque dans cette incarnation lunaire du mâle et du mal où misogynie et dystopie ne font qu’un. Mais les marchés s’affolent et la spéculation à tout va montre des signes d’embellie des marchés. C’est bien là l’essentiel. Rappelons que tous ces hommes forts et virils dont Trump s'est entouré n'ont eu de cesse dans le passé de l'insulter, de le considérer comme un danger pour la démocratie, le peuple américain et le monde. Mais le vent tourne, les girouettes aussi.

Convenons que Trump n’est qu’un symptôme, il n’est pas la cause. La société patriarcale toxique a de beaux jours devant elle, depuis sa large victoire, la galaxie masculiniste s’est renforcée et a engendré des appels aux viols par l’intermédiaire de pseudo-influenceurs – pourtant puissants – comme Nick Fuentes qui appelle au viol des femmes tout en détournant le slogan féministe My Body, My Choice (mon corps, mon choix) en Your Body, My Choice (ton corps, mon choix).

Pourtant, on peut se réjouir que Trump n’ait pas vraiment gagné de voix par rapport à 2020, c’est le parti démocrate qui en a perdu, ce qui est assez paradoxal encore une fois.

Mais que penser des menaces et autres remarques disséminées par Trump tout au long de sa campagne : s’attaquer à l’ennemi de l’intérieur, inciter les gens à ne pas voter car il a déjà tous les votes, le petit secret qu’il a avec Mike Johnson, le « speaker » du congrès américain et Elon Musk… Trump, si véhément, si provocateur, est pourtant bien silencieux depuis sa victoire qui devait marquer son apogée, sa revanche accomplie. L’entrée de Musk au gouvernement ne présage rien de bon quant à la mainmise du roi de la tech sur les données personnelles, les réseaux sociaux et le cœur du gouvernement américain. Je ne sais pas vous, mais ce silence inhabituel de Trump en dit peut-être long. Ce qui est sûr c’est que la polarisation de la société américaine se creuse, la jeunesse se radicalise des deux côtés, menant à des États plus désunis que jamais.

Pourtant tout le monde sait que se remettre avec son ex ne mène à rien de bon, c’est le « red flag » de base… on ne mange pas son vomi. Nolite Te Bastardes Carborundorum.

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