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Billet de blog 8 janvier 2014

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Blesa Cristina Barcelona

Le juge José Castro a consacré pas moins de 227 pages à son argumentation destinée à l’Audience provinciale de Palma de Majorque, au parquet anticorruption, à la maison royale, aux courtisans bien ou mal payés et au système institutionnel lui-même, qui ne tolère pas le moindre bouleversement. Castro appelle l’infante Cristina à comparaître comme mise en examen le 8 mars, journée internationale de la femme

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Le juge José Castro a consacré pas moins de 227 pages à son argumentation destinée à l’Audience provinciale de Palma de Majorque, au parquet anticorruption, à la maison royale, aux courtisans bien ou mal payés et au système institutionnel lui-même, qui ne tolère pas le moindre bouleversement. Castro appelle l’infante Cristina à comparaître comme mise en examen le 8 mars, journée internationale de la femme (clin d’œil à Woody Allen et tout à fait cohérent avec l’esprit et la lettre de la seconde partie de son ordonnance de renvoi). Quelques heures après l’annonce de la mise en examen de l’infante, le juge remplaçant Elpidio José Silva dans l’affaire Blesa a annoncé une citation à comparaître de l’ancien président de Caja Madrid et de son équipe au complet le 24 janvier, pour qu’ils expliquent les inexplicables conditions d’achat de la City National Bank de Floride en 2008. On peut dire que ça a été un grand jour pour l’hygiène démocratique. Il semble que, ce mardi, la justice a été moins inégale pour tous. Le temps dira si l’opération propreté résiste aux preuves définitives.

Qui veut bien lire la totalité de l’ordonnance du juge Castro, et en particulier ses fondements juridiques, ressentira par moments de la honte pour les autres. Ceux qui soutiennent, impavides, l’hypothèse selon laquelle Cristina de Bourbon a pu ne pas être consciente des erreurs de son mari, Iñaki Urdangarin, ont besoin d’anxiolytiques. C’est déjà beaucoup de « passer sur » (selon l’expression du juge) accepter que l’infante, femme avec une solide formation académique et professionnelle et un bon salaire à La Caixa, signe sans se rendre compte la création avec son mari et à 50% d’une « société écran » comme Aizoon SL, dont l’unique activité connue est de servir d’instrument pour assumer les dépenses personnelles et familiales en les cachant au trésor public ou en payant moins d’impôts que ce que la loi réclame. Mais il suffit de lire les pages 130 à 141 de l’ordonnance de Castro pour en conclure que Cristina de Bourbon a déjà trop tardé à donner des explications à la justice.

Argent noir et conduite exemplaire

Beaucoup de données étaient connues, mais les relire une à une et dans le contexte de responsabilité juridique provoque de l’indignation. Cristina de Bourbon faisait payer par Aizoon des dépenses de toute évidence personnelles comme des vacances, de la vaisselle, des tableaux, des livres Harry Potter, de la décoration pour enfants, des repas dans des restaurants de luxe, des services de coaching ou « un cours de salsa et merengue au domicile familial » (page 136). Et l’infante en personne, selon des témoins directs, est intervenue pour engager des employés de maison, immigrés en situation irrégulière à qui Cristina a annoncé vouloir « payer leurs salaires au noir ». Elle a finalement accepté un contrat de travail quand « ils l’ont demandé pour pouvoir obtenir un permis de séjour mais en faisant apparaître Aizoon comme employeur alors que les employés n’ont jamais travaillé pour cette société » (page 137). Pour avoir engagé des immigrés clandestins et les avoir payés au noir, des responsables politiques ont été condamnés et exclus de la vie publique aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en France ou en Italie. Ici on continue à tergiverser pour savoir si une infante doit être convoquée devant le juge ou pas.

Le roi parle. Le juge Castro agit. Dans son discours de Noël 2011, Juan Carlos a revendiqué « l’exemplarité » des institutions et proclamé ce qui devrait être évident dans une démocratie : « la justice est égale pour tous. » Quelques jours plus tard, son gendre, Iñaki Urdangarin, était mis en examen. Un an plus tard, dans ses vœux les plus courts de son règne, Juan Carlos a défendu « l’esprit de service » et les « principes d’éthique personnelle et sociale ». Il y a deux semaines, après une allusion aux « affaires de manque d’exemplarité dans la vie publique », il a conclu son message de Noël 2013 par une annonce : « Je veux vous transmettre, comme roi d’Espagne (…), l’assurance que j’assume les exigences d’exemplarité et transparence qu’aujourd’hui la société réclame. »

Les occasion de faire preuve de « transparence » et d’« exemplarité » dans l’affaire Nóos ont été nombreuses ces dernières années. Pour commencer, la maison royale n’a jamais voulu expliquer, par exemple, comment Urdangarin et Cristina pouvaient honorer le prêt de La Caixa pour l’achat du petit palais de Pedralbes, à Barcelone. Et les premières informations datent de 2005. Les revenus déclarés du couple n’auraient pas suffi à rembourser l’emprunt de un million en cent ans.

Quelques-uns des paragraphes les plus intéressants de l’ordonnance de Castro font précisément référence à son obligation de veiller à l’égalité de tous devant la loi. Il se base sur la loi de procédure pénale et sur le code pénal pour justifier son « devoir » (page 115) d’auditionner comme inculpés « ceux qui se voient mis en cause par des indices de culpabilité », ce qui n’est pas incompatible avec la présomption d’innocence. Et il lance l’un de ses plus durs reproches au parquet quand il rejette l’idée de faire preuve d’une « attention spéciale » au moment de mettre en cause des personnalités publiques ou institutionnelles. « Si par “attention spéciale” il faut comprendre celle qui est absente dans des circonstances non spéciales, nous donnerions notre bénédiction à l’institutionnalisation de mises en examen spécialement soigneuses face à d’autres qui ne le sont pas », a dit Castro. De fait, le juge du tribunal de Majorque considère qu’il y a eu, dans la procédure, « un traitement inégal » (page 220) envers l’infante Cristina par rapport à Ana María Tejeiro (compagne de Diego Torres, associé d’Urdangarin), « mais dans le sens opposé à celui évoqué » dans le texte du parquet qui s’oppose à la mise en examen de Cristina. Le magistrat ne comprend pas (pas plus que la majorité des citoyens) pourquoi le parquet s’est opposé à la mise en examen de l’infante mais pas à celle de tous les autres mis en cause dans l’affaire Nóos.

Egalité devant la loi

Des juges et des procureurs sont obligés de porter « une attention spéciale » à ce que la justice soit la même pour tous, ou qu’elle soit la moins inégale possible (les ressources économiques nécessaires à un procès établissent déjà des inégalités).

Les mystères du calendrier judiciaire ont une fois de plus voulu que les mauvaises nouvelles pour l’infante Cristina soient noyées dans d’autres nouvelles des tribunaux. Ce même mardi, le responsable du tribunal 36 de Madrid, remplaçant d’Elpidio José Silva, a décidé de citer à comparaître le 24 janvier l’ancien président de Caja Madrid, Miguel Blesa, et ses principaux dirigeants, pour s’expliquer sur l’une des opérations les plus obscures de sa présidence, le rachat de la City National Bank de Floride. On pourrait aussi voir cette coïncidence dans l’autre sens : plusieurs juges ont rejeté pendant des mois la patate chaude de l’affaire Blesa, et l’un deux a pris une décision.

L’achat de la banque de Floride par Caja Madrid, à un prix exorbitant, est ce qui a conduit Miguel Blesa en prison à deux reprises, et ce qui aujourd’hui place le magistrat qui a demandé cette mise sous écrous à deux doigts d’une mise à l’écart de la carrière judiciaire. Elpidio José Silva est accusé de prévarication et le tribunal supérieur de justice de Madrid n’accepte pas pour preuves de sa défense les 8 777 courriers où figurent des indices d’irrégularités et de délits présumés dans l’administration de la banque, dont la faillite a engendré le sauvetage bancaire en Espagne. Dans ces courriers, comme a pu le vérifier infoLibre, figurent des données significatives sur l’opération en Floride. Ils continueront à être considérés comme nuls pour protéger la vie privée de ses expéditeurs ou destinataires ? Le tribunal 36 pourra demander à Blesa des explications sur le contenu de documents que le tribunal numéro 9 ne lui permet pas d’utiliser ? Quoi qu’il arrive dans cette procédure, un temps précieux aura été perdu, pendant lequel des preuves peuvent être détruites ou manipulées, comme le craint le juge Silva. Et pas seulement de l’opération en Floride.

Blesa s’est défendu dans les tribunaux de façon similaire à ce que disent les porte-parole de l’infante pour sa défense : il (ou elle) ne prenait pas personnellement les décisions, il (ou elle) ne savait pas, ne se souvient pas… Qui a vu Blue Jasmine, la dernière perle de Woody Allen, pourrait imaginer Cristina (et d’autres compagnes de corrompus présumés) dans le rôle tenu par Cate Blanchett. Mais seulement pour un instant. Sans révéler la fin de l’histoire, on ne perçoit pas jusqu’à présent le moindre désir de collaborer avec la justice ni d’assumer ses responsabilités. Urdangarin et l’infante étaient encore en état de grâce à l’été 2007, quand Woody Allen a tourné Vicky Cristina Barcelona, l’un de ses films les moins brillants et les plus vus. Une carte postale dans laquelle le personnage du duc « empalmado » aurait parfaitement collé.

Jesús Maraña, dans le Buzón de voz de infoLibre

(billet traduit par Laurence Rizet)

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