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Billet de blog 30 novembre 2018

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LA SOMME DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’ENFANT DE LA PREFECTURE DE LA SOMME

Dans certains pays, les mineurs ne peuvent sortir qu'accompagnés d'un majeur. Pour fuir, ils sont obligés de prendre l'identité et l'âge d'un majeur. Les préfectures le savent... mais ça ne les empêche pas de s'appuyer sur ces documents qu'elles savent faux pour engager des poursuites et délivrer des OQTF ! Il faut comprendre, elles ont du chiffre à faire !

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 LA SOMME DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’ENFANT DE LA PREFECTURE DE LA SOMME

35mm X 45mm !

Venu d’Angola, Antonio (le prénom a été changé) est arrivé en France en 2014, à quinze ans et huit mois. Traité par son beau-père comme un enfant sorcier, il était battu tous les jours. La mère d’Antonio a sollicité un passeur pour le faire fuir.

Reconnu mineur, il a été pris en charge par l'ASE de la Somme d’abord dans un hôtel et ensuite en foyer. A sa majorité, la prise en charge s’est poursuivie pendant un an par des contrats Jeune Majeur.

Antonio a été scolarisé dans un lycée professionnel et il a obtenu en juin 2018 un CAP plomberie et installations thermiques. En 2018/2019, il est en terminale du Bac pro installations thermiques.

Tout s’est compliqué quand, à sa majorité, Antonio a demandé un titre de séjour Vie Privée et Familiale. La prise des empreintes par Visabio[1] a révélé qu'avant de partir d’Angola, il avait obtenu un visa sous une autre identité. Le scénario est toujours le même ; les mineurs ne peuvent quitter seuls leur pays et les passeurs leur fournissent un passeport d’emprunt et l’identité d’un majeur.

La préfecture lui a délivré  un récépissé mais, dans le même temps, le procureur de la République était saisi pour fraude sur l'identité. En décembre 2017, Antonio s’est vu notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Deux procédures se sont ouvertes: l’une pénale, l’autre administrative.

Au bout d’un an, après l’audition d’Antonio, la procédure judiciaire a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée.

Mais la procédure administrative est toujours en cours : le Tribunal Administratif a confirmé l’OQTF mais le jugement en appel est sans cesse repoussé. Dans le mémoire en direction de la cour d’appel de Douai, un fonctionnaire de la préfecture ose écrire pour légitimer l’identité livrée par Visabio que « les autorités consulaires n'ont pu être dupées au point de croire un soi-disant adolescent de quatorze ans leur affirmer qu'il est adulte et fonctionnaire. La photographie de l'individu prise alors ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il s'agit d'un homme adulte. »

L'arrêté du 17 novembre 2016 pris en application du décret n°2016-840 relatif aux modalités de l'évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille précise pourtant que l'évaluation d'un mineur revient au Conseil Départemental qui s'assure que les professionnels en charge de l'évaluation justifient ou disposent d'une formation en matière de psychologie de l'enfance et de droit des mineurs.

Eh bien, non !  Il suffit à un fonctionnaire de la préfecture de la Somme d’une photographie 35 mm x 45mm pour déterminer l'âge d'un jeune qu’il n’a jamais vu.


MADAME X SE DISANT ESENGO  BAPTISEE MAGDALENA PENDANT 32 MOIS !

Esengo (tous les noms sont changés) est arrivée de Kinshasa par vol direct en novembre 2014. Elle avait été enlevée et séquestrée en octobre par les paramilitaires de Kabila qui cherchaient son père, opposant au régime. Des villageois l’ont retrouvée inanimée, couverte seulement d’une toile militaire, à plus de 30 km de Kinshasa. A son retour dans la ville, son père était à la morgue de l’hôpital et l’oncle qui l’a recueillie n’a pu retrouver trace ni de sa mère ni de son frère et de sa sœur. Pour lui éviter d’être reprise par l’Agence Nationale de Renseignement, son oncle l’aide à fuir le Congo sous une identité d’emprunt, avec un faux passeport angolais.

Des violences qu’elle a subies des paramilitaires pendant sa séquestration, Esengo porte à jamais les marques dans sa chair. C’est ce qu’ont constaté les médecins légistes du CHU dans un rapport de six pages.

Après le rejet de la CNDA[2], Esengo a demandé un titre de séjour et VISABIO a révélé son identité d’emprunt angolaise. Refus de séjour, OQTF et, à l’initiative du Préfet, ouverture d’une procédure judiciaire pour usurpation d’identité. Convoquée à l’hôtel de police dans le cadre de cette procédure, Esengo a été transférée le jour-même au CRA du Mesnil Amelot pour être renvoyée… en Angola ! C’est le Juge des Libertés qui a ordonné sa libération cinq jours plus tard.

Nouvelle demande de titre de séjour à son retour à Amiens. Nouveau refus du Préfet. Pas question d’accorder un titre à Madame X se disant Esengo alias Magdalena.

Deux mille pétitions, des interventions des députés locaux, de son proviseur, du réalisateur Philippe Faucon n’y font rien.

Pire ! La procédure judiciaire concernant Esengo est fermée au TGI : une nouvelle procédure est ouverte  contre Magdalena l’Angolaise, en juin 2017. En novembre, Magdalena est condamnée à 3 mois fermes pour usurpation d’identité, sans qu’Esengo en soit informée.

Il faut encore six mois pour obtenir que ce jugement soit requalifié par défaut et qu’Esengo puisse y faire opposition.

Ce dernier jugement n'a pris que quelques minutes. Un mail de la préfecture, en septembre 2017, annonçait que le consulat d’Angola reconnaissait que le passeport au nom de Magdalena était un faux et que cette personne n'existait pas.

Le Tribunal Correctionnel relaxe Esengo et rétablit son identité.

32 mois de procédures pendant lesquels Esengo a galéré tout en poursuivant son cursus scolaire. Elle a fini par perdre pied et a échoué au bac.

Elle est maintenant mère d'un enfant et va tenter une nouvelle fois de passer le baccalauréat. Mais l’épreuve la plus dure, ce sera pour enfin obtenir un titre de séjour. On peut faire confiance à la Préfecture lui mettre des bâtons dans les roues !

                                            RESF de la Somme

[1] Fichier des empreintes et des photos des demandeurs de visa, connecté à un fichier européen.

[2] Cour Nationale des Demandeurs d’Asile devant qui les déboutés de l’asile peuvent faire appel.

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