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Billet de blog 29 août 2023

Lutte contre la réforme des retraites à la fac : quel bilan ?

Plusieurs mois après la fin de la mobilisation contre la réforme des retraites, nous, Jeunes Insoumis·es de l'université de Nanterre, souhaitons en proposer un bilan, en espérant engager une discussion sur la stratégie et les méthodes des mouvements étudiants.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De janvier à juin 2023, la France a traversé un mouvement social d’une ampleur inégalée depuis mai 68 pour contester la réforme des retraites et le passage de l’âge minimum de départ de 62 à 64 ans. Cependant cette mobilisation, massive dans la rue, n’a réussi à bloquer ni l’économie ni le passage en force du gouvernement. Si la séquence n’est pas complètement terminée, on peut cependant conclure à une défaite, à minima partielle, de la mobilisation syndicale.

Dans ce cadre, des voix se lèvent pour mettre en cause la stratégie de l’intersyndicale et/ou à appeler à développer l’auto-organisation locale devant permettre une coordination suffisante entre les travailleurs pour un blocage effectif de l’économie.

En tant que militant locaux nanterriens, nous avons participé activement aux blocages, assemblées générales (AG), comités de mobilisation, manifestations, etc. Nous ne prétendons pas avoir été toujours juste, ni avoir la vérité absolue sur la mobilisation mais nous souhaitons vous proposer un bilan et quelques réflexions sur cette mobilisation, en soulignant la difficulté dans l’état actuel du syndicalisme et du militantisme politique de s’organiser localement sur une fac.

La mobilisation à la fac

Pour la première fois depuis la précédente réforme des retraites de l’hiver 2020, un mouvement social a dépassé le seul cercle des militant·es de l’université. Nous avons assisté à une assemblée générale de plus de 350 personnes, et plusieurs autres dépassant les 100 personnes. Plusieurs matinées de blocage ont été particulièrement suivies, avec plus de 50 personnes (et une fois au moins 70) présentes dès 7h du matin.

Cependant, ces niveaux de mobilisation ont quasiment tous été observés dans les 10 à 14 jours suivant le 6 mars, et le mouvement n’a non seulement jamais pu passer à une étape supérieure, mais il a même constamment décru à partir de la fin de cette courte période. Pour comparer, en 2019 plus de 600 personnes s’étaient retrouvées en AG pour s’organiser face à la précédente réforme des retraites et pour l’adaptation des examens dans un contexte d’exceptionnelle grève des transports.

Ces difficultés ont été rencontrés dans la plupart des facs : le mouvement social étudiant est resté à des niveaux bien inférieur à celui de mobilisations précédentes (parcoursup 2018). Si les cortèges étudiants étaient massifs en manifestations, sur notre lieu d’étude les choses ont été beaucoup plus difficiles. Ces difficultés viennent notamment du covid (baisse du nombre et de l’activité militante causée par la quasi- fermeture de la fac pendant presque 2 ans) et de la généralisation du distanciel : beaucoup de prof en prévision de blocage ou de problème de transport ont fait passer leur cours en distanciel, empêchant la massification du blocage. De plus, dans le cas nanterrien, les absences sont systématiquement non retenues en jours de mobilisation intersyndicale.

Le manque de monde en AG ne s’observe pas qu’à Nanterre : il est par exemple aussi regretté par Laurent Brun (secrétaire général de la CGT cheminots et membre du bureau confédéral de la CGT) qui n’est pourtant pas dans un secteur proche de la fac, laissant penser à un phénomène de rejet des lieux d’auto-organisation locales bien plus global.

La responsabilité des organisations locales : l’avant-garde coupée de la majorité des étudiant·es

L’auto-organisation à Nanterre ne s’est pas faite sans organisation politique et syndicale. C’est d’ailleurs une difficulté qui a été rapportée par les nouveaux·elles : comment se repérer dans un milieu militant complexe ?

Au sein de ce champ politique la section locale de l’UNEF, intégralement composée de la tendance UNEF- TACLE, tient une position particulière. Présents depuis plusieurs années avec à sa tête des militants indéboulonnables du NPA tendance A&R, ils sont encore pour le moment la force syndicale étudiante majoritaire. Non contents d’avoir sur le dos un document de 11 pages relatant des faits de harcèlement moral et d’emprise psychologique, ils continuent d’abimer les espaces militants nanterriens.

Pendant le mouvement sur les retraites, alors qu’ils n’étaient pas à l’origine de l’organisation des premières AG, ils ont systématiquement envahi tout l’espace. Monopolisation de la tribune, table Unef-NPA devant l’AG, succession d’interventions identiques (prenant environ la moitié du temps de parole à chaque AG). A notre initiative, Louis Boyard est venu dynamiser une AG le 6 mars : entre 350 et 400 personnes sont dans l’amphi. Cependant, après l’intervention de Louis les multiples interventions de l’UNEF-NPA participent à vider la salle bien avant les votes.

A chaque AG la situation s’est répété. Le NPA vide l’AG de toute discussion décisionnelle en monopolisant la parole pour dire des banalités vaguement marxistes. S’en suivent des conflits entre d’autres orgas et eux ou bien parfois même entre le NPA et des étudiant·es énervé·es par le déroulement de l’AG. Face à cette absence de véritable discussion organisationnelle, les militant·es sont lassé·es, les étudiant·es moins habitué·es dégoûté.e.s en l’espace d’une AG. Le but de l’AG pour ce NPA est d’être omniprésent et d’asseoir une ligne idéologique. Ils cherchent en particulier à déléguer le plus de décisions possible au comité de mobilisation, à une heure et une date ultérieure, généralement inaccessible pour des étudiants et militants qui ne sont pas à temps plein dans la lutte. En effet, dans une situation où peu d’étudiant·es font l’effort de venir en AG, il est aberrant de vouloir créer d’autres échéances pour prendre des décisions. Du coup, les décisions les plus importantes sont toutes prises dans ce « commob » ou le NPA est généralement complètement majoritaire.

Les autres organisations ont eu bien du mal à faire vivre un peu de démocratie. Notre grande victoire à été de faire voter en AG des « comité de mobilisation d’UFR» dans lesquels ont eu lieu de véritables discussions politiques et organisationnelles. En plus d’une meilleure intégration des étudiant·es peu habitué·es au militantisme, ces espaces ont été bien mieux vécus (et bien moins conflictuels) pour les étudiant·es déjà membres d’organisations ou déjà militants. Malheureusement, ces comités de mobilisation ont été particulièrement dynamiques dans seulement 3 UFR sur... 7. Laissant de côté par exemple les UFR Segmi (économie-gestion, l’un des plus important en termes de nombre d’étudiants) et Staps (Sport), parmi les plus populaires de l’université.

Un autre espace intéressant qui s’est intégralement organisé hors-AG est « l’ACABBQ ». En gros, un BBQ militant pour remplir les caisses de grève et parler de la mobilisation aux étudiant·es non mobilisé·es dans une ambiance festive. Le BBQ a très bien marché, d’abord parce qu’il a permis à pleins de militant·es d’horizons divers de se parler et de s’organiser, ensuite parce qu’il a permis toucher des étudiant·es qu’on ne connaissait pas et qu’on n'avait jamais vu dans les milieux militants nanterriens. Cependant, il s’est avéré difficile de les politiser autant qu’on l’aurait voulu, en particulier très peu de gens sont venus en AG après être passé au BBQ.

Quelle stratégie ?

Pour l’Unef-NPA, il fallait avant tout bloquer à tout prix et généraliser les grèves étudiantes reconductibles indéfiniment au nom de la radicalité. Or ces pratiques ne sont pas radicales si elles n’ont pas d’effets, elles gaspillent des forces et nous isolent. Évidemment la situation à Nanterre était très très loin d’être propice à ce genre de stratégie. Et ça ne nous a pas échappé. Nous avons donc essayé de pousser vers un élargissement du mouvement pour ne pas se couper des étudiant·es. En particulier, l’alternative concrète qui s’est posée rapidement après le 7 mars était blocage or not blocage.

Nous avons totalement soutenu les premiers blocages. D’abord parce que ce mode d’action permet de faire émerger un mouvement national étudiant (ce qui a été défendu tout au long du mouvement par la FI, en particulier par Louis Boyard, animateur du pôle jeunesse) ensuite parce que ces blocages étaient censés nous permettre d'élargir le mouvement, de permettre aux gens d’aller en manifestation, de rejoindre des piquets de grève etc... mais cela ne peut fonctionner que si un grand nombre d’étudiant·es suivent le blocage. Ça n’a pas été le cas. Si nous avons aussi pensé au départ que les blocages permettraient d’élargir et de visibiliser un mouvement étudiant contre la réforme des retraites ils sont restés des rendez-vous de gauchistes, avec assez peu de capacité d’élargissement, de politisation et de radicalisation du mouvement. La situation semble être similaire dans la plupart des facs et n’est pas que le fait du contexte local de Nanterre. Le constatant, il aurait fallu savoir changer de stratégie.

Conclusions et propositions

Les questions qui nous ont taraudés pendant ces mois de mobilisations et à la rédaction de ces lignes sont les suivantes :
Que faire d’utile dans une fac lors d’une mobilisation sociale qui ne concerne pas directement le monde étudiant ? Comment élargir ET radicaliser un mouvement pour obtenir gain de cause ? Comment auto- organiser localement un mouvement ?

A la première question nous voulons répondre qu’au niveau nanterrien et au niveau national, nous (les étudiant·es mobilisé·es de Nanterre) avons participé au rapport de force inter-syndical. Nous avons participé et incité à participer à toutes les journées de mobilisations nationales. De plus, la présence importante de jeunes dans les cortège intersyndicaux indique un succès partiel pour la stratégie de mobilisation de la jeunesse. Cependant sur les facs, l’auto-organisation n’a globalement pas fonctionné. A Nanterre, guerres d’appareils, organisation toxique, monopolisation des prises de décision par une “avant-garde”, et un contexte plus global (distanciel, éloignement des étudiants vis-à-vis de leur lieu d’étude, précarité étudiante, job étudiant...) ont conduit à la désertion des espaces de dialogues et d'auto-organisation.

Face à ça, nous avons essayé de proposer d’autres formes de lutte que le triptyque AG – comité de mobilisation général – blocage, notamment par le biais de comités de mobilisation plus « locaux », par UFR, avec une plus grande proximité et une plus grande facilité d’intervention, événements festifs hors journée syndicale, venue de députés... Et nous pensons que les blocages systématiques ne peuvent pas constituer une stratégie viable en deçà d’une quantité critique d’étudiant·es mobilisé·es.

Cette première étape d’élargissement peut a posteriori permettre la mise en place d’actions plus radicales (blocages, piquet de grève avec des travailleur·euse·s pour participer au blocage concret de l’économie, et bien d’autres...). Ce qui répond donc à la deuxième question.

Enfin, notre expérience locale nous permet de mettre en garde contre les appels parfois un peu creux à l’auto-organisation. Tout dépend ce qu’on met derrière ce terme, mais s’il s’agit simplement de l’organisation locale, il faut parler aussi du rôle, parfois délétère, des organisations, aussi locales et microscopiques soient- elles. Il est possible qu’elles aient leur part de responsabilité dans la désertion des lieux d’organisations politiques. Nous restons cependant convaincus de la nécessité de plus de travail local, notamment sur les facs, plus de relation avec les travailleur·euse·s, agents du crous, agents d’entretien, vigiles, administratifs, vacataires... pour une mobilisation qui concerne avant tout les travailleur·euse·s, nous ferions mieux de ne pas oublier que la fac regorge de salarié·es vacataires ou prestataires ultra précaires, dont l'entrée en action pourrait être bien plus efficace que l’engagement total d’une avant-garde minoritaire.

Le groupe d’action des Jeunes Insoumis·es Nanterre Université

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