Lorsque nous avons annoncé via les réseaux sociaux qu'un groupe de journalistes issus de différents médias avaient décidé de réunir leurs forces pour lancer un nouveau média numérique indépendant, sans aucun lien avec d'obscurs accords commerciaux et bien loin des intérêts des partis, des entreprises et des sociétés financières, nous avons ressenti l'enthousiasme des lecteurs et de nos collègues journalistes.
Mais dans cette aventure « donquichottesque », il était aussi logique de nous retrouver face à quelques sceptiques, particulièrement en ces temps de crise profonde du journalisme. Beaucoup pensaient qu’en Espagne, il n’était pas possible de trouver des gens prêts à donner la juste valeur à l'information de qualité, à payer pour cela sur l'Internet, malgré un prix si modeste.
Ce lundi 7 mars, nous fêtons les trois premières années d’infoLibre et de notre journal mensuel en papier tintaLibre. Et nous faisons ce que nous nous sommes engagés à faire à chaque anniversaire : publier en détail nos comptes. Notre projet est basé sur un contrat de confiance entre les journalistes et les lecteurs. En tant que journalistes, nous garantissons que nous dépendons seulement de nos réussites et de nos erreurs, et, pour nous, nos lecteurs ne sont pas des « utilisateurs » ou des « clients », mais des hommes et des femmes membres d'un projet indépendant auquel ils participent avec leurs opinions et influence. Nous démontrons la transparence en informant. Ici, vous trouverez les chiffres d’infoLibre et de tintaLibre concernant sa troisième année de vie. Nous continuons à croître tant en audience qu'en partenaires, et, par conséquent, l'écho de nos enquêtes augmente également. Aujourd’hui, nous sommes plus près de notre consolidation.
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- NOS PARTENAIRES
Au cours des trois dernières années, il y a eu des profonds changements dans le contexte politique et social. En fait, nous sommes plongés dans une actualité déconcertante. Mais la profonde crise des journaux traditionnels et leurs difficultés à s’adapter à la réalité numérique n'ont guère changé. Nous continuons à assister à l’enterrement proclamé du papier et nous entendons sans cesse les annonces des grands journaux qui proclament leur transformation en « plateformes capables de créer du contenu pour toutes les genres de supports », une annonce qui cherche à séduire une audience considérée en tant que « utilisateur ». Ici, nous envisageons de continuer à faire du journalisme en utilisant des outils numériques en constante évolution.
Notre projet s'appuie sur une ferme conviction, la même qui a permis le succès de notre partenaire Mediapart, fondé en France grâce à un groupe de journalistes issus des différents médias : le vrai problème n’est pas le papier ou l’information numérique (débat déjà surmonté), le vrai problème se trouve dans la crédibilité. Pour obtenir cette crédibilité, il est nécessaire de respecter scrupuleusement les règles du bon journalisme, et le faire avec une formule capable de garantir l’indépendance réelle face à des intérêts économiques, financiers ou politiques.
Dans un récent essai intitulé Sauver les médias (Salvar los medios de comunicación), l'économiste Julia Cagé, se fondant sur des rapports détaillés, estime qu'un véritable journal d’information ne peut pas être soutenu par des revenus commerciaux : « les contenus payants sont l'avenir d'une industrie où la publicité est en fuite. »
En Espagne, l'émergence de nouveaux médias numériques est toujours une réalité, mais les principaux groupes de communication actuels, comme la plupart des voix qui sont en train d’apparaître, continuent de se pencher pour parvenir à des accords commerciaux (conventionnels ou opaques), au lieu de convaincre aux lecteurs que l’information bien différenciée et indépendante a une véritable valeur.
Dès le début, la clé de notre projet éditorial sont (vous) les abonnés qui paient un prix mensuel ou annuel pour l'accès à tous nos contenus.
* Nous avons terminé le mois de février 2016 avec 6 846 abonnés. Le soutien de nouveaux abonnés a augmenté de semaine en semaine, de mois en mois, bien que, l'année dernière, plus d'une douzaine de nouveaux médias numériques sont apparus, certains d'entre eux avec des ressources millionnaires. Le pourcentage des membres qui se sont engagés à la consolidation d'infoLibre a également augmenté, beaucoup de nos abonnés ont choisi des engagements plus longs et des tarifs plus élevés pour accéder à nos informations.
* Du nombre total des abonnés, 4 990 ont choisi l’abonnement annuel, 1 679 l’abonnement mensuel et, en février, 177 ont choisi notre nouvelle offre : 15 jours d’accès à notre journal pour 1 euro. En fin de compte, 72,8 % de nos abonnés sont annuels. C’est un engagement dont nous vous remercions particulièrement, pour la confiance et la stabilité qu'il apporte à notre projet.
* 2 883 abonnés reçoivent notre journal mensuel tintaLibre, ayant opté soit pour un abonnement annuel ou mensuel.
* À ces chiffres, il faut ajouter les ventes en kiosque de tintaLibre, dont la moyenne était en 2 525 exemplaires. Autrement dit, la circulation totale de notre journal mensuel en 2015 a atteint 5 408 exemplaires. Comme nous l'avons défendu dès le début, la baisse du nombre de lecteurs qui fréquentent les kiosques pour acheter le journal ne signifie pas nécessairement la disparition du papier. Le choix de nos abonnés à recevoir notre journal chez eux chaque mois en est la preuve.
- LE CHIFFRE D'AFFAIRES
Tous les médias du monde entier s'autodéfinissent comme indépendants. Mais l'une des meilleures façons de vérifier l'exactitude de cette proclamation est la transparence des revenus.
* infoLibre ne reçoit pas de subventions ou de contributions des administrations publiques. Notre journal ne reçoit aucune aide du gouvernement central ou des communautés autonomes.
* En 2015, le bénéfice net d’infoLibre et de tintaLibre a atteint 845 182 euros. Ceci représente une amélioration de 20,3 % par rapport à l'année précédente.
* La distribution du revenu net a été la suivante : 427 824 euros issus de la publicité dans le journal numérique et le journal mensuel, 347 263 euros issus de nos abonnés et 70 095 euros des ventes en kiosque de tintaLibre.
* Nos abonnés peuvent consulter notre journal sans recevoir des messages commerciaux, nous estimons que celui qui donne une valeur à l'information a également le droit de décider s’il veut ou non regarder la publicité.
* Les revenus bruts des abonnements se sont élevés à 411 181 euros. De ce montant, il faut déduire les 21 % de TVA qui sont appliqués à infoLibre et 4 % à tintaLibre. Le résultat net des abonnements s’est élevé, après impôts, à 347 263 euros.
* Nous l'avions dénoncé dans les années précédentes et nous continuons à le faire. Les abonnements à un journal quotidien en papier sont taxés à 4 % de TVA alors que chaque abonnement d'un journal numérique est taxé à 21 %. Est-ce raisonnable ? L'excuse de subventionner l'industrie du papier ne tient pas, nous nous retrouvons face à une discrimination à l'encontre des médias numériques qui cherchent à tenir avec le seul support de leurs abonnés. C’est une discrimination flagrante, mais aussi la preuve qui démontre que les gouvernants et les législateurs ne comprennent pas la réalité numérique et (ce qui est encore pire) spécialement ce qui concerne la différence entre le journalisme et tous les types d'entreprises (légitimes) liées à la communication. Taxer les abonnements d’un média numérique avec une taxe cinq fois supérieure à celle appliquée aux journaux papier équivaut à considérer que le seul journalisme d'intérêt public est celui de la presse écrite. Nous allons continuer cette bataille en Espagne, comme notre partenaire Mediapart l'a fait déjà en France, jusqu'à la fin de cette discrimination qui a déjà été condamnée par les tribunaux européens.
- LES DÉPENSES
Nous nous sommes engagés dès le départ à mener à bien une gestion responsable et rigoureuse des ressources pour atteindre la rentabilité d'infoLibre. Y parvenir n'a pas été facile et continuer notre chemin ne sera pas plus simple, mais nous gardons l'espoire dans cette tâche avec la conviction qui mène au succès, mais aussi avec l’obligation face aux petits investisseurs qui comptent sur nous, les membres de la Société d’amis de infoLibre et nos abonnés.
* Les dépenses ont augmenté en 2015 au total de 1 063 392 euros, ce qui représente une augmentation de 1,1 % par rapport à l'année précédente.
* Sur les dépenses totales de 2015, 71,1 % étaient pour le personnel (756 142 euros). Les salaires ont été gelés par rapport à 2013 et 2014. Le rapport entre le salaire le plus élevé (60 000 euros) et le plus bas (20 000 euros) des contrats à temps plein était de 3 à 1.
* Les autres dépenses sont réparties comme suit : 110 199 euros liés aux dépenses technologiques et industrielles, 104 002 aux frais généraux, 38 877 euros aux contacts avec des agences de presse, 27 831 euros à l'amortissement et 26 341 euros aux frais financiers.
* L'effectif est composé de 18 personnes (16 dans la rédaction et 2 dans l'administration), 13 d'entre eux ont des contrats permanents et 5 des contrats de rédacteurs stagiaires (4 temps plein et un à temps partiel). Dans notre journal, pendant la première année, les rédacteurs stagiaires perçoivent 70 % du salaire d'un journaliste et 80 % la deuxième année.
* Les frais de personnel se sont élevés à 470 331 euros pour les salaires et à 144 248 euros pour les contributions à la Sécurité sociale.
* Les dépenses issues des collaborations externes se sont élevées à 141 563 euros. Pour chaque article ou collaboration externe, infoLibre paie entre 70 et 100 euros.
- LE RÉSULTAT DE L'EXERCICE
* Nous avons clos l'année 2015 avec une perte de 218 210 euros. En 2013, les pertes se sont élevées à 736 610 euros et à 348 774 euros en 2014, la deuxième année d'infoLibre.
* Pour 2016, une perte de 117 302 euros a été budgétisée. Cela représente une réduction de 46,2 % par rapport au résultat négatif enregistré en 2015.
- LE MODÈLE COMMERCIAL
Nous avons toujours soutenu que l'indépendance d'un journal commence au moment même où il est établi en tant que société. infoLibre a suivi le modèle de notre référence éditoriale : Mediapart, un journal numérique d’investigation où l'actionnaire majoritaire se compose de journalistes, nous avons aussi le soutien des petits investisseurs qui partagent nos principes éditoriaux. Nous avons le soutien de la Société des amis d'infoLibre, une formule de participation citoyenne dans le capital de notre société.
* Face à 2016, la société d'édition (Ediciones Prensa Libre SL) a prévu de conclure une augmentation du capital pour un montant de 180 000 euros. Le groupe des journalistes fondateurs, le journal Mediapart et la Société des amis d'infoLibre représentent le 55 % du notre capital.
- L’AUDIENCE
Conformément à ce que nous considérons donner du sens à ce projet éditorial, nous avons toujours été persuadés qu'il était plus important de donner la priorité à la rigueur et la vérification des informations avant d'entrer dans la bataille pour conquérir l'audience. (Julia Cagé, soit dit en passant, met également en garde sur les risques de la banalité et le divertissement pour le futur du journalisme numérique).
infoLibre, comme nous lecteurs le savent, a publié des articles d'opinion en accès libre, ainsi que des informations culturelles participatives, dont notre nouveau fil d’actualité de critique littéraire, Los Diablos Azules, est un récent exemple. Mais nous sommes l'un des rares journaux numériques en Espagne dont le contenu principal est accessible uniquement aux membres et partenaires.
Par conséquent, il est particulièrement important (et satisfaisant) que notre public augmente toujours, tout comme notre présence dans les réseaux sociaux où infoLibre se présente comme l'un des journaux les plus suivis en Espagne.
* En décembre 2015, selon les données certifiées de l'Office de justification de la diffusion (OJD), infoLibre a enregistré 1 610 789 utilisateurs uniques, 3 449 455 visites et 5 680 009 pages vues. Un an plus tôt, en décembre 2014, ces chiffres étaient les suivants : 1 483 280 utilisateurs uniques, 2 975 815 visites et 4 727 248 pages vues. Cela représente une augmentation du 8,6 % des utilisateurs uniques, 15,9 % des visites et 20,1 % de pages vues.
* Selon Comscore, un compteur d’audiences numériques, en décembre 2015, infoLibre avait 1 329 000 lecteurs uniques. Parmi ceux-ci, plus d'un million se sont connectés viades applications mobiles.
* Dans les réseaux sociaux, le suivi d’infoLibre a aussi augmenté. Surtout sur Facebook, où nous avons presque 280 000 followers, ce qui fait d'infoLibre l'un des médias les plus populaires. Il y a un an, ce chiffre était 202 000, de sorte que la croissance au cours de 2015 était de 38,6 %. Dans la dernière année, le nombre d'abonnés sur Twitter est passé de 91 000 à 136 000, ce qui équivaut à une augmentation de 49,4 % .
Nous sommes convaincus que la croissance régulière du nombre de membres et de partenaires et l'évolution de l'audience confirment qu'infoLibre est sur la bonne voie pour consolider son projet. Nous avons ajouté de nouveaux contenus dans les derniers mois et aussi des nouveaux collaborateurs, nous continuerons à le faire. Dans quelques semaines, nous espérons offrir une version mobile pour faciliter l'accès à notre site web.
Nous défendons la nécessité démocratique du journalisme, et dans ce contexte, il est essentiel de démontrer que le journalisme est utile, qu'il conduit à un débat social et que son exercice a d'importantes conséquences. L’intensité politique de 2015 a été immense, la même est prédite pour 2016. Des enquêtes d’infoLibre, comme celles concernant le patrimoine d'Esperanza Aguirre, ou les frais de Rodrigo Rato, alors qu'il était président de Bankia ou encore celle sur les affaires de grandes sociétés pharmaceutiques, sur les impôts réels payés par les entreprises du IBEX, ou sur la pression des puissances économiques et médiatiques en faveur d'une grande coalition politique… Toutes ces enquêtes ont contribué à montrer que le travail journalistique dépend seulement de ses lecteurs et que leur soutien est plus nécessaire que jamais.
Bien sûr, nous avons fait des erreurs, nous cherchons à les corriger le plus rapidement possible avec les outils technologiques actuels. Bien sûr, nous avons beaucoup de choses à améliorer, mais nous sommes aussi fiers de quelque chose de fondamental : pas une seule de nos enquêtes journalistiques faites par les journalistes d'infoLibre a dû être corrigée. Les faits ont toujours confirmé la vérité de ce qui a été publié.
Nous remercions tout particulièrement les membres et les partenaires qui partagent cette aventure si nécessaire. Et nous remercions aussi ls lecteurs qui ne sont pas encore abonnés, mais nous font déjà confiance.
Passez le mot !