L’infatigable piéton de Paris dont nous partagions les combats et l’amitié.
Fondateur de La Fabrique en 1998, chirurgien d’exception pendant la guerre au Liban puis éditeur, héritier des éditions d’art Hazan tenues par son père, Éric Hazan vient de disparaître. Militant et écrivain indépendant et lui-même respectueux de l’indépendance des auteurs et autrices qu’il éditait avec conviction sachant que leurs livres ne cadreraient pas avec la doxa médiatique, il fut comme François Maspero un homme engagé au service d’une pensée à contre-courant, dans cet esprit de la décolonisation après la guerre d’Algérie et les événements de mai 1968.
Sa position sur Palestine/Israël rejoignait la nôtre : il portait une parole juive, puisque telles étaient ses origines, refusant le sionisme et ses conséquences désastreuses sur le peuple palestinien dont il soutint le combat dès les premières heures. En 2009, il fut membre du comité de parrainage du tribunal Russell sur la Palestine. Militant antiraciste, Éric Hazan dénonça les violences policières, l’islamophobie visant les femmes voilées, milita en faveur de l’avortement ; il traduisit Edward Said et fut pendant toute sa vie aux côtés des Palestiniens. Il écrivit avec Eyal Sivan L’État commun et permit que reparaisse tout récemment le livre d’Ilan Pappe – Le Nettoyage ethnique de la Palestine – que Fayard aux mains de Bolloré avait retiré de la vente à l’automne dernier.
Éric Hazan était aussi un intellectuel engagé pour qui le travail de la mémoire restait indispensable pour changer le monde. On peut à ce titre le considérer comme un des meilleurs historiens de la Révolution Française depuis cette approche pédagogique qui fera date en 2012, à l’occasion d’un récit proposant une lecture de l’événement en réaction contre les réécritures réactionnaires en vogue. Éric Hazan aimait les visionnaires comme Balzac ou Walter Benjamin, grande figure de la modernité juive, lui aussi lié à la ville de Paris. Infatigable piéton de la capitale, Éric Hazan nous promena de rues en rues dans ce merveilleux livre-guide que fut L’invention de Paris, réveillant au passage la mémoire des insurrections passées : Il n’y a pas de pas perdus, pensait-il et ce sous-titre invite à partager son optimisme et en appelle aussi à la liberté de pensée, alors que nous continuons de subir aujourd’hui cet ordre policier qui se défie tant de la liberté d’expression et de publication.
La Fabrique fait désormais autorité dans le monde du livre. Si la disparition de son créateur nous bouleverse, celui-ci aura laissé par son travail d’éditeur et par la rigueur de ses engagements un héritage considérable : les livres dont il permit la parution comme ceux qu’il écrivit resteront « des armes », comme il aimait à le rappeler, des armes contre le conformisme, l’apolitisme, la pensée réactionnaire dominante. Beaucoup d’entre eux auraient été, chez d’autres, censurés… Éric Hazan laisse un héritage qu’il nous appartient à toutes et tous de continuer à faire fructifier.
Pour nombreux d’entre nous à l’UJFP, Éric était un ami et un précieux collaborateur. Nous venons de le perdre. Notre organisation présente ses condoléances à sa famille, ses proches et ses collaborateurs et collaboratrices de la Fabrique. Il restera pour notre organisation une des figures parmi les plus essentielles du mouvement de solidarité pour la Paix et pour la Palestine. Sa culture encyclopédique faisait de lui un homme rare, sa simplicité et son écoute aussi permettaient de toujours rencontrer un homme charmant et aimable, un gentilhomme de notre temps.
La Coordination nationale de l'UJFP, le 9 juin 2024
Billet de blog 9 juin 2024
Hommage à Éric Hazan (1936-2024)
Communiqué de l'UJFP (Union juive française pour la paix)
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