Tribune 3 novembre 2025

Lettre ouverte de la jeunesse européenne à l’Union européenne en vue de la COP30

« Nous sommes la génération du monde à 1,5 °C. Nous exigeons une action juste, rapide et universelle. Plus d’excuses. Plus de promesses creuses. Le moment d’agir, c’est maintenant. » Alors que le Conseil européen du 4 novembre doit définir la position européenne en matière de climat, un ensemble d'organisations de jeunesse issues de différents États appellent l’UE à prendre des mesures fortes et concrètes en cette année cruciale.

En tant que jeunes européens, nous unissons nos voix à travers ce document avec un objectif commun : présenter des propositions ambitieuses, fondées sur la science et axées sur la justice, qui traduisent la détermination de notre génération à garantir un avenir viable et équitable. Nous appelons le Conseil européen à prendre des mesures fortes et concrètes en cette année cruciale, qui définira la mise en œuvre de l’Accord de Paris et la place de l’Europe dans le leadership climatique mondial.

Cette lettre ouverte, initiée par des organisations de la jeunesse franco-allemande (JAC et Klimadelegation) et européenne, vous est adressée, à vous, dirigeants européens, à un moment charnière pour la diplomatie climatique mondiale. Ce 4 novembre, le Conseil européen se réunira pour parvenir à l’adoption d’une orientation générale sur la révision de la loi climat et à l’approbation de la Contribution Déterminée au Niveau national (CDN) de l’UE en vue de la COP30 à Belém.

Les décisions prises dans les mois à venir définiront la crédibilité et l’héritage de l’Europe dans la lutte pour la justice climatique. Nous vous appelons à agir avec vision, courage et responsabilité ; à positionner l’Union européenne à l’avant-garde non seulement en ambition, mais aussi en équité et en solidarité.

En tant que deux piliers fondateurs de l'Union européenne, 

L’Allemagne et la France jouent un rôle central dans la définition du leadership climatique de l'Europe. Les décisions qu'ils prendront exerceront une influence directe sur la capacité de l'UE à respecter ses engagements en matière de justice climatique. Les deux pays doivent intégrer une approche orientée vers la justice dans toutes leurs coopérations bilatérales et multilatérales, en garantissant l'appropriation locale des enjeux, la résilience de chacun et des résultats équitables pour tous. Nous nous adressons donc directement à l'Allemagne et à la France, en les exhortant à montrer l'exemple en matière d'ambition, de financement et de solidarité.

Allemagne

L'Allemagne doit tenir ses promesses et faire preuve d'une véritable solidarité climatique en veillant à ce que ses engagements internationaux soient ambitieux, équitables et transparents.

Nous appelons l’Allemagne à : 

  •   Tenir sa promesse de fournir d'ici 2025 au moins 6 milliards d'euros de financement climatique provenant du budget pour le « Sud global » - en accordant une attention particulière au financement de l'adaptation.
  •   Fixer pour les années à venir un nouvel objectif de financement climatique plus élevé (conforme au NCQG), qui augmentera chaque année d'un milliard supplémentaire pour atteindre 12 milliards d'euros d'ici 2030.
  •   S'engager lors de la COP30 à verser une nouvelle contribution plus importante au Fonds pour les pertes et dommages, afin de s'inscrire dans la continuité de la contribution précédente. 

France

La France s’est longtemps positionnée comme moteur de la diplomatie climatique internationale : de l’Accord de Paris à la COP30 à Belém, cet héritage doit être maintenu par un leadership ancré dans l’équité et l’ambition.

Nous appelons la France à :

  • S’engager à au moins doubler le financement de l’adaptation d’ici 2030, en veillant à ce qu’au moins 50 % du financement climatique public total soutiennent l’adaptation et la résilience, en particulier pour les communautés les plus vulnérables.
  • Veiller à ce que sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN) soit, non seulement cohérente, mais qu’elle contribue à renforcer l’ambition climatique de l’Union européenne. La France a, ces derniers mois, envoyé des signaux contradictoires notamment dans sa gestion de l’objectif d’émissions pour 2040 au sein de l’UE, où son hésitation a suscité des inquiétudes quant à son niveau d’ambition et à sa crédibilité internationale.
  • Assurer la mise en place effective d’aires marines protégées (AMP) françaises : la France dispose du deuxième espace maritime mondial. Elle doit donc porter une protection ambitieuse et effective de ces écosystèmes vivants, précieux pour la biodiversité et le stockage de carbone, en y interdisant toutes les pratiques de pêche industrielle.
  • Faire de l’ambition le moteur du multilatéralisme. La France doit préserver et renforcer l’héritage de l’Accord de Paris en veillant à ce que le multilatéralisme demeure un instrument d’ambition, et non uniquement de compromis. Plutôt que de se contenter d’accords a minima, la France devrait conduire des efforts reflétant l’urgence telle que démontrée par la science, les principes de justice climatique, ainsi que la représentation équitable des voix du Sud global dans les processus de décision.

 Nous appelons l’Union Européenne à agir sur 10 priorités : 

1-Restaurer un leadership climatique européen

Le leadership climatique de l’Europe est à la croisée des chemins. La prochaine CDN doit combler l’écart entre promesses et actions, en s’alignant sur la science et la justice. Le véritable leadership signifie se tenir aux côtés du Sud global, et non rester immobile.

Comme l’a affirmé pour la première fois cette année la Cour internationale de Justice, les États ont l’obligation légale et morale de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, et de coopérer internationalement et de bonne foi. 

L’Union européenne doit désormais traduire ses engagements en politiques nationales ambitieuses et scientifiquement fondées. Selon le Rapport 2024 sur l’écart entre les émissions du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), nous nous dirigeons vers un réchauffement de 2,6 à 3,1 °C si les tendances actuelles se poursuivent. La limite de 1,5 °C doit rester notre objectif, et elle n’est réalisable qu’avec des actions immédiates et substantielles.

L’UE a autrefois déterminé le rythme de l’ambition climatique mondiale, mais la cadence des progrès a été ralentie. Pour restaurer sa crédibilité et honorer ses responsabilités morales et juridiques, l’Europe doit redevenir un véritable leader, avec une CDN alignée sur la science et la justice.

Nous demandons à l’UE de :

  • S’engager à réduire les émissions d’au moins 77 % d’ici 2035 (y compris LULUCF), en assurant l’alignement avec la trajectoire 1,5 °C.
  • Ancrer la CDN de l’UE dans la valeur de l’équité intergénérationnelle et des droits humains, conformément à l’avis consultatif de la CIJ.
  • Reconnaître et valoriser les connaissances et bonnes pratiques du Sud global comme modèles de développement à faibles émissions.

2-Mettre fin à l’ère fossile : atténuation et transition énergétique

Notre génération refuse d’hériter d’une économie fondée sur la destruction. Les énergies fossiles appartiennent au passé ; les systèmes énergétiques renouvelables, décentralisés et justes sont l’avenir. L’UE doit s’engager à une sortie complète et équitable des énergies fossiles, en rejetant les fausses solutions, techno-solutionnistes, qui retardent le véritable changement.

Nous demandons à l’UE de :

  • Mettre fin à l’utilisation du charbon d’ici 2030 et du gaz d’ici 2035, avec un plan de sortie contraignant pour tous les secteurs.
  • Stopper immédiatement tous les nouveaux projets et subventions liés aux énergies fossiles.
  • Tripler la capacité d’énergie renouvelable d’ici 2030, en garantissant un accès équitable et une appropriation communautaire.
  • Exclure les fausses solutions telles que le CSC ou le BECSC à grande échelle qui nuisent aux écosystèmes et aux communautés.

3-Adaptation et résilience pour tous

L’adaptation n’est pas optionnelle : c’est une question de justice. L’UE doit garantir que les efforts d’adaptation protègent les plus vulnérables, intègrent les savoirs autochtones et locaux, et renforcent la résilience sociale et écologique.

Nous demandons à l’UE de :

  • Adopter un Objectif mondial pour l’adaptation (GGA) robuste avec des indicateurs mesurables et ventilés (par genre, âge, handicap et signaux socio-économiques) et de véritables moyens de mise en œuvre (MoI).
  • Soutenir un financement de l’adaptation basé sur des subventions et sur les besoins, notamment pour les PMA et les PEID, conjointement avec un nouvel Engagement pour le financement de l’adaptation à la COP30.
  • Intégrer la participation locale et autochtone à toutes les étapes de planification et de suivi de l’adaptation.
  • Prioriser l’agroécologie, la santé des sols et la résilience hydrique dans les stratégies d’adaptation.

4-Financement climatique et justice économique

Le financement climatique est une obligation, non un acte de charité. L’UE doit fournir des fonds prévisibles, transparents et équitables, reflétant la responsabilité historique et la solidarité mondiale.

Nous demandons à l’UE de :

  • Faire du financement public l’épine dorsale du financement climatique international conformément à l’article 9.1.
  • Contribuer à hauteur de sa part équitable au Fonds pour les pertes et dommages, en garantissant au moins 400 milliards de dollars par an d’ici 2030, sous forme de subventions et en plus de l’APD.
  • Garantir une répartition des fonds sensible au genre, inclusive des jeunes, et un suivi transparent des financements par type, bénéficiaire et résultat.
  • S’engager sur un nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) qui triple le financement de l’adaptation d’ici 2030.

5-Une transition juste et mondiale

La transition verte doit être une transition juste, pour les travailleurs, les agriculteurs et les communautés du monde entier. L’Europe doit défendre une transformation centrée sur les personnes et fondée sur les droits.

Nous demandons à l’UE de :

  • Soutenir la création d’un Mécanisme de transition juste mondial sous la CCNUCC.
  • Intégrer les principes de transition juste dans toutes les CDN, PAN et LT-LEDS.
  • Garantir la protection sociale, les droits du travail et l’équité de genre dans toutes les politiques de transition.
  • Reconnaître l’agriculture comme deuxième grand secteur de transformation et investir dans des transitions alimentaires équitables.

6-Égalité de genre, santé et justice intergénérationnelle

Une politique climatique véritablement juste doit reconnaître les dimensions de genre, de santé et d’équité intergénérationnelle. Les femmes, les filles et les personnes non binaires ne doivent pas être marginalisées, mais reconnues comme actrices du changement.

Nous demandons à l’UE:

  • L’adoption d’un nouveau Plan d’action pour l’égalité de genre intégrant la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR), la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) et la prise en compte du travail non rémunéré dans toutes les politiques climatiques.
  • La collecte de données ventilées par âge et par genre dans tous les mécanismes climatiques.
  • L’intégration d’une approche « Santé dans toutes les politiques » incluant le bien-être physique et mental.
  • L’engagement pour l’équité intergénérationnelle dans tous les cadres européens et internationaux.

7-Autonomisation, éducation et espace civique

Le véritable leadership consiste à écouter et à autonomiser celles et ceux qui sont les plus touchés. La participation des jeunes et l’éducation sont au cœur de l’action climatique.

Nous demandons à l’UE de :

  • Mettre pleinement en œuvre l’Action pour l’autonomisation climatique (ACE) par le biais de lois nationales et de financements.
  • Inclure l’éducation environnementale et climatique à tous les niveaux scolaires.
  • Garantir des espaces civiques sûrs, transparents et inclusifs pour les jeunes, les peuples autochtones et les défenseurs du climat.
  • Rejeter le parrainage d’entreprises lors des COP et adopter une politique de prévention des conflits d’intérêts pour préserver l’intégrité.

8-Pertes et dommages : reconnaître la responsabilité

Les pertes et dommages sont le visage humain de l’injustice climatique. L’Europe doit reconnaître son rôle et y répondre avec équité et urgence.

Nous demandons à l’UE de :

  • Soutenir l’inclusion permanente des pertes et dommages comme point fixe à l’ordre du jour des COP.
  • Garantir un financement prévisible, accessible et basé sur des subventions pour le Réseau de Santiago et le Fonds pour les pertes et dommages.
  • Reconnaître les pertes non économiques - culturelles, écologiques et éducatives - comme des composantes essentielles de l’action réparatrice.
  • Mettre fin à tous les investissements dans les infrastructures fossiles et réorienter les fonds vers des transitions renouvelables et justes.

9-Nature, systèmes alimentaires et biodiversité

Des écosystèmes sains et des systèmes alimentaires résilients sont les fondations de la vie. La politique climatique de l’UE doit protéger la nature et transformer l’agriculture pour la santé planétaire et la justice.

Nous demandons à l’UE de :

  • Renforcer la protection et la restauration des écosystèmes terrestres, marins et d’eau douce.
  • Prendre en compte les interactions cruciales entre ces écosystèmes – nature/systèmes alimentaires, biodiversité/alimentation, nature/biodiversité - plutôt que de les traiter séparément.
  • Réorienter les subventions agricoles vers l’agroécologie, les circuits alimentaires locaux et les systèmes à base végétale.
  • Mettre fin aux subventions à la production animale intensive et aux monocultures nuisibles.
  • Intégrer les principes du régime alimentaire pour la santé planétaire (« Planetary Health Diet ») dans les stratégies alimentaires et sanitaires de l’UE.

10-Réformer la gouvernance climatique mondiale

Nous imaginons un processus des COP transparent, participatif et responsable. La gouvernance climatique doit servir les peuples, non les pollueurs.

Nous demandons à l’UE de :

  • Adopter une politique de prévention des conflits d’intérêts excluant les lobbyistes des énergies fossiles.
  • Publier tous les accords conclus avec les pays hôtes et garantir la participation sûre de tous les délégués.
  • Élaborer une nouvelle politique de protection de l’enfance en concertation avec la société civile.
  • Plaider pour un Sommet de la Terre réunissant les Conventions de Rio sous un cadre de justice planétaire.
  • Mettre en avant les interactions entre les différentes sphères de la gouvernance climatique mondiale et assurer une action cohérente et synergique entre les accords sur le climat, la biodiversité et la désertification.

Conclusion : L’appel de notre génération

De Berlin à Belém, de Paris à Cayenne, nous parlons d’une seule voix.

Nous appelons l’Union européenne à retrouver son leadership, à faire de sa CDN un modèle d’ambition, de justice et de solidarité. Elle doit prouver que la justice climatique n’est pas une aspiration, mais une promesse tenue.

Nous sommes la génération du monde à 1,5 °C.
Nous exigeons une action juste, rapide et universelle.
Plus d’excuses. Plus de promesses creuses. Le moment d’agir, c’est maintenant.

Initiateurs :

  • JAC – Jeunesse Ambassadrice pour le Climat et la Biodiversité (France)
  • Klimadelegation (Allemagne)

Signataires actuels :

  • HDRI (France)
  • BUNDjugend (Young Friends of the Earth Germany)
  • JNM vzw (Belgique)
  • Open Plan Foundation (Pologne)
  • European Youth Engineering (Espagne)
  • Asociación Biodiversa (Espagne)
  • YES-Europe (Suisse)
  • WYCJ (Pays Bas)
  • Public Association National Center (Moldavie)
  • Environmental centre for Development Education and Networking EDEN (Albanie)